Votre navigateur n'est pas assez récent pour consulter ce site dans les meilleures conditions.
Nous vous conseillons d'utiliser un navigateur plus récent.

Europe : sortir de l'ambiguïté constructive ?

L’Europe traverse une quadruple crise : crise de l’euro, crise des réfugiés, panne de l’intégration économique et sociale, et crise existentielle.

ENJEUX
DÉBAT &
CONTRIBUTIONS
SYNTHÈSES DES DÉBATS
Résumé

L’Europe fait face à une conjonction de crises et se situe à une étape décisive de son histoire. La longue crise qu’a connue la zone euro, l’instabilité du voisinage, la panne de l’intégration économique et sociale, ainsi que l’affaissement de la légitimité politique de l’Union européenne (UE) se conjuguent pour faire douter de la pérennité des politiques communes et des institutions issues des étapes successives de la construction européenne.

Ces difficultés sont profondes. Elles tiennent, bien entendu, à une conjoncture difficile, mais plus fondamentalement à des incertitudes et à des désaccords quant à l’orientation à donner au projet européen.

Confrontés à ces différentes crises, les Français comme les Européens semblent ne vouloir ni avancer vers plus d’intégration, ni reculer vers un repli national, ni rester sur place dans un statu quo insatisfaisant et instable. Face à ce paradoxe apparent, il convient de rechercher un nouvel équilibre entre l’intégration là où l’intérêt collectif domine, le respect des souverainetés nationales là où celles-ci doivent prévaloir et le souci d’une meilleure efficacité des institutions là où elle fait défaut.

Alors que nos partenaires sont en train de définir leur agenda pour l’Europe, il est indispensable que la France dépasse ses ambiguïtés. L’élection présidentielle de 2017 offre aux Français l’occasion de fixer l’avenir qu’ils souhaitent pour leur pays en Europe. Ce choix aura logiquement une importance déterminante pour l’avenir même du projet européen, sa nature et son ambition.

17-27- Europe - Tableau -01

EN SAVOIR + :

Nous vous invitons à cliquer sur le bouton + afin de découvrir les notes, le contenu des encadrés et les différentes annexes.

TÉLÉCHARGER :

La note Enjeux de la thématique « Europe : sortir de l’ambiguïté constructive  ?« 

The English version: « Europe at a Crossroads: Moving Beyond Constructive Ambiguity« 

Les données de la note enjeux de la thématique « Europe : sortir de l’ambiguïté constructive  ?« 

Quatre interrogations existentielles

L’Europe fait face aujourd’hui à quatre lourdes interrogations : l’avenir de la zone euro, la panne de l’intégration économique et sociale, l’instabilité du voisinage, et la mise en question de sa légitimité.

L’avenir de la Zone euro

Depuis maintenant plus de quinze ans, les Français et les citoyens d’un ensemble d’autres États font monnaie commune. Ils l’ont fait pour favoriser leur intégration économique, assurer la stabilité monétaire, permettre à l’Europe de perpétuer son influence globale et créer une prospérité partagée, génératrice de croissance, de pouvoir d’achat et d’emploi.

Or depuis 2009, la capacité de l’euro à atteindre ces objectifs est en échec. Le revenu par tête de la zone n’a toujours pas rattrapé le point haut de 2008 (graphique 1), tandis que s’observe une forte divergence des conditions économiques et sociales : les écarts de taux de chômage sont revenus à ce qu’ils étaient à la veille de la mise en circulation de l’euro (graphique 2), tandis que les écarts de revenu par tête se sont creusés. Certes, ces évolutions sont pour partie l’effet de la crise financière de 2008, mais le bilan des quinze premières années de l’euro n’est pour autant pas satisfaisant.

17-27- Europe - HTML - _Graphique 1

17-27- Europe - HTML - _Graphique 2

Cette contre-performance s’explique par des défaillances de politiques économiques, tant anciennes que récentes. Elles-mêmes renvoient au caractère incomplet
du projet monétaire européen et aux divergences entre ses membres quant aux principes qui devaient présider à son achèvement.

L’euro a été établi sur des bases étroites : une union monétaire complète flanquée d’un dispositif de discipline budgétaire, mais dépourvue d’une union bancaire et financière, d’un régime de gestion des crises, d’un mécanisme de gouvernance et de coordination, et d’institutions politiques spécifiques. Il prenait de surcroît appui sur une intégration économique au sein de l’Union européenne à 28 qui, depuis la fin des années 1990, est entrée dans l’ère des rendements décroissants.

Une construction aussi incomplète ne pouvait prospérer qu’à condition d’être envisagée comme une base sur laquelle édifier. Mais ont manqué, après un lancement réussi en 1999, l’appétit politique, la conscience des dangers et la capacité de décision. À l’inverse de ce qu’avaient cru les architectes de l’euro, l’unification monétaire n’a pas conduit à une intégration graduelle dans les domaines connexes (social, fiscal ou politique), mais au contraire à une crispation des États sur les prérogatives qu’ils avaient conservées

En est résulté une série de défaillances dont le coût est apparu à partir de 2010 :

  • en amont de la crise, la supervision financière n’a pas agi contre les conséquences les plus néfastes (croissance excessive du crédit et bulle immobilière dans plusieurs pays) du puissant choc de taux d’intérêt induit par l’introduction de l’euro (graphique 3);

17-27- Europe - HTML - _Graphique 3

  • l’intégration des économies n’a quasiment pas progressé et les politiques nationales conduites au cours de la première décennie n’ont pas été cohérentes avec l’appartenance à une zone monétaire. Aucun mécanisme n’a prévenu les divergences de compétitivité ou n’a incité les États à mettre en œuvre des politiques favorisant la croissance à long terme.

En raison tant d’un manque de lucidité que de désaccords, la gestion de la crise financière, puis celle de la crise de la zone euro en 2010-2012, ont été marquées par une série d’erreurs coûteuses :

  • l’assainissement des bilans bancaires a démarré beaucoup trop tardivement ;
  • face aux tensions sur les marchés de la dette, les réponses ont trop souvent été marquées par le syndrome du « trop peu, trop tard ». Si la politique de liquidité de la Banque centrale européenne (BCE) a été réactive, les États ont longtemps tergiversé pour savoir comment aider ceux d’entre eux qui étaient attaqués par la spéculation et remédier aux fragilités systémiques de l’édifice monétaire ;
  • le resserrement trop précoce et général de la politique budgétaire, entre 2011 et 2013 (graphique 4), a contribué à plonger la zone euro dans une deuxième récession[1], tandis que la politique monétaire a tardé à répondre à l’affaiblissement de l’économie[2] ;
  • le caractère systémique de la crise de l’euro n’a été reconnu qu’en 2012.

17-27- Europe - HTML - _Graphique 4

Il a fallu attendre la crise de 2010-2012 pour que, dans l’urgence, la zone euro se dote d’une série de nouveaux instruments. Le Mécanisme européen de stabilité est créé en 2011 pour assister les États membres en difficulté financière. Afin de remédier à sa fragilité financière, la zone euro s’est engagée dans l’union bancaire, qui permet aujourd’hui une supervision unique des plus grandes banques, et elle a renforcé les mécanismes de résolution des banques insolvables. Elle a également consolidé sa principale procédure de surveillance budgétaire, avec le traité budgétaire et la réforme du Pacte de stabilité et de croissance (voir encadré 1 dans le +). Elle s’est aussi dotée d’une procédure de surveillance et de prévention des déséquilibres macroéconomiques (qu’elle s’est cependant abstenue d’activer).

Si elle avait été équipée de ces nouveaux outils dès l’introduction de la monnaie unique, la zone euro n’aurait pas suivi une trajectoire aussi dramatique. Force est cependant de constater qu’elle n’a toujours pas résolu les difficultés qui handicapent son fonctionnement :

  • le potentiel de croissance et la résilience des économies de la zone restent insuffisants ;
  • à court terme, la zone euro peine toujours à sortir de taux d’intérêt et d’inflation trop faibles, malgré les mesures très volontaristes de la BCE, et elle reste exposée à un nouveau choc d’envergure, avec de faibles marges de manœuvre ;
  • d’un point de vue structurel, la zone euro ne propose pas un cadre favorable à la résorption des déséquilibres entre ses membres et à la convergence de leurs niveaux de vie (graphique 5). Elle n’a notamment pas empêché un ajustement asymétrique des déséquilibres passés qui a eu un effet déflationniste et récessif  (graphique 6);

17-27- Europe - HTML - _Graphique 5

17-27- Europe - HTML - _Graphique 6

  • d’un point de vue institutionnel, le déficit de gouvernance au niveau de l’exécutif demeure source d’inefficacité et l’absence d’une institution démocratiquement légitime, capable de faire prévaloir le bien commun de l’ensemble de la zone, handicape la capacité de réponse collective[3].

La panne de l’intégration économique et sociale

L’Europe a connu une forte dynamique intégratrice entre les années 1980 et 2000. Depuis une quinzaine d’années, elle s’efforce péniblement de définir un projet à la mesure des défis rencontrés.

Le marché intérieur en quête d’un second souffle

Pièce majeure du projet européen, le Marché unique avait été conçu pour prolonger le désarmement tarifaire et permettre aux entreprises de mettre en œuvre les économies d’échelle escomptées à l’échelle de l’espace communautaire. Complété par la politique de la concurrence (destinée à éviter les guerres de subvention et les abus de position dominante), par l’union monétaire (qui devait prévenir les distorsions monétaires), par la définition d’un socle de droits sociaux fondamentaux (pour empêcher le dumping social) et par des politiques de développement régional (pour limiter la polarisation du territoire), le marché unique devait assurer efficacité, croissance et équité.

L’Europe économique cherche aujourd’hui un second souffle[4]. L’élimination de la plupart des barrières commerciales et la relative harmonisation des normes sur les biens ont permis un fort accroissement du commerce intra-européen de marchandises et des gains économiques conséquents[5]. Mais l’Union n’a pas défini un modèle d’intégration pour les industries du XXIè siècle. Dans de nombreux secteurs des services, les États ont préféré organiser ou laisser faire l’organisation du marché sur une base nationale (c’est le cas pour les télécoms et le numérique), tandis que dans d’autres, comme l’énergie, la libéralisation n’a pas produit les résultats attendus.

En matière économique, l’élimination des obstacles aux échanges ne suffit plus et dans nombre de secteurs, notamment les services, l’enjeu est le passage à un modèle fondé, à l’image de ce qui s’est fait pour le secteur bancaire, sur l’unicité de la législation et de la régulation. Mais une telle « intégration profonde » exige un accord sur les paramètres-clés, pour le numérique par exemple, sur la protection des données individuelles et les conditions de l’échange de données. L’amélioration de la qualité et de l’intensité des financements est également un facteur essentiel que pourrait améliorer le développement d’un marché intégré des capitaux en Europe, en particulier pour l’investissement en capital. Enfin les instruments du développement régional doivent être repensés à la lumière des dérives des Fonds structurels et de l’affirmation des métropoles comme pôles de croissance.

L’Europe sociale et fiscale sans boussole

L’Union européenne s’est fixé l’objectif d’un haut niveau de protection sociale, tout en préservant une autonomie complète des États quant à la définition des politiques et des outils correspondants. L’équilibre ainsi construit est aujourd’hui en question, pour plusieurs raisons :

  • les systèmes sociaux nationaux sont fragilisés par les mutations économiques et la raréfaction des ressources budgétaires ;
  • la diversité des modèles sociaux (graphique 7) et la volonté largement partagée de la préserver se sont traduites par l’absence d’actions communes en faveur du progrès social dans la période récente, mis à part l’Initiative pour l’emploi des jeunes et celle naissante pour un socle européen des droits sociaux ;

17-27- Europe - HTML - _Graphique 7

  • dans un contexte général de montée des inégalités, l’UE, paralysée par les différences doctrinales et les stratégies de concurrence fiscale (graphique 8), a été à l’arrière-garde du combat pour l’élimination des pratiques d’érosion des assiettes et de localisation des profits dans les paradis fiscaux.

17-27- Europe - HTML - _Graphique 8

Dans plusieurs États membres, l’Union européenne est ainsi perçue comme poursuivant uniquement un agenda de dérégulation, alors que c’est paradoxalement la perception inverse qui domine au Royaume-Uni, comme l’a bien montré le débat sur le Brexit.

L’absence de coordination de ces politiques est coûteuse comme l’a démontré l’affaire « Luxleaks » dans le domaine fiscal. Pour la décennie qui vient, le même risque de course au moins-disant se profile en matière de concurrence sur la fiscalité des personnes, sur les salaires, voire sur l’environnement réglementaire.

L’instabilité du voisinage

Avec la crise des réfugiés, l’Union européenne fait aujourd’hui face au drame humain le plus important de son histoire. Elle est simultanément confrontée sur son territoire à des attaques terroristes fomentées à l’extérieur. À l’origine de cette double crise, se trouve une déstabilisation croissante et quasi généralisée du voisinage européen (graphique 9) [Voir encadré 2 sur le +].

17-27- Europe - HTML - _Carte 09 - Voisinage

Une réponse désordonnée et insuffisante face à la crise des réfugiés L’absence de politique européenne coordonnée en matière migratoire et de gestion des frontières est dramatiquement mise en lumière par la seconde grande vague de réfugiés que connaît l’Europe depuis trente ans (graphique 10) [voir encadré 3 sur le +]

17-27- Europe - HTML - _Graphique 10

La crise humanitaire qui résulte de la concentration des réfugiés, y compris dans des pays déjà très fragilisés comme la Grèce, constitue un double échec, tant au regard du respect des Droits de l’homme que de la gestion des frontières. Elle a aussi pour conséquence de révéler de nouvelles lignes de fracture entre les États de l’UE et en leur sein. Elle nourrit un repli général vers l’État-nation, perçu comme le seul capable d’assurer la protection des citoyens et du territoire. Mais les États pris individuellement n’ont pas les moyens d’agir sur leur voisinage, et leurs politiques, qu’elles soient d’ouverture ou de fermeture des frontières, ont des effets immédiats et massifs sur leurs voisins.

Une incapacité à stabiliser le voisinage de l’UE 

La nécessité d’une réponse coordonnée apparaît d’autant plus pressante que les États-Unis, longtemps perçus comme le bouclier protecteur par beaucoup de pays européens, ont entamé un virage stratégique vers l’Asie qui devrait se traduire par un désengagement croissant de l’Europe et de son voisinage.

Face à ces nouveaux enjeux, l’Europe est mal préparée car elle s’est construite sur la poursuite d’un objectif de paix sur son territoire. Elle n’a pas été pensée pour traiter des questions de paix et de stabilité au-delà de ses frontières et s’est trouvée très démunie lorsqu’il s’est révélé que de Kaliningrad à Nouakchott, elle était bordée par un arc d’instabilité.

Depuis la chute du Mur de Berlin, la seule politique de voisinage efficace que l’Union européenne ait su mener a été son propre élargissement. La promesse d’une intégration à l’Union européenne a joué un grand rôle dans le succès de la transition des pays d’Europe centre et orientale mais le même modèle ne peut pas être reproduit ad libitum. Évidente, la fatigue à l’égard de l’Élargissement souligne l’absence d’une politique de voisinage suffisamment solide pour aider à la stabilisation des pays du pourtour européen et les ancrer dans un partenariat de confiance avec l’UE. Encore aujourd’hui, les pays européens ne sont pas au rendez-vous pour accompagner efficacement les États qui ont été le théâtre d’interventions extérieures ou de révolutions démocratiques, vers leur reconstruction économique et politique.

Le rôle de l’Union est resté remarquablement inexistant en matière de sécurité et de défense où elle n’a jamais paru aussi affaiblie, alors même que les citoyens européens soutiennent largement l’éventualité d’une action commune dans ces domaines[6]. Les dépenses militaires (en pourcentage du PIB) sont continûment en baisse dans la quasi-totalité des États membres depuis trente ans et le gros de l’effort est supporté par un petit nombre de pays, dont la France (graphique 11). Dans 23 des 28 États membres, ces dépenses se situent sous la barre des 2 % du PIB fixée par l’OTAN comme objectif minimal. Si tous les États membres respectaient cette cible, le montant total des dépenses militaires dans l’Union passerait de 187 milliards à 265 milliards d’euros. [Voir encadré 4 dans le +]

17-27- Europe - HTML - _Graphique 11

Une crise de légitimité

Ni avancer, ni reculer, ni rester sur place ? En dépit des graves difficultés qu’ils traversent, les citoyens de l’Union continuent, dans les enquêtes d’opinion, à exprimer une adhésion majoritaire au projet européen (graphique 5a). Ce sentiment est même en progression depuis 2011. Pour ce qui est de la monnaie unique, elle continue d’être soutenue par une majorité de la population, y compris dans les pays qui ont subi les ajustements les plus violents (graphiques 12).

17-27- Europe - HTML - _Graphique 12a

17-27- Europe - HTML - _Graphique 12b

La confiance envers les institutions européennes est cependant sérieusement entamée. Cette perte de confiance a été particulièrement sévère dans les États les plus durement touchés par la crise (graphique 13). Elle n’est pas propre aux institutions européennes puisque dans la quasi-totalité des États membres, et de manière encore plus prononcée dans ceux qui ont le plus souffert économiquement et socialement, la défiance des citoyens est encore plus accentuée envers leurs propres institutions nationales. Comme l’illustre la campagne présidentielle américaine, l’Europe n’est pas seule concernée par ce mouvement de défiance.

17-27- Europe - HTML - _Graphique 13

Parallèlement, la crise des réfugiés met crûment en lumière les différences de valeurs qui séparent les États membres et la difficulté qu’ont beaucoup d’entre eux à mettre en action le principe de solidarité face à l’adversité. L’Europe aujourd’hui est traversée de fractures à la fois au sein des États membres et entre eux.

Le paradoxe est que les Européens s’expriment à la fois majoritairement contre un transfert plus important de pouvoir aux institutions de l’UE[7] et contre une sortie de leur pays de l’Union européenne ou de la zone euro, tout en ne se satisfaisant pas du statu quo. Le constat que l’Europe ne peut ainsi ni avancer, ni reculer, ni rester sur place illustre le fait que la méthode des petits pas irréversibles, théorisée par Jean Monnet, s’est enrayée. La stratégie d’intégration au fil d’un processus continu se déroulant par étapes successives, dont chacune appelle l’étape suivante, est aujourd’hui mise en échec[8]. On peut tirer de cette observation deux conclusions alternatives : l’une est que l’Europe est, temporairement au moins, dans une impasse stratégique ; l’autre est qu’il faut changer de méthode et présenter aux citoyens un choix entre des stratégies cohérentes et complètes et leurs conséquences.

Un équilibre institutionnel inefficace et instable

L’insatisfaction envers les institutions européennes vient du double procès qui leur est fait : en efficacité et en légitimité. En efficacité, parce que les citoyens européens jugent que ces dernières n’ont pas tenu la promesse de la prospérité et n’ont pas su répondre aux problèmes les plus aigus auxquels ils sont confrontés (tableau 1). En légitimité, parce que les citoyens européens ne comprennent pas le processus démocratique qui conduit aux décisions qu’ils observent, et ne savent pas qui est véritablement responsable des décisions prises. L’exclusion du Parlement européen des décisions concernant la zone euro, en particulier celles relatives à la crise grecque qui étaient les plus lourdes de conséquences, ajoute au procès en illégitimité. Certains États contestent également la légitimité des institutions communautaires à proposer des solutions communes lorsque les politiques en jeu n’ont pas été communautarisées, comme dans le cas de la crise des réfugiés. C’est l’ensemble du système institutionnel européen qui est mis en cause.

Pourtant, dans beaucoup des domaines qui sont aujourd’hui au cœur des critiques les plus vives, les décisions se prennent soit à l’unanimité des États (politique fiscale, politique sociale), soit par la méthode intergouvernementale, sans participation significative du Parlement (ajustements budgétaires, programmes de la Troïka) ou même de la Commission (défense, sécurité).

Dans un tel contexte, la probabilité est aujourd’hui élevée qu’un des grands États fondateurs porte au pouvoir, au cours de la décennie, un gouvernement prônant un recul de l’intégration européenne. En pareil cas, le système institutionnel européen serait rapidement exposé au blocage. C’est pourquoi la préservation du statu quo peut difficilement faire figure de stratégie.

Encadré 1 – Réforme du Pacte de Stabilité

Le « Pacte de Stabilité et de Croissance » (PSC) est un ensemble de règlements qui précisent les modalités de mise en œuvre des règles budgétaires inscrites dans le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (dit « Traité de Maastricht »), dont la règle des 3 % de déficit nominal.

Deux piliers composent le PSC :

(i) le bras dit « correctif », qui recense les règles, procédures et sanctions applicables aux pays dont le déficit dépasse les 3 % du PIB ou ceux dont la dette ne diminue pas suffisamment si elle se situe au-dessus de 60 % ;

(ii) le bras dit « préventif », qui s’applique à tous les autres pays qui définit les modalités de convergence vers un objectif d’équilibre budgétaire (« l’équilibre de moyen terme »).

Le Pacte de Stabilité et de Croissance a fait l’objet de deux vagues de réformes depuis son adoption en 1997. La première, en 2005, a visé notamment à mieux tenir compte des effets du cycle et à limiter les risques d’un ajustement procyclique. C’est notamment cette réforme qui a placé la notion de solde et d’ajustement « structurel » au cœur du dispositif de surveillance budgétaire. La seconde phase de réforme, initiée dès 2010, a tiré les leçons des échecs supposés du PSC au cours de la période qui a précédé la crise financière, dont son incapacité à promouvoir des politiques budgétaires jugées soutenables.

Trois ensembles de textes ont été adoptés dans le cadre du renforcement de la surveillance budgétaire suite à la crise de 2008/2009.

  • Le « six-pack », entré en vigueur à la fin 2011, composé de six textes dont quatre concernent directement la surveillance budgétaire. La réforme de la surveillance budgétaire introduite par le « six-pack » repose sur quatre piliers : le renforcement du volet correctif du PSC (nouvelles règles relatives à l’évolution de la dette, sanctions financières plus précoces et plus automatiques qu’auparavant) ; le renforcement du volet préventif du PSC (nouvelles règles relatives à l’évolution de la dépense, introduction de la possibilité de sanctions financières) ; le renforcement du dispositif de sanction (règle de vote, possibilités de sanction en cas de manquements quant à la publication des chiffres de dette et de déficit) ; et, enfin, le renforcement des « cadres budgétaires » nationaux via une directive.
  • Le « Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance» (TSCG), adopté en 2012 dans le contexte d’aggravation de la crise des dettes souveraines, dont la disposition-clef en matière de finances publiques est l’engagement à transposer en droit national («  de préférence au niveau constitutionnel ou équivalent ») un principe d’équilibre budgétaire (« règle d’or »).
  • Le « two-pack», adopté en 2013, dont l’un des textes porte plus spécifiquement sur le renforcement de la gouvernance budgétaire. Les dispositions les plus importantes concernent l’obligation pour les États membres de la zone euro de transmettre à la Commission pour examen, avant leur adoption par les parlements nationaux, les projets de plans budgétaires afin de contrôler leur conformité aux exigences du PSC (sans toutefois qu’il existe une possibilité de véto formel sur les budgets nationaux), ainsi que l’obligation de faire produire ou endosser les prévisions qui sous-tendent le projet budgétaire par un organisme indépendant. En France, cette mission de contrôle a été confiée au Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP), adossé à la Cour des Comptes, les prévisions étant toujours réalisées par le ministère de l’Économie, des Finances et des Comptes publics.

Comme ces textes – de nature juridique – ne peuvent pas définir l’ensemble des principes techniques et méthodologiques nécessaires à la mise en œuvre du PSC et à sa prévisibilité, ils ont été précisés dans une série de textes en principe endossés par les États-membres.

Cela étant, les marges d’interprétation et de jugement demeurent. Un texte adopté à la fin 2015 par les représentants des États-membres visait précisément à consigner une position commune sur les flexibilités éventuellement permises par le PSC dans certaines circonstances (prise en compte des réformes structurelles, de l’investissement public notamment), afin de promouvoir des ajustements budgétaires plus favorables à la promotion de la croissance.

Même si les réformes successives du PSC peuvent paraître économiquement fondées, la conséquence a été une multiplication des textes juridiques et des documents méthodologiques ainsi qu’un enchevêtrement des règles et des indicateurs. Cette profusion nuit aujourd’hui à la lisibilité du Pacte et à l’appropriation des règles au niveau national.

Ce résultat était en partie inévitable, compte tenu du caractère cumulatif des réformes successives et de la nécessité de pouvoir disposer d’une mise en œuvre prévisible, équitable et objective des règles communes.

Mais les difficultés de lisibilité résultant de cette complexité pourraient s’avérer contreproductives et aller à l’encontre de l’objectif recherché, c’est-à-dire des politiques budgétaires responsables.

Dans le cadre de ses travaux sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire et afin de répondre au souhait exprimé par les États-membres, la Commission européenne a identifié dans une Communication publiée en octobre 2015[1] des pistes − à législation constante − qui permettraient de simplifier le dispositif actuel. Ces réflexions se poursuivent y compris avec des propositions récentes faites par le Président de l’Eurogroupe[2].

[1] Commission européenne (2015), « Communication relative aux mesures à prendre pour compléter l’Union économique et monétaire », octobre.

[2] Dijsselbloem J. (2016), « Il faut réformer le Pacte de stabilité », Les Échos, 29 avril.

Encadré 2 – Voisinage entre instabilité et perspective de croissance

Le voisinage géographique de l’UE traverse une période de forte instabilité géopolitique incarnée par la multiplication et l’intensification des conflits aux portes de l’Europe et en premier lieu en Syrie. En Afrique du Nord, la région est déstabilisée par des groupes terroristes, notamment en Tunisie et en Lybie, auxquels s’ajoutent dans ce dernier pays des tensions internes majeures. L’Algérie qui tente de contenir la menace du radicalisme pourrait y être davantage exposée, dans un contexte économique rendu très difficile notamment par la baisse du prix des hydrocarbures. Depuis la révolution dite du Printemps arabe, l’Egypte a alterné des périodes de calme et de trouble et la situation reste fragile. L’est de la méditerranée est toujours enlisé dans le conflit israélo-palestinien alors que le Liban accueille désormais en masse les réfugiés syriens comme palestiniens avec des risques très importants de déstabilisation. La situation turque est complexe à bien des égards autant du fait de la crise des migrants, de sa stratégie régionale que des luttes politiques internes. Enfin, le voisinage à l’Est a été marqué par le conflit ukrainien dans un contexte où des anciens États de l’URSS continuent d’être menacés par la Russie.

La politique de voisinage de l’Union européenne vise à appuyer les réformes politiques et économiques dans les pays voisins afin de promouvoir la paix, la stabilité, les valeurs communes et la prospérité économique. Les principales actions se concentrent sur le soutien financier aux réformes économiques et démocratiques, sur la conclusion d’accords commerciaux de manière à favoriser les échanges économiques porteurs de croissance, sur la fourniture d’une assistance technique et sur la poursuite d’un dialogue politique approfondi. Pour le voisinage avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, cette relation s’inscrit dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée (Euromed) qui comprend une série de programmes ciblés comme les autoroutes maritimes et un plan solaire.

Le périmètre de la politique de voisinage actuelle n’inclut pas les pays du Moyen-Orient, à l’exception d’Israël, du Liban, de la Jordanie et de la Syrie. Il n’inclut pas non plus la Russie dont les relations sont traitées dans un cadre différent, ni la Turquie qui est dans un processus d’accession à l’Union européenne.

Cependant, si on ne se limite pas aux pays qui font l’objet de la politique de voisinage, le groupe qui englobe cette notion de pays voisins est aujourd’hui très hétéroclite puisqu’il va de l’Afrique du Nord et Sahélienne, au Proche Orient, la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et au-delà. Ces différentes zones sont à des stades de développement assez différents les unes des autres. Elles ont toutes en revanche un potentiel de développement économique important et beaucoup auront dans les prochaines années un dynamisme démographique plus élevé que l’Union européenne vieillissante.

17-27- Europe - HTML - _Tableau sans numéro

Encadré 3 – La crise des réfugiés

Après celle qui avait succédé à l’éclatement de l’Union soviétique et de l’ex-Yougoslavie ainsi que la guerre civile afghane dans les années 1990, la vague actuelle se singularise par l’ampleur des flux. C’est notamment le cas dans les pays voisins des conflits afghans et syriens qui continuent d’accueillir le plus grand nombre de réfugiés : la Turquie accueille à elle seule 40 % du total des réfugiés syriens et on estime à plus de 4 millions le nombre de migrants sur son sol.

Le nombre de demandes d’asile dans l’Union européenne a plus que doublé entre 2014 et 2015 pour atteindre 1,3 million. Les incertitudes sur l’issue du conflit ainsi que le nombre de syriens déplacés à l’intérieur même de la Syrie, 7,6 millions à la mi-2015 soit le double de la population ayant quitté le pays, laissent augurer une pression migratoire durable.

 

Si l’harmonisation des conditions de l’asile depuis 2004 et l’existence d’une liste de pays sûrs (aux ressortissants desquels l’asile n’est automatiquement pas accordé) garantissent une forme d’égalité de traitement, la diversité des approbations selon les nationalités d’origine, des conditions d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile, et des réfugiés reste forte.

Les efforts de « répartition du fardeau » comme proposé par la Commission restent faibles (160 000 réfugiés visés contre plus d’un million d’arrivées) et plus encore les transferts de moyens humains et financiers ; néanmoins, même ces propositions modestes ont rencontré l’opposition de certains États-membres. Il en résulte le spectacle d’une gestion désordonnée et catastrophique de l’afflux de réfugiés, symbolisée par les décisions unilatérales de fermeture de frontières. Cela ne peut que renforcer le scepticisme d’une partie croissante des populations dans la capacité de l’Europe à apporter des réponses pertinentes aux problèmes les plus aigus qui les frappent.

Encadré 4 – L’état de la défense européenne

Les dépenses militaires, mesurées en pourcentage du PIB, sont continûment en baisse dans la quasi-totalité des États-membres depuis trente ans et le gros de l’effort est supporté par un petit nombre de pays, dont la France. Dans 23 des 28 États membres, ces dépenses se situent sous la barre des 2 % du PIB fixée par l’OTAN comme objectif minimal de maintien des dépenses.

 titre d’illustration, si tous les États-membres respectaient cette cible, le montant total des dépenses militaires dans l’UE passerait de 187 milliards d’euros (Mds€) à 265 Mds€. C’est l’Allemagne qui contribuerait le plus avec 25 Mds€ supplémentaires (à comparer aux 30 Mds€ du budget actuel) suivie de l’Italie avec 17 Mds€ (contre 19 Mds€ actuel) et l’Espagne avec 12 Mds€ contre 9,5 Mds€ actuels) La France devrait augmenter ses dépenses de 4,3 Mds€ alors qu’elle dépensait déjà en 2015 37 Mds€.

Les différences de fond quant à la doctrine à suivre en matière d’intervention sur les théâtres de conflit étrangers ont souvent donné l’image d’une Europe impuissante ou divisée.

Il n’existe pas plus de stratégie commune pour l’industrie de l’armement alors que les économies d’échelle potentielles sont indiscutables. Seuls prévalent des projets ponctuels.

Les coopérations concrètes sont surtout le fait de la France et du Royaume-Uni[1], alors que les initiatives franco-allemandes sont restées modestes. L’OTAN, qui représente pour certains la véritable politique de défense européenne, n’a pourtant pas été engagé dans les trois crises aigües les plus récentes : Libye, Ukraine et Syrie.

17-27- Europe - 17.05

17-27- Europe - HTML - _Evolution des dépenses militaires

17-27- Europe - HTML - _Ecart des dépenses militaires

[1] Les accords de Lancaster House signés en 2010 prévoient le déploiement et l’emploi des forces armées communes, des transferts de technologies entre les deux industries de l’armement, des programmes d’achats d’armements et des échanges d’informations.

__________________________________________

1. Aviat A., Diot S., El Kasmi S. et Jégou N. (2016), « Vers un meilleur pilotage de l’orientation budgétaire de la zone euro ? », Trésor Éco, n°163, mars.

2. Kang D.W., Ligthart N. et Mody A. (2015), “The European Central Bank: Building a Shelter in a Storm”, CFS Working Paper No. 527, December 12

3. Villeroy de Galhau F. (2016), « Un ministre des Finances pour la zone euro », discours du Gouverneur de la Banque de France, Forum des marchés émergents, 11 avril.

4. Bara Y.-E., Garrec B., Jaubertie A., Martin S. et Sode A. (2015), « Pourquoi et comment approfondir aujourd’hui le marché intérieur européen ? », Trésor Éco n°156, octobre.

5. Aussilloux V. et Emlinger C. (2011), “What Benefits from Completing the Single Market?”, La Lettre du CEPII, décembre. Aussilloux et al. (2011) estiment que le revenu des Européens pourrait augmenter de 14 % en moyenne dans l’hypothèse haute d’une élimination complète des obstacles au commerce entre États-membres Le commerce entre pays de l’Union européenne pourrait doubler et réduire ainsi de moitié l’écart d’intensité constaté avec les états fédérés américains ; voir Aussilloux V., Boumellassa H., Emlinger C. et Fontagné L. (2011), « The Economic Consequences for the UK and the EU of Completing the Single Market », BIS Economic Paper N°11.

6. Dans la totalité des pays de l’UE, une majorité de citoyens se déclare pour une politique de sécurité et de défense commune : la proportion la plus faible est en Autriche avec 56 %, la plus forte en Lituanie avec 89 %, la moyenne européenne est à 74 % et la France à 77 %.

7. Voir enquête du PEW Research Center (mai 2014).

8. Guiso L., Sapienza P. et Zingales L. (2015), « Monnet’s Error? », NBER Working Paper No. 21 121.

Quelles propositions françaises pour l'avenir de l'Europe ?

L’élection présidentielle devrait être l’occasion pour les Français de fixer des choix pour leur avenir européen. C’est cependant un domaine dans lequel s’affirment des orientations très divergentes, qui vont du souverainisme au fédéralisme. Comme ces oppositions se manifestent souvent au sein même des partis de gouvernement, ceux-ci tendent à éluder les débats de fond, si bien que les échéances présidentielles ne sont généralement pas l’occasion de sortir des ambiguïtés et d’arrêter des orientations. Cette fois-ci, il importe que les enjeux européens ne soient pas occultés afin de préparer les choix et les propositions que la France devra faire.

Quel avenir pour la zone euro ?

Dissoudre l’union monétaire ?

La première question, s’agissant de l’euro, est de savoir si l’entreprise vaut d’être poursuivie. À l’heure du referendum britannique et au vu des controverses que suscite la gestion de la monnaie commune dans plusieurs pays, elle ne peut plus être écartée sans examen.

À cette question plusieurs réponses peuvent être apportées. Premièrement, rien ne garantit l’irréversibilité : depuis le début du XIXè siècle, plusieurs unions monétaires se sont dissoutes. Dans un contexte de liberté des mouvements de capitaux, le retour aux changes fixes mais ajustables est exclu, mais le passage à un régime de changes flottants est concevable. Deuxièmement, le prix économique d’un divorce serait considérable : aux coûts directs de la dislocation financière s’ajouteraient ceux de l’incertitude ainsi créée et, pour le long terme, ceux de la fragmentation européenne et de l’acrimonie réciproque qui résulteraient inévitablement d’une séparation. Troisièmement, comme le savent d’expérience tous les pays qui ont connu des crises de balance des paiements, la souveraineté monétaire ne libère ni de l’obligation de gérer avec sérieux, ni des contraintes de financement.

Aucun coût fixe ne justifie de perpétuer un régime sous-optimal. Pour cette raison, la réponse à la question sur le devenir de l’euro ne peut être le statu quo, mais impose l’accord des principales parties prenantes autour d’un projet positif porteur de prospérité collective. Ce projet bute aujourd’hui sur trois difficultés : un désaccord tenace sur les facteurs à l’origine de la crise et les responsabilités de chacun dans la contre-performance observée depuis ; la définition d’un équilibre entre responsabilité individuelle des états et solidarité collective ; et la définition d’une gouvernance économique efficace et légitime.

Quel équilibre entre politiques nationales de l’offre et gestion conjointe de la demande ?

L’Europe est coutumière des différends entre partisans de l’offre et avocats de la demande. La période récente a cependant révélé combien la lecture des événements et la conception des responsabilités de chacun pouvaient être différentes d’un État membre à l’autre. Certains pensent que le problème vient avant tout des politiques nationales et que si chacun y met bon ordre, la zone euro fonctionnera sans problème. D’autres au contraire soulignent que c’est l’absence d’instruments communs ou le manque de coordination qui est responsable de la sous-performance d’ensemble. Il est vrai que le bon fonctionnement d’une union monétaire requiert dynamisme et résilience des économies qui la composent. Il est non moins vrai qu’il suppose un pilotage de la demande qui – singulièrement en période de très faible inflation – ne peut être laissé à la seule politique monétaire. De même, si la compétitivité d’une économie constitue un signe de vigueur indiscutable, il est nécessaire de veiller aux effets externes des politiques nationales, notamment dans un contexte où les ajustements sont coûteux. Concilier ces impératifs suppose de la part de toutes les parties prenantes, et donc aussi de la part de la France, la capacité à s’engager de manière crédible. Cela pose aussi la question des bons outils de coordination : faut-il se doter de conseils de la compétitivité qui veillent à éviter les divergences de prix et de salaires ? Faut-il définir une politique budgétaire agrégée pour la zone euro et des outils de coordination renforcée ? Faut-il aller plus loin et créer des institutions et des instruments communs ?

Quel compromis entre responsabilité individuelle et solidarité collective ?

La tension entre principe de responsabilité des États, notamment en ce qui concerne leur endettement, et nécessité d’un partage du risque entre des pays qui ont renoncé à l’usage individuel de l’instrument monétaire est inhérente au projet monétaire européen. Entre ces deux objectifs, un modèle possible, qui compte des partisans en Allemagne, repose sur le principe de la responsabilité individuelle des États : retour d’une discipline de marché sur les dettes publiques (notamment via une procédure de restructuration des dettes souveraines) et stabilisation laissée aux seuls États[9]. Une autre vision, traditionnellement portée par la France, vise à la création d’instruments budgétaires communs instaurant une solidarité de fait entre les États combinée à des règles de coordination. La question est de savoir si un compromis créatif est concevable entre ces deux orientations.

Quelle gouvernance ?

Plusieurs pistes ont enfin été avancées pour pallier le déficit exécutif de la zone euro en renforçant l’efficacité et la légitimité de sa gouvernance. Le modèle qui prévaut aujourd’hui est celui de la coordination par les règles qui repose sur la capacité à mettre en œuvre des orientations communes par le canal d’instruments nationaux. Serait-il souhaitable d’aller plus loin, soit en créant un exécutif renforcé de la zone euro, capable de défendre le bien commun et d’organiser l’action collective, soit en passant à un modèle de délégation reposant sur la dévolution à la zone euro de compétences définies dans des domaines précis, à l’image de ce qui a été fait pour l’union bancaire ?

Sur ces trois terrains – le compromis entre réformes économiques et politique de demande, l’équilibre entre responsabilité individuelle et solidarité, et le choix entre délégation et coordination pour la gouvernance de la zone euro – les propositions françaises sont attendues. C’est à partir d’orientations non ambiguës dans ces trois domaines que pourront être fixées un ensemble de propositions précises pour les politiques économiques susceptibles de raviver la croissance européenne.

Réexaminer les priorités de l’intégration ?

Quelles initiatives économiques ?

En matière économique, de nombreux chantiers mériteraient un engagement français parce qu’entreprises, salariés et citoyens peuvent en espérer des gains importants. C’est le cas du numérique, de la lutte contre le changement climatique, de l’énergie, des services ou du marché des capitaux. Sur ces différents sujets, quelles sont les priorités et les formes souhaitables d’intégration ? Faut-il, par exemple dans certains secteurs, aller vers un droit et un régulateur uniques ?

À l’inverse, certains domaines traditionnels de compétence communautaire pourraient faire l’objet d’un réexamen, parce que les gains de l’intégration ne suffisent pas à compenser les coûts induits par l’hétérogénéité des situations et des préférences nationales. Faut-il, par exemple, remettre en cause la politique agricole commune et aller vers des politiques nationales plus diverses, dans le cadre de règles communes de concurrence ? Plus largement, remettrait-on en question le niveau et la structure des dépenses du budget communautaire, qui se caractérise de longue date par une très grande rigidité et ne correspond plus aux priorités actuelles de l’Union ?

Quelles initiatives sociales et fiscales ?

En matière sociale comme en matière fiscale, la France a toujours porté des positions ambitieuses pour l’intégration européenne. À travers notamment la proposition d’un salaire minimum européen[10] et d’une plus grande harmonisation de l’impôt sur les sociétés, elle a par exemple essayé de donner corps à une Europe plus équitable. Force est cependant de constater que si ces propositions ont reçu un certain écho au sein des institutions européennes, elles sont restées lettre morte du fait de l’opposition d’autres États membres.

Partant de ce constat, il convient aujourd’hui de se poser la question de la meilleure stratégie pour concrétiser de tels projets. Si la voie communautaire s’avère impossible dans ces domaines faute d’unanimité, la France pourrait être motrice en proposant des étapes supplémentaires d’intégration à quelques-uns de ses partenaires les plus proches pour initier un mouvement.

Si les Européens souhaitent donner corps à une nouvelle politique sociale, son contenu devra être profondément renouvelé pour tenir compte des enjeux de la décennie à venir : il pourrait s’agir d’amplifier les efforts encore timides vers une norme de salaire minimum dans l’Union ; de faire évoluer la protection sociale pour tenir compte des nouvelles formes de travail ; et de soutenir le développement des compétences et la mobilité des travailleurs.

Les États européens voudront-ils aussi apporter une réponse commune d’envergure à la concurrence fiscale ?

Quelles relations avec les pays du voisinage ?

Au-delà des réponses d’urgence qui doivent être apportées à la crise des réfugiés, l’Union doit s’interroger sur les actions possibles pour stabiliser son voisinage. Du fait du caractère de bien commun de la sécurité et de la stabilité, la question d’une action collective dans ce domaine se pose.

Concrètement, l’UE ou un sous-groupe en son sein a-t-il la capacité de porter une politique commune dans le domaine du développement, des affaires étrangères, de la défense, de la sécurité et des migrations ? Quels moyens institutionnels, budgétaires et humains y consacrer ?

Peut-on envisager d’aller plus loin avec certains pays du voisinage européen et leur proposer un partenariat régional institutionnalisé au sein duquel ils seraient associés à la définition de certaines politiques ? Faut-il au contraire privilégier une approche bilatérale et une collaboration au cas par cas ?

Dans le cas où l’option européenne serait impossible, quelle doit être la position de la France ? Aller au-delà de son action actuelle au prix de moyens financiers supplémentaires hors du cadre européen ? Ou, au contraire, se désengager des actions extérieures ?

Avec quels pays avancer ?

Enfin, concernant le choix du bon périmètre d’action, plusieurs options sont possibles :

  • le maintien d’une union constituée de pays qui, sauf exception juridiquement légitimée, ont vocation à poursuivre l’intégration et à rejoindre l’euro ; cette union aux objectifs partagés construirait un partenariat structuré avec un second groupe de pays associés, mais en dehors de l’Union européenne ;
  • une série de cercles concentriques, avec par exemple un premier groupe de pays qui pousse très loin l’intégration (y compris pour certaines politiques sociales et fiscales), un second qui poursuit les politiques aujourd’hui celles de l’Union européenne, et un troisième groupe, hors de l’Union, qui se limite à appliquer certains volets du marché unique, en adoptant la législation correspondante et en participant au financement du budget de l’Union ;
  • une association au cas par cas et à géométrie variable des pays qui le souhaitent aux différentes politiques mises en commun.

Peut-on et doit-on reposer à chacun des actuels États- membres, y compris la France, la question de sa participation à un projet collectif redéfini selon l’une de ces options ?

Comment répondre à l’insatisfaction des citoyens ?

Face à l’insatisfaction des citoyens, il faut enfin trancher entre refonder la légitimité démocratique de l’Union et miser avant tout sur la légitimité par les résultats.

Faut-il un nouveau moment fondateur pour l’Europe ? Et si oui, doit-on privilégier la voie des coopérations entre États souverains ou celle vers plus d’intégration pour plus d’efficacité, plus de légitimité et une meilleure compréhension par les peuples des politiques menées ? Ou au contraire, est-il préférable de se concentrer sur des initiatives concrètes dans le but de restaurer la légitimité européenne en retrouvant la prospérité ?

Auteurs :

Vincent Aussilloux et Arthur Sode

Avec l’appui de Christophe Gouardo, Mohamed Hammouch, Cécile Jolly et Emilie Licari.

9. Weidmann J. (2016), « Solidity and Solidarity in the Euro Area », discours à l’ambassade d’Allemagne à Rome, avril ; Fuest C., Friedrich H. et Schröder C. (2016), « A Viable Insolvency Procedure for Sovereigns in the Euro Area », Journal of Common Market Studies 54 (2), 301-317.

10. Caudal N., Georges N., Grossmann-Wirth V., Guillaume J. et Lellouch T. et Sode A. (2013), « Un budget pour la zone euro », Trésor-Éco n°120 ; Lellouch T. et Sode A. (2014), « Une assurance chômage pour la zone euro », Trésor-Éco n°132.

Appel à contribution
Veuillez vous connecter sur une tablette ou un ordinateur pour accèder au formulaire.

Toutes les parties prenantes au débat public sont invitées à s’exprimer, à confronter leurs constats au diagnostic élaboré par les experts de France Stratégie, à présenter leurs analyses et à formuler des propositions. DÉPOSEZ VOTRE CONTRIBUTION AVANT LE 16 JUIN 2016. 

Qui peut contribuer ? Comment contribuer ?  Comment promouvoir votre contribution ? Toutes les conditions disponibles ici.

MESSAGE
2 + 2 =
Le débat

Mercredi 22 juin 2016

Le débat sur « Europe : sortir de l’ambiguïté constructive ? » organisé à France Stratégie le 22 juin 2016 a réuni universitaires, acteurs publics, associations et think-tanks autour des grandes questions posées dans la note « Enjeux ».

Le débat a porté sur les crises majeures auxquelles l’Europe fait face aujourd’hui et sur les choix qui doivent être fait afin de donner une véritable orientation au projet européen.

 

La première des crises est politique. Il y a une réelle défiance envers les institutions européennes, et une montée des populismes partout en Europe. Comment répondre à l’insatisfaction des citoyens ? Faut-il refonder la légitimité démocratique de l’Union ou miser avant tout sur la légitimité par les résultats ?

Le deuxième problème est l’incapacité de l’Union Européenne à stabiliser son voisinage. L’Europe est donc confrontée à une crise migratoire et sécuritaire. Il faut répondre de manière urgente à la crise des réfugiés mais également s’interroger sur une action commune en matière de sécurité et sur les actions à mener en direction des pays tiers.

Enfin, la crise de la zone euro n’est toujours pas résolue. Comment renforcer l’efficacité et la légitimité de sa gouvernance ? Faut-il continuer dans cette voie ou bien dissoudre l’union monétaire ?

Avec notamment la participation de :

Daniela Schwarzer, Directrice du programme Europe, German Marshall Fund

Henri Sterdyniak, Conseiller scientifique, OFCE

Contributions

L’avenir du projet européen – Thierry Chopin et Jean-François Jamet – Fondation Robert Schuman
Les défis majeurs auxquels les Européens sont confrontés – terrorisme, crise migratoire, ou sur un autre registre crise de la zone euro, risque de « Brexit », montée des populismes anti-européens – appellent à repenser et à relancer la construction européenne. Ces différents défis ne doivent pas être traités séparément, de manière fragmentée, mais au contraire mis en perspective et abordés de manière articulée.

Deux contributions de Viviane de Beaufort – Directrice du Centre Européen de Droit et d’Économie de l’ESSEC

  • Contribution 1 : J’ai mal à l’Europe
  • Contribution 2 : Au-delà des aspects économiques, l’Europe modèle de civilisation et citoyenne du monde ?

Six propositions pour un nouveau Six-Pack – Marc Wagener et Muriel Bouchet – IDEA Think Tank
A l’heure où l’Europe menace de s’échapper, plutôt que de céder à la résignation ou à l’«Europe bashing», fort présents et auto-entretenus actuellement, bien que des progrès décisifs aient été accomplis depuis la crise en matière de gouvernance, nous avons tâché de formuler des remèdes constructifs, complémentaires à ceux qui figurent dans le « Rapport des 5 Présidents ». Ces six propositions pour un «nouveau Six-Pack» constituent un tout insécable et visent à « lancer le débat ».

A quand l’eu(ro)-phorie ? – Samuel Ruben et Thibault Laurentjoye – Économistes
Le titre de la publication (sortir de l’ambiguïté constructive) pose la question cruciale : comment transformer l’Europe (économique, monétaire, politique) d’un machin non clairement identité – dont on doute de la pérennité et du bienfondé – en une machine – en laquelle on pourrait avoir confiance ? Il y a eu à ce sujet un nombre impressionnant de rapports, de notes, de manifestes, de livres, de discours, d’initiatives qui n’ont toujours pas permis d’inverser la tendance du doute (fondé) dans la capacité des institutions européennes en place à «délivrer du mieux et du bon», de telle sorte que l’euro-phorie n’existe quasiment nulle part, et que l’euro-pessimisme monte dans de nombreux endroits

Confier à la BCE la surveillance des bulles spéculatives – Sébastien Laye – Chercheur associé – Institut Thomas More
Ce sont les années 1970 qui ont imposé aux banques centrales un objectif d’inflation qui n’a plus lieu d’être. A nouveaux problèmes, nouvelle solutions. Nous avons désormais compris que nous pouvions certes créer de la croissance et de l’emploi avec un engouement spéculatif des entrepreneurs et des investisseurs pour de nouveaux projets, mais qu’il nous fallait surveiller de près et encadrer ces ferveurs régulières; l’objectif de la BCE devrait donc être la surveillance des bulles spéculatives.

10 points clés sur la crise de l’Europe et les conditions de son renouveau – Jean-Sylvestre Mongrenier – Institut Thomas More
La crise de l’Europe est un puissant révélateur. Le Vieux Continent est l’arène d’un combat entre pouvoir fédératif et nationalisme, et la victoire des forces de dislocation serait celle du chaos. En toile de fond, le nihilisme des sociétés post-modernes. Il n’y aura pas de Commonwill européen sans un axe franco-allemand, au cœur d’une Union à géométrie variable. L’objectif à terme doit être d’assumer des responsabilités dans l’environnement géopolitique de l’Europe.

L’Europe devrait avoir pour Projet  d’être la 1ère puissance mondiale – Guillaume Bruyas
Les principaux pays d’Europe ont une Histoire dont ils peuvent être vraiment très fiers ! L’Angleterre, la France, l’Espagne et le Portugal ont découvert et conquis le monde et ont associé de nombreuses populations à leur développement. Les Européens ont aussi développé les sciences et l’industrie, retrouvé la démocratie hellénique et ont étendu les droits des citoyens aux femmes.

Remettre l’euro sur ses rails – Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak – Économistes à l’OFCE
Depuis 1999, les pays de la zone euro partagent une monnaie unique. Le creusement des déséquilibres de 1999 à 2007, la grande dépression, la crise des dettes publiques des pays du Sud, ont mis en évidence les défauts de l’organisation de la zone.

 

Retrouver les chemins de la démocratie – Xavier Timbeau – Terra Nova
Le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne va induire un choc plus politique qu’économique. Il sera en effet difficile de contenir les demandes de consultation similaire. Répondre à ces demandes par « plus d’Europe » ne fera qu’alimenter la distance entre les peuples et la construction européenne. Penser que des référendums pourraient au contraire légitimer le statu quo serait également une erreur.

Deux contributions de Rémi Bourgeot – Chercheur associé à l’IRIS

  • Contribution 1 : Le Brexit et l’Europe : la tour de Babel du libéralisme
  • Contribution 2 : Normalisation de la Zone Euro : de la réalité au mythe

Appel du 9 Mai – Une feuille de route pour une Nouvelle Renaissance Européenne – Léna Morozova-Friha d’Europa Nova – Mouvement du 9 mai
Dans un monde traversé par des défis géopolitiques, sécuritaires, migratoires, climatiques ou économiques transnationaux, une Europe unie et puissante est plus nécessaire que jamais. Respectueuse des diversités nationales, garante des droits fondamentaux, capable d’intégrer les immigrants, de créer des emplois, de réduire les inégalités et d’influencer le cours du monde, l’Union européenne doit devenir une grande puissance démocratique, culturelle, écologique et économique, dans un monde multipolaire où les Européens ne représenteront bientôt plus que 5 % de la population totale.

La cohésion sociale est en panne en Europe – Michael Dauderstädt et Cem Keltek – Friedrich Ebert Stiftung
La crise de l’Europe sociale, qui dure depuis quelques années, n’est pas terminée. En 2014, les inégalités ont continué de s’accroître au sein de chacun des États membres, particulièrement en Allemagne. A l’échelle de l’Union européenne toute entière, la cohésion sociale ne progresse pas non plus, même si la croissance des pays les plus pauvres s’est située un peu au-dessus de la moyenne de l’UE.

Une Europe forte ? avec un projet qui nous emmène loin ? C’est le moment ! – Isabelle Amaglio-Térisse
L’Europe semble être dans la tourmente, chaque semaine apporte son lot d’inquiétudes et de détournements de notre cadre communautaire. L’Europe serait à l’agonie ? Non, c’est l’inverse : il s’agit d’une crise dans la maturation du processus de construction européenne. Le volet économique européen l’illustre.

Renforcer l’influence de la France au sein de l’Union européenne – Béligh Nabli – Chef de projet – France Stratégie
La France est à la fois un État souverain et un État membre de l’Union européenne. Les deux qualités sont compatibles. C’est l’hypothèse constitutionnelle défendue par le Titre XV de notre Loi fondamentale. Il n’empêche, l’État a dû s’adapter à ce nouveau trait de son identité juridique.

Pour une Europe bien grée et transparente – Mensuel Société civile – Fondation iFRAP
La Fondation iFRAP demande une Europe plus efficace, plus transparente et qui applique les principes qu’elle entend promouvoir auprès des États membres. Traitement des agents, des commissaires européens, des parlementaires européens, régimes de pensions, modalités de paiement de l’impôt des agents et des parlementaires, place des agences, la Fondation iFRAP formule douze propositions.

liste des contributions
Appel à contribution
Veuillez vous connecter sur une tablette ou un ordinateur pour accèder au formulaire.

Toutes les parties prenantes au débat public sont invitées à s’exprimer, à confronter leurs constats au diagnostic élaboré par les experts de France Stratégie, à présenter leurs analyses et à formuler des propositions. DÉPOSEZ VOTRE CONTRIBUTION AVANT LE 16 JUIN 2016. 

Qui peut contribuer ? Comment contribuer ?  Comment promouvoir votre contribution ? Toutes les conditions disponibles ici.

MESSAGE
2 + 2 =
Synthèse des contributions et du débat

Mercredi 22 juin 2016

France Stratégie a initié en concertation une réflexion approfondie sur l’avenir de la construction européenne. Les contributions recueillies dans ce cadre comme les interventions lors du débat public organisé par France Stratégie ont mis au jour la vision d’une Europe arrivant au terme d’une époque. L’état des lieux proposé a rassemblé un consensus large, celle d’une crise dont les effets ne s’épuisent toujours pas sans pour autant susciter toutes les réponses communes nécessaires. Si le choix de la « pause » ni du « statu quo » n’ont été retenus, la voie du « possible » reste escarpée, les options diverses, les divergences fortes. Aux côtés des enjeux de l’élargissement et de la recherche d’un nouvel équilibre économique et social abordées partout, les contributions ont également fait une grande place à la question de la dimension démocratique.

Un diagnostic partagé et un appel au dépassement

La tonalité des débats comme l’unanimité des contributions n’a nullement remis en cause la sévérité du constat établi par France Stratégie dans sa note d’introduction, note qui met en lumière une série de défaillances prenant racine dans le caractère incomplet du projet monétaire européen, un marché intérieur aujourd’hui fragilisé et une Europe sociale qui n’a pas rempli ses objectifs initiaux.

La question de la « poly-crise » à laquelle se heurte l’Europe aujourd’hui a fait également parfaitement consensus, avec ses quatre principales dimensions que sont la crise des réfugiés, la crise sécuritaire, la crise politique (déficit de légitimité, montée des populismes) et une crise de la zone euro encore et toujours affectée notamment par les soubresauts de la situation en Grèce. Seul varie l’importance accordée à telle ou telle variable, ce qui concerne les réfugiés étant le plus fréquemment cité en premier.

Tous les échanges s’étant tenus avant le referendum du 23 juin Outre-Manche ayant abouti à la décision du peuple britannique de quitter l’Union européenne, la question du Brexit n’a pas été abordée frontalement même si la crainte d’une contagion a été évoquée à plusieurs reprises. Au fil des contributions, elle avait été citée généralement comme une hypothèse mais qui ne pouvait qu’inciter à une relance de la construction européenne, sur le motif de la crise comme opportunité. Seule une contribution en vient au pari du pire, celle d’une crise sciemment ouverte (par la France et ses alliées) pour s’écarter définitivement de ce qui est présenté comme une mantra « austérité budgétaire/réformes structurelles ».

Récusant la solution de la nationalisation face à des phénomènes qui dépassent les nations, plusieurs contributeurs se réfèrent à la nécessité d’une Europe sachant faire face à la mondialisation, allant jusqu’à préfigurer une gouvernance mondiale, forte de ses valeurs d’ouverture et de solidarité. Il est dans ce cadre souhaité un renforcement des outils existants dans des dimensions diverses, du plan Juncker à la (re)définition de la politique européenne d’asile.

La mise en avant des objectifs collectifs à la fois internes et externes  permet de regretter que l’Union européenne ne se pense pas suffisamment en termes stratégiques alors qu’elle devrait revendiquer une place plus grande sur la scène internationale en y faisant défendant davantage non plus tant ses seuls « intérêts » que ses « valeurs ». Une seule contribution prend dans ce cadre position en faveur d’une Europe des  Régions, jugée plus efficace et proche des citoyens européens. La disparition des Etats-nations permettrait dans le même élan l’élimination des systèmes parlementaires nationaux au profit d’une représentation renforcée des régions européennes et d’un système des partis revu.

Une ouverture européenne, mais laquelle ?

L’enjeu du périmètre d’action de l’Union européenne a mobilisé une grande partie des échanges lors du débat. L’élargissement a constitué la seule politique de stabilisation des pays à la périphérie de l’ensemble européen. Jusqu’ici, cette politique semble d’autant moins susceptible de reconduction à l’infini que sa capacité transformatrice est entamée. Le pilier de la politique de voisinage, le principe de conditionnalité, est jugé mis en cause au moment où la question des normes sécuritaires (face aux menaces, que ce soit le terrorisme ou l’activisme russe) prend le pas sur les normes démocratiques qui ont prévalu jusque-là, comme le montre également les relations avec la Turquie. Pire, il y aurait implosion simultanée des deux voisinages Nord/Sud et Est/Ouest.

L’Europe normative se retrouve face à une logique militaire contre laquelle elle est, par nature, démunie. Il faut donc repenser la question de l’intégration différenciée. Si Brexit il y avait, cela ne ferait qu’accroître l’urgence de la tâche. Si jusqu’à présent l’intégration a toujours  pris  le visage de pays qui vont de l’avant tandis que d’autres préfèrent ne pas partager les projets communs, le retrait du Royaume-Uni forcera, a-t-on estimé dans le débat, à repenser les modalités et la profondeur même de l’adhésion à l’Union européenne, et invite à envisager plus de flexibilité.

La solution de l’Europe à plusieurs cercles (jusqu’à trois en l’occurrence) n’est pas proprement nouvelle mais, alors que la crise des réfugiés est une nouvelle donne, elle n’a pas été réellement tranchée, certains craignant une duplication des institutions. Une des contributions dans une lecture plus géopolitique, s’est prononcée contre cette approche par cercles concentriques tout en soulignant le caractère central de la relation franco-allemande. Sur le même registre, au nom d’une nécessaire coopération, une autre contribution en appelle à une forme d’ « intergouvernementalité » franco-allemande.

Une alternative proposée durant le débat a été d’en arriver à ne bâtir des relations qu’avec les pays avec lesquels l’Europe travaille le mieux, au nom non  pas du « more for more » mais d’un « less for less », s’éloignant donc de la conditionnalité et induisant des schémas de partenariat différents qui ne seraient alors plus noués avec trop de précipitation selon certains contributeurs.

Une autre option, celle d’une intégration plus « soft » ou « faible » a elle amenée à s’interroger sur les quatre libertés fondamentales, et en particulier celle de la mobilité des personnes. Option qui a beaucoup interrogé d’autant qu’elle a été présentée par ailleurs comme une valeur-ajoutée et un avantage politique dont l’abandon aurait un coût, sur le plan symbolique et  également matériel sans que l’on soit complètement sûr que cela stoppe, au niveau électoral, la montée des populismes. A l’inverse, au nom d’un  « brassage de population » a  été souhaité un accès toujours plus grand des non nationaux au marché du travail, une portabilité accrue des droits à la sécurité sociale et une plus grande intégration du marché du logement.

Vers un nouveau visage de la zone euro ?

Le constat d’une incomplétude de l’architecture de la zone euro, révélé encore davantage par la crise, est partagé. Les disparités nationales qui perdurent, tant au niveau des intérêts que des stratégies, ont été actées et le débat a également fait référence à une mondialisation qui creuse les inégalités dans un contexte d’insuffisance globale de la demande à laquelle l’Europe est peu préparée. Frappées de plein fouet, les classes populaires deviendraient de plus en plus protectionnistes.

A été exprimé à plusieurs reprises le souhait de voir parachever l’intégration de la zone euro, considérée comme le levier de diminution des inégalités. Mais redoutent que la zone euro ne puisse éliminer les divergences en son sein ni par un système de transfert entre les Etats membres en bonne situation financière et les autres Etats membres qui ne le seraient pas, ni par une unification des systèmes d’indemnisation du chômage. Cela met en exergue le choix stratégique proposé par France Stratégie entre une capacité à créer de la prospérité via des politiques plus ciblées dans le cadre de l’Union économique et monétaire et la mise en place de nouveaux éléments institutionnels jugés seuls véritablement à même de faire avancer la zone vers la résolution à terme de ses difficultés profondes.

Aux côtés de l’option évoquée d’une Banque Centrale européenne (BCE) chargée des taux  de surveiller les bulles spéculatives grâce à une batterie d’indicateurs, la nécessité d’une plus

grande coordination a été mise au débat. En améliorant la confiance, cette coordination renforcée, s’appuyant sur ce qui existe déjà, permettrait selon certains de venir à bout de difficultés sans porter atteinte aux souverainetés nationales. Dans cette hypothèse, le policy-mix doit obligatoirement être consolidé. Cela suppose d’autres règles de fonctionnement des semestres européens. Il importe de privilégier au début de chaque semestre une analyse fine et non contingente  des conditions macroéconomiques prévalant au sein de la zone dans son ensemble comme dans chaque Etat membre grâce à la mobilisation d’une cellule d’experts qui passerait par la mise en réseau des Hauts Conseils aux finances publiques nationaux. Ceci favoriserait des ajustements plus symétriques avec le soutien d’un fonds de stabilisation comme présenté par l’Institut Notre Europe-Jacques Delors.

A ce modèle a été en particulier opposé un modèle totalement décentralisé, qui, dans un contexte de taux d’endettements très bas, devrait reposer sur l’abandon de l’actuel traité budgétaire et du pacte de stabilité et de croissance, ainsi que d’une gouvernance essentiellement fondée sur les règles, puisque les écarts de production ne sont pas mesurables en temps réel. Chaque Etat membre poursuivrait alors la politique budgétaire de son choix, sous réserve de ne pas nuire à ses voisins (respect des niveaux d’inflation, suivi des objectifs de balances courantes), tandis que la Banque Centrale Européenne serait confortée dans un rôle de prêteur de dernier ressort permettant aux Etats membres d’émettre une dette publique sans risque. Ceci s’accompagnerait de grands projets européens s’inscrivant dans la transition écologique. Pour d’autres, ce sont la création d’un Trésor européen et la mutualisation des dettes publiques  qui pourraient résoudre la question de la soutenabilité de ces dernières.

Ces propositions n’ont pas manqué de faire réagir les participants au débat au motif de l’opposition toute aussi émotionnelle que résolue en Allemagne à toute aide financière européenne versée « prématurément » au risque de freiner tout effort de réforme dans les Etats membres. De même le souhait exprimé d’une Allemagne moins compétitive avec des salaires en hausse et investissant davantage a été jugée comme susceptible de se heurter à la règle constitutionnelle de frein à l’endettement décidée par la grande coalition dans son ensemble.

Au final, l’option d’une avancée par les institutions conformément au schéma formulé par le Rapport des 5 Présidents mais en allant plus loin dans un parallèle avec la politique commerciale de l’Union déjà très intégrée, a fait l’objet d’un débat soutenu. Cela peut se faire par une évolution à la marge, en révisant les missions de l’Eurogroupe et les prérogatives de son Président, ou de manière plus ambitieuse.

La question des initiatives économiques, sociales et fiscales, telle que soulevée par France Stratégie a été de nouveau posée. C’est l’hypothèse d’une nouvelle politique industrielle, fondée sur une croissance décarbonnée qui a été la plus mise en avant, ainsi qu’une politique industrielle repensée. Paradoxalement, le chantier numérique n’a été  que très faiblement cité tandis que la politique agricole commune ne l’a pas été du tout. Au nom du renforcement de l’investissement, le plan Juncker a été jugé insuffisant.

La France est traditionnellement sensible à la question de l’Europe sociale et ceci se retrouve au fil des contributions. Face à la crise de la cohésion sociale inversant la dynamique de prospérité prévalant avant 2007, certains ont appelé à une approche politique combinée, de redistribution à l’intérieur des Etats membres mais aussi entre Etats membres, via un budget européen plus important et autonome en termes de financement. La proposition d’une assurance-chômage européenne parait séduire davantage que celle du salaire minimum européen.  Sur le plan fiscal, sur fond d’une union des marchés de capitaux en devenir, c’est un cadre commun pour les entreprises européennes que certains réclament.

D’un point de vue plus global, a été également suggérée une refondation du libéralisme européen lui-même qui aurait désormais pour principale mission la protection des citoyens contre les excès et les insuffisances des systèmes politiques économiques et sociales. Ce libéralisme reconnaitrait aussi les limites à la fois du marché et de l’Etat, comme celles, respectivement, des exigences de sécurité, de liberté et d’identité.

La délicate affirmation de la dimension démocratique

Si la défiance des citoyens européens envers l’Union est un fait mentionné par tous, au fil des contributions et des débats, la manière d’y répondre ne fait pas consensus.

Il y a tout d’abord la manière « classique », qui consiste à raviver un certain nombre de propositions sur la table depuis un certain temps et renvoyant au développement d’un « affectio socetatis » largement déficient. La palette en est large :

  • un enseignement de l’Europe à l’école, depuis l’apprentissage des langues jusqu’au développement d’un « Erasmus des Collégiens » en passant par la création d’une année civile à la fin des études secondaires sur le modèle allemand ;
  • une communication différente sur les questions européennes : de la création d’une application pour smartphone en se concentrant sur les exemples concrets du quotidien, de la plus grande visibilité des questions européennes dans les journaux gratuits, les radios et chaines de télévision grand public, jusqu’à la mise en place d’une agence de presse européenne ;
  • une utilisation des symboles pout éveiller un « désir d’Europe » : de la rédaction d’un code civil européen, de l’apparition d’une carte nationale d’identité, à l’instauration du 9 mai comme jour férié dans toute la zone euro, aux côtés de la constitution d’une armée européenne.

Mais c’est surtout la question des initiatives concrètes qui a mobilisé. La liste des obstacles auxquelles les citoyens Européens se heurtent dans l’exercice de leur droit à la circulation est rappelée au fil des contributions. Au-delà, le besoin d’une meilleure compréhension par les peuples des politiques menées au niveau communautaire est très largement soutenu. La question de la nécessaire transparence des institutions européennes suggère une série de propositions tenant au fonctionnement même des institutions communautaires et des dépenses administratives qu’elles génèrent, en évoquant la diminution des personnels sous statut, la publication d’un bilan social et la réduction du nombre de Commissaires européens.

Bémol et contrepoint, une contribution juge que cette visibilité plus grande de l’Europe au quotidien ou qu’une amélioration de certaines variables (assurance chômage commune, coordination des politiques budgétaires, garantie des dépôts dans le cadre d’une union bancaire parachevée) ne sera pas suffisante. La légitimité par les résultats et l’efficacité serait tout aussi illusoire que l’Europe puissance invoquée également dans quelques contributions. Ce n’est cependant pas pour autant que la voie des referendums dans les Etats membres serait plus satisfaisante,  car faite d’une dramatisation à outrance du « non » (qui ne peut que laisser des traces) pour obtenir un « oui » à la question posée.

L’idée, plutôt qu’une consultation binaire, serait d’organiser des débats à grande échelle dans (et entre) chacun des Etats membres, en mobilisant toutes les parties, et pas seulement les experts. Les sujets seraient globaux, centrés sur la seule zone euro (Quel négociateur avec la Grèce ? Quelle coordination budgétaire ?), ou sur toute l’Union (Quelles frontières ? Quelle résolution pour les dettes souveraines ?), sur le plan des principes (Quelle solidarité ?) ou des enjeux de court terme (Quelle attitude face à la crise des réfugiés ?).

Cette appropriation démocratique, sujet par sujet, au-delà de la lettre formelle des traités permettrait de légitimer l’acquis et d’ouvrir la voie vers autre chose, sans le « va-tout »  du saut fédéral, récusé ici comme impossible à court terme.