Toutes les sociétés avancées sont aujourd’hui marquées par des phénomènes de polarisation territoriale, sociale, et parfois générationnelle. Longtemps occultées et même ignorées, ces lignes de faille internes émergent aujourd’hui au premier plan du débat social et politique. Elles interrogent toutes les sociétés sur leur capacité à rassembler autour d’un projet commun ceux que divisent la localisation, le statut social, le revenu, l’âge ou l’origine[1].
Le chapitre Dynamiques et inégalités territoriales part d’un constat brutal : la France est coupée en deux entre d’une part des métropoles qui créent des emplois et se développent, même si de fortes inégalités s’observent en leur sein, et d’autre part des villes moyennes et des territoires ruraux dont beaucoup peinent à identifier les ressorts d’une nouvelle croissance. Elle est également divisée entre un Nord-Est qui subit le choc de la désindustrialisation et un Sud-Ouest aujourd’hui plus dynamique. Cette double fracture est dangereuse, parce qu’au-delà des territoires elle touche les individus, jusqu’à compromettre l’égalité des chances qui est constitutive du pacte républicain. Face à cette réalité, les politiques d’aménagement du territoire de jadis sont inopérantes, parce qu’elles négligent le fait métropolitain, et les mécanismes de redistribution par la protection sociale ne peuvent durablement équilibrer une divergence croissante des revenus primaires. Aucune politique ne peut réussir si elle ne valorise pas la force d’entraînement des métropoles ; aucune n’est acceptable si elle ne crée pas les conditions d’un équilibre territorial. Cette double exigence appelle un renforcement des politiques de droit commun qui concourent à l’égalité des chances, et aussi une clarification des objectifs et une identification des instruments d’une politique territoriale renouvelée.
Le chapitre Croissance et répartition des revenus part de l’observation que la croissance ne rassemble plus les Français, mais au contraire risque de diviser ceux qui y voient une promesse et ceux qui y voient la menace d’inégalités accrues. La France, certes, n’a pas connu le même envol des inégalités que d’autres pays avancés. Mais à court terme au moins, la valorisation des compétences, l’innovation et l’accumulation de patrimoines sont facteurs de creusement des écarts de revenus.
La croissance demeure nécessaire, d’abord parce qu’elle contribue à la réduction du chômage, ensuite parce qu’elle fournit les ressources nécessaires pour investir et accompagner les transitions que le pays doit affronter. La reconstruction d’un consensus autour de la croissance appelle cependant une prise en charge de sa qualité. Cela passe notamment par une promotion de la mobilité sociale et un renouvellement des instruments de lutte contre les inégalités.
Le marché du travail est aussi une source majeure de polarisation. Le chapitre Quels leviers pour l’emploi ? dresse un constat sans fard de la situation : par rapport à un ensemble de pays comparables, nous faisons moins bien sur le chômage, sur le taux d’emploi et sur la qualité de l’emploi à la fois. En d’autres termes notre chômage n’est pas la contrepartie d’un choix collectif positif. Or cette situation pèse d’abord sur les plus fragiles : près de six chômeurs sur dix ont reçu une formation de niveau inférieur au Bac. Pourtant, la France dépense pour l’emploi 108 milliards par an (dont la moitié pour alléger le coût du travail). Pour répondre aux défis de la décennie à venir, il faut investir dans les compétences. Cela suppose notamment une réorganisation de la formation professionnelle. Il faut ensuite réexaminer l’allocation des dépenses pour l’emploi : il n’est pas sûr que la combinaison actuelle soit la meilleure manière d’atteindre nos objectifs. Enfin les leviers de l’emploi seront aussi réglementaires. On peut citer une législation du temps de travail moins focalisée sur la durée légale hebdomadaire, la définition d’une doctrine stable en matière de contrat de travail, et l’équilibre entre régulation centralisée et régulation décentralisée.
La polarisation générationnelle ne s’impose pas encore dans le débat social et politique français. Pourtant, les observations réunies dans le chapitre Jeunesse, vieillissement : quelles politiques ? suggèrent que nos choix collectifs ont souvent défavorisé les jeunes : c’est vrai pour le fonctionnement du marché du travail ; pour l’accès au logement ; pour la couverture des risques de perte de revenu ; pour les ressources consacrées à l’éducation et aux retraites. Certes, les jeunes d’aujourd’hui vivent mieux que ceux des générations précédentes. Mais leur situation relative s’est dégradée. Certes, la solidarité joue au sein des familles. Mais au prix d’inégalités sociales accrues entre jeunes. Les tendances démographiques risquent d’aggraver ce déséquilibre entre les âges. La réponse, cependant, ne passe pas nécessairement par une révision des transferts sociaux. Le fonctionnement de nos institutions économiques et sociales, comme le marché du travail et le marché du logement, compte tout autant.