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Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs

À quoi ressemblera le travail demain ? Serons-nous tous entrepreneurs nomades ? Le contrat commercial aura-t-il remplacé

le contrat de travail ?

ENJEUX
DÉBAT &
CONTRIBUTIONS
SYNTHÈSES DES DÉBATS
Résumé

Les mutations du travail s’accélèrent. Les parcours professionnels sont davantage heurtés, assortis de changements de statut, d’épisodes de chômage et de pluriactivité récurrents, les contrats courts dominent l’embauche. Parallèlement s’observent un certain renouveau du travail indépendant et, depuis peu, l’émergence des plateformes numériques qui conduisent à une diversification des formes d’emploi. Une transformation de la nature même de l’entreprise et du travail se profile. Ces mutations fragilisent certains salariés demandeurs de stabilité,mais elles rencontrent aussi les aspirations d’actifs en quête d’autonomie. Jusqu’où ce mouvement se poursuivra-t-il ? L’ampleur que prendra ce phénomène dans les années à venir est encore incertaine, mais le potentiel des plateformes est considérable et porteur de transformations profondes.

Le droit du travail doit répondre à ces mutations. Il faudra bâtir un cadre adapté aux intermittences de parcours que connaissent aussi bien les nouveaux indépendants que les salariés précaires. L’enjeu est également décisif pour la protection sociale, dont la construction et le financement reposent sur le modèle du CDI à temps plein,et qui de ce fait pénalise aujourd’hui la discontinuité des carrières. L’accès aux droits sociaux dépend fortement des statuts et des parcours, pour des raisons essentiellement historiques.

De nombreuses évolutions ont déjà eu lieu : la protection sociale est devenue plus universelle et la loi a rattaché au salariat plusieurs professions qui se situaient à la lisière du travail indépendant (travailleurs à domicile,journalistes, etc.). Les actifs demeurent toutefois très inégalement protégés, et ces écarts risquent de s’accroître à l’avenir, notamment en matière de continuité du revenu, de droit à la formation et de retraite.

Il faut donc ouvrir le débat pour inventer des solutions susceptibles de garantir les droits, de protéger les actifs et de sécuriser les transitions professionnelles dans ce nouveau monde du travail. Trois grandes options sont envisageables : adapter les statuts existants, créer un statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant traditionnel, inventer un statut de l’actif.

17-27- Avenir au travail - Graphiques

Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes en emploi (hors secteur public) de 15 ans ou plus(âge au dernier jour de la semaine de référence).

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La note « Enjeux » – « Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs »

Les données de la note « Enjeux » – « Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs »

La remise en cause de l’emploi salarié stable à plein temps

Les interrogations sur l’avenir du travail touchent à son volume (jusqu’où les robots vont-ils se substituer au travail humain ?), à son rôle dans la formation des identités sociales (comment nous définirons-nous demain ?), à sa qualité (quelles conditions de travail, quelle autonomie pour les salariés ?), à la distribution des emplois (va-t-on vers une polarisation du marché du travail avec une masse croissante d’emplois soit très qualifiés, soit très peu qualifiés et, entre les deux, une raréfaction des emplois de qualification intermédiaire ?), à leur stabilité (quelle permanence pour les postes de travail, quelle durée pour les contrats ?), au statut des actifs enfin (quelles parts pour le salariat, le travail indépendant, les nouveaux statuts d’intermittence ? Le contrat commercial remplacera-t-il, à terme, le contrat de travail ?)[2].

Il s’agit d’une interrogation d’ensemble parce que les mutations, qu’elles soient induites par la technique, le management des entreprises ou les comportements des actifs, affectent simultanément tous ces paramètres. Si on choisit ici de l’aborder sous l’angle de la stabilité et du statut, c’est pour deux raisons.

D’abord parce que l’emploi salarié stable à plein temps a fourni aux sociétés d’après-guerre le socle sur la base duquel se sont constitués tant le droit du travail que la protection des actifs[3]. La mise en cause de la centralité de ce modèle est donc porteuse de profonds ébranlements dans l’édifice des régulations sociales.

Ensuite parce que les nouvelles formes de travail – certes encore extrêmement minoritaires, mais au potentiel important – induites par l’économie des plate formes remettent en cause ce socle. Avec les nouveaux modèles de travail sont en effet en question tant l’exclusivité et la durée que la nature du lien entre les apporteurs de travail et les entités – on ne sait pas s’il faut les qualifier d’entreprises – qui organisent leur activité.

Les interrogations sur l’avenir du modèle de l’emploi salarié stable à temps plein ont bien évidemment précédé les plateformes numériques. Si ce modèle demeure largement majoritaire, il subit en effet un certain effritement aux marges[4] :

Les transitions par le chômage sont devenues plus fréquentes. Une enquête de 2006 indique que, parmi les actifs nés avant 1950, moins du quart ont fait l’expérience du chômage au cours de leur vie professionnelle, alors que, pour les générations nées à partir des années 1960, bien que plus jeunes au moment de l’enquête, près d’une personne sur deux a déjà connu des épisodes de chômage (graphique 1).

• De plus en plus d’embauches se font en contrat à durée limitée et sur des périodes d’emploi de plus en plus courtes. La part de ces contrats dans l’emploi globalreste néanmoins stable.

 

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• L’entrée dans la vie active est marquée par l’instabilité. Les moins de 30 ans en emploi ont deux fois et demie plus de risque d’être au chômage l’année suivante que les 30 ans et plus. Les jeunes sont, en effet, plus souvent en contrat à durée limitée. Or les employés en CDD ou en intérim ont huit fois plus de risque d’être au chômage l’année suivante que les salariés en CDI (graphique 2).

Le temps partiel s’accompagne souvent d’une insuffisance du revenu. Les travailleurs à temps partiel, notamment lorsque celui-ci est « subi », ont un risque de pauvreté deux fois plus élevé que les salariés à temps plein[6].

Un début de regain du travail indépendant s’observe. Après des décennies d’essor du salariat, depuis le début des années 2000, les travailleurs non salariés sont de plus en plus nombreux chaque année[7]. (INSEE Emploi et revenus des indépendants.) Leur part dans l’emploi progresse faiblement en France, fortement aux Pays-Bas et au Royaume-Uni (graphique 3).

• La polyactivité s’est développée (15 % des non-salariés cumulent plusieurs activités).

L’emploi salarié à temps plein en CDI représente aujourd’hui 61 % du total de l’emploi marchand. Les formes non standards restent minoritaires, mais significatives pour certains segments du marché du travail (graphique 4).

Cette situation, qui résulte pour partie des transformations économiques et pour partie des institutions du marché du travail, crée des conditions propices au développement de nouvelles formes d’emploi – auto-entrepreneurs, travailleurs sur plateforme, contrats courts – en complément ou en substitut de l’emploi salarié traditionnel[8].

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1. Rouxel C. et Virely B.(2012), « Les transformations des parcours d’emploi et de travail au fil des générations », Emploi et salaires – Insee Références.

2. Jolly C. et Prouet E.(coord.) (2016), « L’avenirdu travail : quelles redéfinitions de l’emploi, des statuts et desprotections ? », Document de travail, n° 4, France Stratégie, mars.

3. On a pu, à cet égard,parler de société salariale :Aglietta M. et Brender A.(1984), Les Métamorphoses de la société salariale. La France en projet, Paris, Calmann-Lévy ; Castel R.(1995), Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, coll.« L’espace du politique ».

4. Flamand J. (2016), « Dixans de transitions professionnelles : un éclairage sur le marché du travail français », Document de travail, n° 3, France Stratégie, mars.

5. Le champ géographique et la population étudiée sont différents des estimations de l’Insee des indépendants, qui envisage l’ensemble de la population en emploi sur la France entière. Les travailleurs indépendants au sens d’Eurostat ne comprennent pas les travailleurs familiaux.

6. Source : SILC, Eurostat.

7. Hors agriculteurs, leur nombre a même augmenté plus vite que celui des salariés entre 2001 et 2008 (+ 0,8 % par an, contre + 0,5 %), soit avant la crise économique et avant la mise en place du statut d’auto-entrepreneur.

8. Landier A., Szomoru D. et Thesmar D. (2016),« Travailler sur une plateforme internet. Une analyse des chauffeurs utilisant Uber en France ».

Le modèle social face aux transformations du travail

Notre système de protection des actifs est largement adossé à l’exercice d’une profession (les cotisations sociales sur les revenus du travail donnent droit à assurance contre les risques), au statut de salarié (plutôt qu’indépendant) et à une certaine stabilité dans l’emploi. Il en résulte que l’accès aux droits sociaux dépend des statuts et des parcours.

Les indépendants cotisent moins que les salariés, leurs assurances contre les risques sont donc plus faibles et leur statut ne leur permet pas de bénéficier d’une assurance contre la perte de revenu, sauf à financer une assurance privée.

En principe, seul le lien de subordination, c’est-à-dire la soumission à l’autorité de l’employeur pour le salarié – par opposition à la liberté d’organiser son travail qui caractérise l’indépendance statutaire –, donne droit à l’application des protections du droit du travail (salaire minimum, formation, encadrement de la rupture du contrat, santé et sécurité au travail, contrôle de la durée du travail et congés…).

Les droits acquis s’accroissent avec l’ancienneté dans un statut (par exemple pour les indemnités chômage) ou dans l’entreprise (par exemple pour les indemnités de licenciement et les droits à congés).

Enfin, les pensions de retraite sont d’autant plus élevées que l’emploi a été salarié (ou fonctionnaire) et la carrière continue (sans périodes d’inactivité et de chômage).

Ces dispositions ont évolué pour prendre en compte l’incidence croissante des discontinuités de carrière, liées en particulier à l’apparition du chômage de masse et à la flexibilisation subie du travail, et pour répondre au développement de métiers ou de relations de travail à la lisière du salariat et du travail indépendant. D’une part, la protection sociale est devenue davantage universelle, en particulier pour la branche famille et la couverture maladie de base, et des mécanismes d’assistance pour les plus démunis ont été créés.

D’autre part, la législation a rattaché partiellement ou totalement au salariat et au régime général de la sécurité sociale certaines professions ou organisations à la frontière entre salariat et travail indépendant (travailleurs à domicile, gérants de succursales, journalistes, artistes, VRP, coopératives d’activité et d’emploi, portage salarial). (Voir l’annexe dans l’encadré + : Les frontières du salariat : cadre juridique et illustration.)

En dépit de ces évolutions, les écarts de protection entre les actifs restent forts. Ils dépendent encore très largement du statut (salariat/travail indépendant) et du degré de continuité des trajectoires. Les parcours heurtés, souvent assortis de changement d’état ou de statut, impliquent des ruptures de droits qui conduisent à de fortes inégalités de revenu de remplacement (chômage, retraite). Ainsi, près d’un chômeur sur deux n’est pas indemnisé. En matière de retraite, les actifs ayant eu des carrières complètes sont, bien évidemment, largement avantagés.

Si certaines réformes ont réduit l’incidence des aléas de carrière sur l’acquisition des droits, d’autres l’ont renforcée (augmentation de la durée retenue pour le calcul du salaire de référence, allongement de la durée d’assurance requise). Dans un contexte où le niveau des pensions par rapport aux salaires[9] devrait décroître à long terme, ces évolutions pourraient être particulièrement préoccupantes pour les carrières intermittentes.

Pourtant, le statut d’indépendant peut s’accompagner d’un niveau et d’une variabilité des revenus comparables à ceux des salariés précaires, sans que la faiblesse des droits sociaux soit compensée par la détention d’un patrimoine. Les auto-entrepreneurs (qui représentent près d’un non-salarié sur quatre[10]) ne gagnent que 460 euros par mois en moyenne, contre 3 100 euros pour les autres indépendants (hors agriculture), et la moitié des non-salariés dont le revenu est positif déclarent moins de 2 070 euros mensuels[11].

En résumé, le droit de l’activité professionnelle et la protection sociale se sont construits sous une double hypothèse normative : une stricte séparation entre non-salariés et salariés ; et, pour ces derniers, la prédominance du travail à temps plein au sein d’une même branche, et souvent au sein d’une même entreprise. Les adaptations qui ont été introduites au fil du temps pour tenir compte des mutations du travail n’ont jamais fondamentalement remis en cause cette double hypothèse. Elle est pourtant de moins en moins vérifiée.

9. C’est-à-dire le taux de remplacement qui rapporte le montant de la retraite perçue au salaire de fin de carrière. Cf. rapport annuel du COR de juin 2015.

10. Omalek L. et Rioux L. (2015), « Emploi et revenus des indépendants », Insee.

11. Omalek L. et Rioux L. (2015), op. cit

Les frontières du salariat

Définition du salariat

En droit du travail, la jurisprudence définit le salariat en repérant, en fonction des éléments de faits, l’existence de plusieurs critères constitutifs du contrat de travail : une prestation personnelle de travail, une rémunération, un lien de subordination. Ce dernier est « caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». Si ces trois critères sont réunis, il y a salariat, et les dispositions relatives au contrat de travail doivent s’appliquer (notamment en termes de conclusion et de rupture du contrat, de durée du travail, de salaire, de protection de la santé au travail,de droits d’expression, d’accès à l’assurance chômage et à la retraite, etc.).

Rattachement au salariat

Rattachement par le juge : L’existence d’un contrat de travail ne dépend pas de la dénomination donnée au contrat par les parties. Elle dépend « des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ». Le juge a donc la possibilité de requalifier en salariat toute relation de travail, en fonction de l’existence effective des critères constitutifs du contrat de travail.

Rattachement par la loi : Dans certaines situations, où l’existence effective d’un contrat de travail est ambiguë, notamment du point de vue du lien de subordination, le législateur a choisi d’inscrire dans la loi le rattachement de ces catégories au salariat, sous différents formes:

  • par la qualification légale du contrat. La relation de travail est présumée salariale. Le Code du travail s’applique,avec parfois des exceptions pour certaines dispositions spécifiques. Exemple : journalistes, artistes, mannequins,VRP (voyageurs, représentants, placiers) ;
  • par une assimilation au salariat : sous certaines conditions, la loi prévoit l’application de certaines dispositions à différentes catégories de travailleurs : gérants de succursale (dont gérants non salariés de succursales de commerces alimentaires), concierges, travailleurs à domicile, assistants maternels et familiaux ;
  • le législateur a également qualifié de salariat les « entrepreneurs salariés associés d’une coopérative d’activité et d’emploi » et le contrat qui lie une entreprise de portage salarial et le travailleur « porté » par celle-ci.

La définition du lien de subordination est commune au droit du travail et au droit de la sécurité sociale. Le droit de la sécurité sociale fait toutefois preuve d’autonomie en assimilant à des salariés un plus grand nombre de travailleurs indépendants.En particulier, l’article L. 311-3 du Code de la sécurité sociale rattache au régime général les différentes professions présumées ou assimilées au salariat par le Code du travail (travailleurs à domicile, VRP, journalistes, artistes, les entrepreneurs salariés des coopératives d’activité et d’emploi…) ainsi que d’autres professions ou activités (sous-agents d’assurance,ouvreuses, accueillants familiaux, gérants non salariés des coopératives, gérants de sociétés à responsabilité limitée, les personnes ayant souscrit un service civique, les arbitres sportifs…).

Hors salariat

Au contraire, dans d’autres situations où le rattachement au salariat n’est pas souhaité, le législateur a voulu limiter lesrisques de requalification. Il a créé une présomption de non-salariat, notamment pour les personnes physiques immatriculéesau registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, etc. Néanmoins, il s’agit d’une présomption simplequi disparaît lorsque, au cas par cas, les faits permettent d’établir l’existence d’un contrat de travail.

Enfin, certaines activités se trouvent à la lisière entre salariat et bénévolat. Pour limiter également les risques éventuels de requalification, le législateur a spécifié la nature de ces contrats. Ainsi pour le service civique, le Code du service national(art. L. 120-7) précise que le contrat « organise une collaboration exclusive de tout lien de subordination entre l’un des organismes (…) et la personne volontaire. Le contrat ne relève pas des dispositions du Code du travail ». Pour les stagiaires, le Code de l’éducation spécifie (art. L. 612-8) que le stage est régi par une convention et que « le stagiaire ne relève pas des dispositions du Code du travail ».

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Quelle diversification des formes d'emploi demain ?

Les mutations du travail sont appelées à s’amplifier dans la décennie à venir, mais une grande incertitude pèse sur le volume d’emploi en cause.

L’importance des statuts particuliers – contrats à durée limitée, notamment – est pour partie tributaire de la législation du travail et en particulier des caractéristiques du contrat de référence. Il importe donc de ne pas prendre les développements endogènes induits par l’état de la législation pour des transformations structurelles résultant des mutations techniques ou sociologiques.

Pour être plus précis, c’est largement l’interaction entre mutations technologiques et comportementales, d’une part, et institutions du marché du travail et de la protection sociale, d’autre part, qui déterminera le développement relatif des différentes formes d’emploi. C’est pour cette raison qu’il faut prendre la mesure des mutations à venir afin de déterminer le type de réponse qui peut leur être apporté.

17-27- Avenir au travail - Graphiques

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En France comme aux États-Unis ou dans d’autres pays, les projections de l’emploi par métiers ne laissent pas apparaître de rupture. Les évolutions se révèlent dominées par les grandes tendances économiques, démographiques et sociologiques : tertiarisation, essor des métiers de services et des métiers liés au vieillissement. En elles-mêmes, ces évolutions n’apparaissent pas de nature à induire une déformation significative dans la structure de l’emploi par statut : ni la part des contrats à durée limitée ni celle de l’emploi non salarié ne sont appelées à croître mécaniquement (graphiques 5 et 6). À cadre législatif constant, ces formes d’emploi non standards (autres que CDI) pourraient représenter a maxima un peu plus d’un quart de l’emploi contre 22 % aujourd’hui. (Voir annexe Projections des formes d’emploi à l’horizon 2027 : précisions méthodologiques.)

Mais rien ne permet d’exclure une rupture plus radicale, sous l’effet concomitant de l’émergence de nouveaux modèles de coordination du travail du type plateformes, d’une demande des employeurs enclins à se délier de leurs coûts salariaux fixes, de pratiques des actifs plus autonomes ou visant à compléter des revenus salariaux trop faibles et d’une évolution des réglementations. Dans ce cas, la proportion d’indépendants pourrait croître à un rythme comparable à celui des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne (en hausse respectivement de 6 et 4 points de pourcentage depuis quinze ans, graphique 3). Les formes émergentes sont aujourd’hui quantitativement insignifiantes (Uber, la plateforme la plus développée en France, compte environ 15 000 chauffeurs), mais de fortes incertitudes demeurent sur le volume potentiel de travail concerné à horizon de cinq dix ans et, partant, sur la capacité disruptive de ce nouveau modèle. Il serait donc imprudent de sous-estimer son potentiel. Il combine en effet deux innovations qui peuvent s’appliquer à un très grand nombre de services : une organisation biface qui met en relation directe consommateurs et prestataires de services et qui redéfinit le modèle de l’entreprise, et la notation par les utilisateurs, qui se présente comme une solution possible au problème de garantie de qualité.

Le statut des travailleurs sur plateforme est dans les faits variable (certains sont auto-entrepreneurs, d’autres salariés de sociétés prestataires de services, et ils peuvent cumuler cette activité avec une autre, comme salariés ou non-salariés). Ce modèle peut par ailleurs s’appliquer aussi bien à des professionnels offreurs de services à haute valeur ajoutée, demandeurs d’autonomie, ou s’imposer à des actifs faiblement qualifiés, offreurs par exemple de services aux ménages, en substitution d’un emploi salarié.

Il pourrait résulter de l’élargissement des formes d’emploi, et notamment du développement de ces plateformes, une plus grande intermittence des parcours (déjà plus prononcée pour les salariés qui cumulent des contrats à durée limitée et pour certains indépendants[13]), un accroissement de la mise en concurrence des travailleurs et, partant, une volatilité accrue de leurs revenus.

De façon générale, désintermédiation et parcours précaires ou polyactifs pourraient également nécessiter de nouvelles formes de relations professionnelles. La polyvalence des lieux de travail et la polyvalence statutaire nécessitent de reconstituer des collectifs pour éviter l’isolement, mais aussi pour donner un cadre permettant de négocier les conditions d’emploi et de revenu. La représentation des indépendants précaires ou des salariés ayant de multiples employeurs sera sans doute un enjeu majeur, à l’avenir, pour organiser la négociation collective.

La nature du travail, qui permet l’ouverture des droits, risque par ailleurs de devenir de plus en plus malaisée à identifier. Difficile de définir ce qu’est une activité professionnelle quand les individus valorisent leur image, leur patrimoine et demain leurs données. Difficile également d’appréhender le temps et le lieu de travail des télé travailleurs, itinérants, nomades, alorsqu’il s’agit pourtant d’un préalable à leur couvertureen matière d’accident et de sécurité au travail.

Enfin, les réallocations sectorielles d’emploi vont accélérer les mobilités, nécessitant de sécuriser les transitions professionnelles et d’améliorer l’accès à la formation. L’accélération du changement technologique et de ses usages va en effet imposer soit des reconversions de métier soit une adaptation des compétences au sein des professions, qui pourraient être plus fortes que par le passé.

12. Groupe Prospective des métiers et qualifications (2015), Les métiers en 2022, rapport France Stratégie et DARES.

Projections des formes d’emploi à l’horizon 2027 : précisions méthodologiques

Les projections de la part de l’emploi non salarié et de l’emploi en contrat à durée limitée (intérim et CDD) se fondent sur les projections d’emplois par métiers réalisées conjointement par France Stratégie et la Dares dans le cadre de l’exercice de Prospective des métiers et des qualifications (PMQ). Plus précisément, pour chacune des 88 familles professionnelles de métiers, la part de l’emploi non salarié et de l’emploi en contrat à durée limitée a été projetée pour la période 2015-2022 selon trois hypothèses : (1) la part de la forme d’emploi par métier suit sa tendance observée entre 2004 et 2013 ; (2) la part de la forme d’emploi par métier suit sa tendance observée entre 2004 et 2013 si elle est en hausse, sinon sa part est maintenue à sa valeur de 2013 ; (3) la part de forme d’emploi par métier est maintenue constante à sa valeur de 2013.

L’évolution de la part de ces formes d’emploi est mesurée à partir des enquêtes Emploi. Pour rendre les projections plus robustes, ces parts de formes d’emploi ont été estimées en moyenne mobile sur trois ans. Ainsi, la part des non-salariés dans un métier pour l’année 2013 correspond au nombre moyen de non-salariés dans ce métier pour les années 2012, 2013 et 2014 rapporté au nombre moyen de personnes ayant exercé ce métier au cours de ces mêmes années.

 

Ces parts de formes d’emploi ont ensuite été appliquées aux projections du nombre d’emplois par métiers résultant du scénario central de l’exercice PMQ à l’horizon 2022.

La projection de la part du non-salariat et des contrats à durée limitée pour la période 2022-2027 correspond, pour l’ensemble des métiers, au prolongement de l’évolution annuelle moyenne projetée entre l’année 2014 et 2022, dernière année pour laquelle les projections d‘emplois par métiers sont disponibles.

Dans la mesure où les projections des différentes formes d’emploi s’appuient sur le statut principal des travailleurs, la multiactivité n’est pas prise en compte. Aussi, cette méthode ne tient pas compte des éventuels effets de composition au sein de chaque métier, liés au sexe par exemple (degré de mixité au sein des métiers) en raison d’effectifs trop faibles au sein des 88 familles professionnelles.

Comment faire évoluer la protection des actifs ?

Les mutations du travail auxquelles il a été jusqu’ici répondu par des accommodements pragmatiques vont sans doute, au cours de la décennie 2017-2027, nécessiter des réponses plus structurelles. Cela concernera à la fois les protections liées à la relation de travail : négociation collective, nature du contrat, conditions de travail, temps de travail, droit d’expression, formation, etc. ; et les droits de la protection sociale : en particulier la couverture de la perte de revenu courant – perte d’emploi ou inactivité subie – ou différé – retraite.

Trois pistes peuvent être schématiquement envisagées :

  • conserver la distinction entre salariat et travail indépendant en adaptant le cadre actuel (par rattachement au salariat de certaines situations hybrides ; extension partielle de l’assurance chômage à certains indépendants et travailleurs précaires) ;
  • créer pour les nouvelles formes de travail un statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant traditionnel ;
  • envisager une refonte plus profonde des statuts et des protections qui y sont associées au sein d’un droit de l’activité professionnelle et d’un système de protection sociale unifié.

PREMIÈRE OPTION : AU FIL DE L’EAU, ADAPTER LES STATUTS EXISTANTS

La première possibilité est de continuer à adapter lecadre actuel aux transformations du travail, sans remettre en cause la distinction entre salariat et travail indépendant, mais en protégeant davantage les carrières marquées par des transitions et changements multiples de statuts. Pour cela, il conviendrait de prendre en compte les activités situées à la lisière de ces deux statuts, pour les inclure éventuellement au salariat et permettre de leur appliquer tout ou partie des droits du travail ou de la protection sociale, comme on l’a fait par le passé.

Il faudrait également ouvrir la couverture de risques de pertes de revenu à des actifs qui n’en bénéficient pas ou peu aujourd’hui (salariés précaires, indépendants aux faibles revenus). Cela impliquerait une redéfinition de l’assurance-chômage et des conditions d’ouverture des droits.

Enfin, il s’agirait d’organiser une meilleure portabilité individuelle des droits acquis au cours de la vie professionnelle, dans le cadre d’un compte personnel d’activité, et une meilleure prise en compte par l’assurance vieillesse des carrières pluristatutaires.

 

Cette option soulève plusieurs questions :

  • Jusqu’où peut-on assimiler au salariat des formes d’activité où le donneur d’ordre n’a pas ou peu de contrôle sur la durée du travail et sur les conditions de travail ? À l’inverse, faut-il assimiler au travail indépendant, et donc exclure de la négociation collective, des formes d’activité dans lesquelles une plateforme fixe le prix d’achat du travail pour des milliers de personnes ?
  • Quels travailleurs seraient concernés par l’extension des protections ?
  • Dans les activités de plateformes, comment distinguer les professionnels qui travaillent des simples amateurs qui proposent des biens ou des services en valorisant leur patrimoine (immobilier, par exemple) ?
  • Faut-il envisager une extension du système d’indemnisation chômage ? Quelles sources de financement trouver ?

DEUXIÈME OPTION : UN STATUT INTERMÉDIAIRE ENTRE SALARIAT ET TRAVAIL INDÉPENDANT TRADITIONNEL

À l’inverse, on peut juger, notamment si le nombre de métiers touchés par le développement des nouvelles formes d’emploi est trop important, qu’il n’est pas souhaitable d’allonger la liste des situations partiellement assimilables au salariat et au régime général, et envisager plutôt la création d’un statut juridique intermédiaire, hybride entre salarié et indépendant[14]. Certains pays l’ont par exemple fait en définissant une catégorie de « travailleurs indépendants économiquement dépendants » (c’est-à-dire réalisant une part majoritaire de leur chiffre d’affaires avec un seul donneur d’ordre). Ainsi, en Espagne, le statut de travailleur autonome économiquement dépendant s’accompagne d’une assurance pour incapacité temporaire ou arrêt d’activité, obligatoire, financée par le travailleur, de droits à congés, d’une obligation pour le client de justifier la rupture du contrat, etc. (Voir annexe Le travail indépendant économiquement dépendant. Les exemples de l’Italie et de l’Espagne.)

Le statut intermédiaire pourrait à la fois reconnaître l’autonomie du travailleur (liberté de choix de ses donneurs d’ordre, de son lieu de travail et de son temps de travail, par exemple) et donc exclure les domaines correspondants du champ du contrat, et reconnaître sa dépendance économique, en lui offrant des garanties minimales (droit à la négociation collective, protection contre le risque de perte de revenu, couverture accident du travail/maladie professionnelle, formation…).

Un seuil devrait alors être fixé pour définir cette dépendance économique, mais il pourrait néanmoins ne pas correspondre à toutes les situations. Certains prestataires peuvent ainsi avoir plusieurs donneurs d’ordre (pas de chiffre d’affaires réalisé majoritairement avec un seul commanditaire) et pourtant voir leur travail être très encadré (par exemple par une charte debonne conduite, des prix fixés et modifiés par la plateforme, des systèmes de notation/référencement, etc.).

Cette option pose donc elle-même des questions :

  • La notion de « travailleur indépendant économiquement dépendant » est-elle à même d’appréhender l’ensemble des situations intermédiaires ? D’autres définitions d’une catégorie intermédiaire sont-elles possibles, en particulier pour éviter les effets de seuil ?
  • Quelle serait la contribution financière des donneurs d’ordre (ou des plateformes) aux garanties de ces travailleurs « intermédiaires » ?
  • Quels risques de déstabilisation un tel statut est-il susceptible d’emporter pour les travailleurs des catégories préexistantes ?

Troisième option : vers un statut de l’actif

Une option plus radicale serait de définir un droit de l’activité professionnelle englobant les statuts existants. Le principe serait de dépasser la distinction entre salariat et travail indépendant par un statut global pour tous les actifs, attribuant des protections croissantes selon le degré de dépendance, tant en termes de droit du travail que de protection sociale[15], à partir d’un socle minimal commun[16].

Ce droit de l’activité professionnelle serait à articuler avec le scénario d’un compte personnel d’activité a maxima qui déconnecterait l’ensemble des droits sociaux du statut d’emploi, les attachant uniquement à la personne et à son activité professionnelle.

Dans le même esprit, cette option impliquerait la création d’un régime unifié de retraite, au moins pour tous les actifs du secteur marchand si ce n’est pour l’ensemble des actifs, y compris les agents publics. Ce régime devrait être neutre à l’égard des secteurs et des statuts dans lesquels les droits ont été acquis. Il devrait assurer la parité entre mono-actifs et pluriactifs. Cette conception d’une protection unique et commune de tous les actifs conduirait donc à de profondes transformations dans l’architecture de la protection sociale, de son organisation (dans le sens d’une plus grande simplification) et de son financement.

Cette option ouvre les questions suivantes :

  • Comment déterminer les différents paliers de cette protection et les droits applicables à chaque niveau ?
  • Quels seraient le périmètre de l’activité professionnelle ainsi définie et l’assiette de financement de cette protection unique ?
  • Quel serait le niveau de la protection universelle ? Une telle option induirait-elle un partage différent entre assurance collective et assurance individuelle ? Pourrait-elle s’accompagner du même degré de redistribution ?

 

Auteurs :

Cécile Jolly

Emmanuelle Prouet

Vanessa Wisnia-Weill

13. D’ores et déjà, les cotisants aux régimes des indépendants (RSI) et des agriculteurs exploitants (MSA) ont plus souvent des carrières incomplètes.

14. Pour la France : Antonmattei P.-H. etSciberras J.-C. (2008),« Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ? », rapport au ministre du Travail, novembre. Pour les États-Unis : Harris S. et Krueger A. (2015),« A Proposal for Modernizing Labor Laws for Twenty-First-Century Work : The « IndependentWorker », The Hamilton Project, décembre.

15. Notamment développement de nouveaux droits à l’évolution professionnelle, garantie de revenu type revenu universel à articuler avec une assurance chômage modulable…

16. Notamment Supiot A. (2000), « Les nouveaux visages de la subordination», Droit social, février ; Barthélémy J. (2015), « Civilisation du savoir et statut du travailleur », Les Notes de l’Institut, Institut de l’entreprise, novembre ; Pennel D. (2015), « Pour un statut de l’actif », Génération libre, septembre.

17-27--Avenir-au-travail---Tableau

Bibliographie

Sur les formes particulières d’emploi :

• COE (2014), L’évolution des formes d’emploi, rapport du Conseil d’orientation de l’emploi, synthèse (en France), avril.

• Eurofound (2015), Les nouvelles formes d’emploi, rapport de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, synthèse (en Europe), mars.

Sur l’impact de l’économie numérique et collaborative sur le travail :

• CNNum (2016), Travail, emploi, numérique, les nouvelles trajectoires, rapport du Conseil national du numérique, janvier. Dresse un panorama des controverses liées au futur de l’emploi, du travail et de l’activité et formule des propositions.

• Jourdain L., Leclerc M. et Millerand A. (2016), Économie collaborative et droit. Les clés pour comprendre, éd. FYP, 22 janvier. Sur les différents enjeux juridiques pour le travail et l’activité professionnelle.

• Ménascé D. (2015), La France du Bon Coin. Le micro-entrepreneuriat à l’heure de l’économie collaborative, Institut de l’entreprise, Notes de l’Institut, septembre. Identifie notamment les  différents profils des personnes concernées par ces activités.

• Mettling B. (2015), Transformation numérique et vie au travail, rapport, septembre. Analyse notamment l’impact du numérique sur l’organisation du travail et les nouvelles formes de travail.

• PICOM-DGE-PIPAME (2015), Enjeux et perspectives de la consommation collaborative, juin. Analyse globale du marché français de la consommation collaborative et de ses enjeux.

• Sénat (2015), L’économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace, septembre. Propositions pour distinguer ce qui relève de l’activité professionnelle, du point de vue de la fiscalité et des cotisations sociales.

• Dujarier M.-A. (2015), Le management désincarné. Enquête sur les nouveaux cadres du travail, Le travail du consommateur, La découverte, mai.

Sur la question d’un statut intermédiaire :

• Antonmattei P.-H. et Sciberras J.-C. (2008), Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, rapport au ministre du Travail, novembre. Proposition pour la France.

• Harris D. et Krueger A. (2015), A proposal for modernizing labor laws for twenty-first-century work : The “independent worker”, The Hamilton Project, décembre. Proposition pour les États-Unis.

• Perulli V. A. (2003), Travail économiquement dépendant/parasubordination, rapport à la Commission européenne. Une présentation de différentes approches de la parasubordination dans plusieurs pays européens.

• Tradé (2012), Travailleurs indépendants économiquement dépendants, rapport. Analyse et statistiques pour plusieurs pays européens.

Sur la question d’un droit de l’activité, avec différentes approches :

Barthélémy J. (2015), Civilisation du savoir et statut des travailleurs, Institut de l’entreprise, novembre.

Pennel D. (2015), Pour un statut de l’actif. Quel droit du travail dans une société post-salariale ?, Génération libre, septembre.

Supiot A. (1999), Au-delà de l’emploi : Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, rapport à la Commission européenne.

Sur le compte personnel d’activité :

  • France Stratégie (2015), Le compte personnel d’activité, de l’utopie au concret, rapport remis en octobre 2015 au Premier ministre.

Sur une refonte de l’assurance chômage :

  • Unedic,
  • Cahuc P. et Prost C. (2015),  Améliorer l’assurance chômage pour limiter l’instabilité de l’emploi, note du CAE, septembre.
  • Coquet B. (2015), La nouvelle assurance chômage, Institut de l’entreprise, décembre.
  • Boulte P. et de Foucauld J.-B. (2011), « Élargir et aménager l’assurance chômage », revue Droit social, février.

Sur trajectoires professionnelles et retraites :

Sur une refonte globale des assurances sociales :

  • Différentes pistes sur le revenu de base : Sur le revenu universel ou de base :  note OFCE qui présente le débat (avec des réserves).
  • Atkinson A. B. (2016 ), Inégalités, Seuil, chap. 8 et chap. 5 (proposition d’un État employeur en dernier ressort pour compléter les intermittences).
  • Sur le droit à l’emploi : Baugard (2014), Le droit à l’emploi, droit social, et  (promoteur ATD).
  • Gazier B., Palier B.et Perivier H. (2014), Refonder le système de protection sociale, Presse de Sciences Po.
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Le débat

Mardi 10 mai 2016 à 17h

Podcast du débat Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs enregistré le 10 mai 2016.

Le débat sur les Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs a réuni chefs d’entreprise, universitaires, acteurs publics, associations et think-tanks autour des deux grandes questions posées dans la note « Enjeux ».

La première question est celle du potentiel de diversification des formes d’emploi. Elle porte sur la définition de l’activité professionnelle de demain, le marché du travail étant encore largement organisé sur les hypothèses de la séparation stricte entre salariat et non salariat, de la prédominance du salariat et du travail à temps plein. Sous l’effet des mutations économiques et sociologiques, quel sera le travail de demain ? Quelles adaptations sont nécessaires pour permettre la prise en compte des carrières marquées par l’intermittence et la polyactivité, et des formes d’emploi à la lisière entre salariat et travail indépendant ? Dans ce contexte, quel doit être le rôle des tiers (plateformes, portage salarial, etc.) ?

La seconde question est celle de l’évolution du système de protection sociale. Elle porte sur l’ensemble du système : faut-il un seul droit de l’activité professionnelle pour tous les actifs, qui englobe les droits des salariés et s’applique aux autres catégories d’actifs ? Faut-il déconnecter le revenu de l’activité professionnelle ou lier les droits sociaux à l’activité professionnelle, indépendamment du statut de l’emploi ? Les questions du revenu universel, du revenu contributif, d’une déconnection entre revenu et activité professionnelle ont ainsi été débattues.

Avec les interventions de :

Paul-Henri ANTONMATTEI, professeur de droit à l’Université de Montpellier 1
Jean-Emmanuel RAY, professeur de droit à l’Université de Paris 1
Sandrino GRACEFFA, PDG de SMART, Coopérative d’accompagnement et de gestion de projet créatifs
Hubert CAMUS, président, PEPS
Florent ARTAUD, La Ruche qui dit oui !
Bruno COQUET, OCDE, Institut de l’entreprise
Gaël LEVEUGLE, Coordination des intermittents et précaires
Denis PENEL, DG du Ciett, Génération libre
Nicole ALIX, présidente, La coop des communs
Bruno PALIER, directeur de recherche, CNRS, Sciences Po, LIEPP
Gaël LEVEUGLE, Coordination des intermittents et précaires
Jacques BARTHELEMY, Cabinet Barthélémy Avocats
Marc DE BASQUIAT, président de l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence
Bernard STIEGLER, philosophe, directeur de l’Institut de recherches et d’innovation
Bernard GAZIER, professeur à l’université de Paris 1
Anne EYDOUX, maître de conférences à l’université de Rennes 2, Centre d’études de l’emploi
Jean-Eric HYAFIL, président du Mouvement Français pour un Revenu de Base
Marc DE BASQUIAT, président AIRE
Raymond TORRES, directeur du département Recherches, Organisation Internationale du Travail
Véronique DESCACQ, secrétaire général adjointe, CFDT

Contributions

Vers un revenu universel en France : éléments pour un débat – Marc de Basquiat – Economiste et président de l’AIRE
Plusieurs sondages, dans de nombreux pays, montrent un support croissant pour l’idée d’allouer sans condition à chaque citoyen une somme mensuelle assurant sa subsistance.

Pour un Statut de l’Actif Quel droit du travail dans une société post-salariale ? Denis Pennel – Génération Libre
Ubérisation du marché du travail, hétérogénéisation de la population active, individualisation de la relation d’emploi, nouveaux modes de production, pluriactivité… l’emploi vit moins une crise qu’une révolution.

Le portage salarial ou l’émergence d’une nouvelle forme d’emploi – Fédération CINOV et PEPS
Le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage.

Avenir du travail et dialogue social – Jacques Freyssinet
Une récente contribution de France Stratégie interroge, entre bien d’autres questions, sur les nouvelles formes de dialogue social qui pourraient naître des mutations du travail. Pour proposer des éléments de réponse, il faut partir du constat de la minoration ou marginalisation du thème du travail dans le dialogue social.

Vers des prestations sociales universelles – Marc de Basquiat – AIRE (Association pour l’instauration d’un revenu d’existence)
Cette note présente quelles réformes sont nécessaires pour parvenir à dissocier du travail trois domaines majeurs de notre protection sociale, à savoir le système de soins de santé, la politique familiale et le soutien financier à la subsistance. Ce dernier objectif est atteint par la mise en place progressive d’un Revenu d’existence, combiné à une rénovation de l’impôt sur le revenu.

Contribution du Secrétariat général du COR – Yves Guégano
Les observations qui suivent portent uniquement sur le système de retraite et son adaptation éventuelle face à ces mutations du travail.

Renforcer l’attractivité du contrat de travail à durée indéterminée – Christophe Radé – Professeur – Faculté de droit de bordeaux
Une distinction fondamentale des modes d’activité. L’organisation de l’activité professionnelle est susceptible de s’inscrire dans une grande diversité de statuts.

CPA : Pour la création d’un accompagnement global des transitions professionnelles – Pierre Ferracci
L’articulation entre différents droits mobilisables par la personne au service de son parcours professionnel fait actuellement défaut dans l’organisation du système de protection sociale.

Quelle protection contre la dépendance économique ? Antoine Remond – Groupe ALPHA
Les plateformes collaboratives exigent-elles une protection sociale spécifique et un nouveau statut ?

Nouvelles formes du travail et Protection sociale – Alain Petitjean – Groupe ALPHA
Poser quelques jalons : Les nouvelles technologies numériques sont porteuses d’autant de promesses d’efficacité que de risques d’accaparement et de dumping fiscal et social.

Nouvelle économie, nouvelle assurance chômage – Bruno Coquet – OFCE
L’assurance chômage est un instrument dont le potentiel est très important, tant pour protéger les individus que pour stimuler la croissance économique.

Deux propositions pour penser la GRH dans une ère de changements permanents – Matthieu Mouillon – Cartes sur Table
L’équation des ressources humaines doit intégrer un nouveau paramètre : nous sommes entrés dans une ère de changements permanents.  Essayons des solutions nouvelles : faisons des directeurs des ressources humaines des business partners et supprimons les périodes d’essai.

« Uberisation » du travail : quelles capacités disruptives ? Contribution citoyenne – Stéphane Béal
Bien que ce nouveau modèle ne concerne pour l’instant que peu de travailleurs (relativement à l’emploi total), l’uberisation est un phénomène réel, amené à gagner du terrain, et dont nous devons tenir compte.

Interview – Paul-Henri Antonmattei – Professeur de droit – Université Montpellier
En quoi le développement de « nouvelles formes de travail », à la lisière entre salariat et travail indépendant (dans le cadre du développement des plateformes numériques mais aussi plus largement dans le cadre d’une remise en cause du modèle du travail salarial stable à plein temps), interroge-t-il le cadre juridique actuel du statut des actifs, articulé autour de l’existence, ou non, d’une relation subordonnée et d’un contrat de travail ?

Travail, emploi et sécurisation des parcours professionnels : de la fragmentation au partage – Bernard Gazier
Les enjeux des transformations actuelles et potentielles du travail et de l’emploi ont été posés dans leur ampleur par la note de France Stratégie de mars 2016 : face aux risques de la précarisation, « inventer des solutions susceptibles de garantir les droits, de protéger les actifs et de sécuriser les transitions professionnelles. ».

Travaux sur les nouvelles formes de travail et de protection sociale – Florent Artaud – LRQDO – La Ruche qui dit Oui !
La Ruche qui dit Oui ! (LRQDO) est une plateforme internet (www.laruchequiditoui.fr) spécialisée dans le circuit court alimentaire.

Contribution du Conseil national du numérique – Yann Bonnet
Le CNNum était appelé à formuler des propositions sur la transformation numérique des entreprises, les pratiques numériques des services publics de l’emploi dans le monde et les effets de l’automatisation des activités sur le travail et ses conditions.

Le nouveau modèle – Coordination des intermittents et précaires
Aujourd’hui, 35% de la population active est en situation précaire face à l’emploi (chômeurs, CDD , Interim, nouveaux indépendants).

Pour quoi travaillerons-nous demain ? – Lucie d’Artois – France Stratégie
Le travail est en mutation, c’est un fait. Le phénomène grandissant de diversification des formes d’emploi, de fragmentation des parcours professionnels ou encore de transformation de la nature des entreprises, percutent et questionnent directement le droit du travail ainsi que notre système de protection sociale — fondée sur la position de l’individu au regard de l’emploi.

La numérisation facteur d’exclusion pour ceux qui cumulent précarité sociale et numérique – Collectif
Inscription à Pôle emploi depuis mars, prime d’activité lancée par la Caisse nationale d’allocation familiale depuis janvier, déclaration de revenus au mois de mai… Avec la dématérialisation totale de nombreux services publics essentiels, la République numérique se modernise.

Travail et droit du travail de demain. Autonomie, sur-subordination, sub-organisation ? Jean-Emmanuel Ray – professeur de droit privé – Université Paris-I Sorbonne
La Révolution numérique semble percuter frontalement le critère même du droit du travail, créé lors de la Révolution industrielle pour l’usine militaro-industrielle organisée sur le modèle Ford-Taylor avec son tout collectif grace à son unité de lieu, de temps et d’action: « la subordination juridique permanente », qui fait d’un actif un salarié protégé par le droit du travail d’ordre public, mais aussi le « régime général » de Sécurité Sociale.

Réformer la solidarité sans renoncer à l’emploi – Anne Eydoux – Centre d’études de l’emploi et Université de Rennes 2
On sait aujourd’hui que travailler (ou plutôt avoir un emploi) ne garantit pas l’accès à un niveau de vie décent.

Projet d’expérimentation de Plaine Commune sur le revenu contributif – Bernard Stiegler – Institut de recherche et d’innovation
Il s’agit d’un projet d’expérimentation territoriale visant à faire de Plaine Commune un « territoire-pilote » sur les questions relatives à l’avenir du travail, de l’économie contributive, de l’urbanisation, de l’éducation et de la recherche dans le contexte de la transformation numérique.

Civilisation du savoir et statut du travailleur – Jacques Barthélémy – Institut de l’entreprise
De nouvelles formes de travail et de nouveaux modes d’organisation du travail naissent des progrès des techniques de l’information et de la communication.

La Musette de l’actif du XXIe siècle. Pour mieux construire sa trajectoire – Amandine Brugière & Aurialie Jubin – FING
Nous lançons cette année à la Fing le projet « la Musette de l’actif », dans un moment où le sujet des transformations du travail (par le numérique, entre autres) est devenu plus que sensible.

Numérique, travail et protection sociale – Bruno Palier – directeur de recherche – Sciences Po
La numérisation de l’économie peut se comprendre comme une révolution industrielle, une série d’innovations technologiques associée à de nouvelles pratiques et à de nouveaux modèles d’affaires.

Contribution au rapport sur une réforme des minima sociaux – Jean-Éric Hyafil – Mouvement français pour un revenu de base
Le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) est une association transpartisane créée en mars 2013. Il se donne pour mission de promouvoir dans le débat public le revenu de base, afin d’aboutir à son instauration en France.

Transformations du travail, conditions de travail et protection des actifs – Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)
Après une relative stabilité enregistrée entre 1998 et 2005 les changements organisationnels marquent à nouveau l’actualité économique, organisationnelle et sociale des entreprises avec des effets identifiés en matière d’intensification du travail et de contraintes de rythmes de travail.

Revenu universel, garantie de revenu, services universels : quels enjeux ? Interview de Bruno Palier – Directeur de recherche du CNRS
On assiste actuellement à un renouveau du débat sur le revenu de base universel, ou revenu minimum inconditionnel, notamment à l’occasion des modifications du travail, d’une précarité croissante, des interruptions de carrière,  d’intermittence de l’emploi. Beaucoup pensent qu’un revenu universel de base pourrait résoudre les difficultés liées aux transformations du travail.

Le salariat survivra-t-il au 21ème siècle ? – Labyrinthe :

Pour une allocation sociale unique – Mensuel Société civile – Fondation iFRAP
Depuis 2009, les aides versées sous conditions de ressources ont augmenté de plus de 40 %. Toutes nos dépenses sociales sont à la dérive et le nombre d’aides différentes est en train d’exploser : plus de 110 aides, pour autant de démarches administratives auprès de 330 guichets. Le foisonnement d’aides sociales propre à la France est aussi inefficace qu’injuste et ruineux. La proposition de la Fondation iFRAP est de mettre en place une allocation sociale unique (ASU) pour économiser 10 milliards d’euros à la fois sur les frais de gestion et sur le versement des prestations.

Un revenu de base face aux mutations du travail – Antoine Stéphany – Coordinateur formation – Mouvement français de revenu de base
Historiquement, la protection sociale en France est étroitement liée au contrat de travail. Les droits sociaux y sont pour la plupart attachés, mais le numérique, en bouleversant les formes d’emplois classiques, vient perturber le bonfonctionnement de cette protection. Il est donc important de présenter quelques évolutions du travail qui nous semblent cruciales ­ – l’automatisation, la robotisation et la crise de sens liée au travail ­ – et qui sont pour nous, Mouvement Français pour un Revenu de Base, des arguments centraux en faveur de l’instauration d’un revenu de base.

Le service civil universel connecté, nouvelle forme de protection sociale productive et décentralisée – Julien Cantoni
Dynamiser la puissance publique et enrichir notre système de protection sociale par la force collaborative citoyenne. Les incroyables comestibles ou des initiatives comme La Louve ou Disco Soup créant de l’autonomie alimentaire par l’initiative citoyenne, Open Street Map coopérant avec l’Etat pour prévenir des conséquences des tsunamis, les assemblées et chambres de communs à Toulouse, Lille, Rennes, Brest en biens communs à Brest, les réseaux comme ChezNous.coop et Territoires Hautement Citoyens, on ne compte plus les initiatives citoyennes qui ambitionnent de transformer leurs territoires de façon substantielle et durable. Grâce à l’émergence des processus collaboratifs et connectés, on constate le décuplement du pouvoir d’agir des citoyens.

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Synthèse des contributions et du débat

10 mai 2016

La confrontation des points de vue des contributeurs et des participants au débat public sur les nouvelles formes du travail et la protection des actifs a permis de faire émerger un consensus sur l’accélération des transitions, l’intermittence des carrières et des revenus, la diversification des formes d’emploi, autant d’évolutions qui occasionnent des ruptures de droit et des inégalités dans la protection des actifs. En revanche, l’ampleur à venir des mutations est très discutée : la destruction massive d’emplois, la fin du salariat et la disparition de nombre de métiers occupés par ceux qui constituent aujourd’hui la classe moyenne sont loin d’être envisagées comme l’évolution la plus probable. Ceux qui n’anticipent pas de mutations disruptives proposent des réformes d’adaptation pour combler les inégalités et les « trous » de la protection des actifs. Les autres optent pour des réformes plus structurelles du statut des actifs et de la protection sociale.

Les conséquences à venir des mutations du travail

Les conséquences à venir des mutations du travail : un diagnostic partagé sur l’accélération des transitions mais divergent sur le volume et la nature des emplois concernés.

Le diagnostic prospectif posé sur les transformations de l’emploi et du travail ne fait pas consensus et est très fortement lié au type de réformes proposées.

Le premier désaccord oppose ceux qui anticipent l’impossible retour au plein emploi, un argument fréquent chez les partisans d’un revenu universel[1], à ceux qui invoquent un mauvais partage des gains de productivité et une « comptabilité » inadéquate de ces gains, dès lors sous-estimés, de même que les créations potentielles d’emploi induites[2].

En revanche, les contributeurs semblent s’accorder sur le fait que les mutations écono­miques accroîtront les transitions professionnelles et accentueront l’intermittence des parcours et l’instabilité des revenus. Tous les participants au débat pointent que la mobilité d’un emploi à un autre entrecoupée d’épisodes de chômage s’accompagne aussi de transitions de statut liées à la multiplication des formes d’emploi, de zones grises travail salarié/non salarié dont les causes de l’ascension sont débattues : subies, choisies, liées aux réformes du marché du travail, à la transformation du capitalisme, etc. L’effritement du CDI sur ses marges rend la protection des actifs plus inégale et l’accélération des transitions occasionne des pertes et ruptures de droit. Nombreux sont ceux qui saluent à ce titre le compte personnel d’activité comme une réponse adaptée à ces changements d’emploi et de statut, les droits à la formation et au reclassement étant individualisés et portables d’un emploi à un autre[3].

Beaucoup soulignent aussi l’altération de l’unité de temps et de lieu du travail[4] qui a fondé certaines protections attachées au salariat (temps de travail, santé et sécurité au travail) et continue d’imprimer sa marque dans l’organisation des relations sociales des entreprises et dans la négociation collective. D’une manière générale, le collectif de travail et sa représentation sont mis en tension par la progression du travail à distance et par la multiplication des travailleurs autonomes, qu’ils soient indépendants ou salariés.

Autre point de désaccord : l’effet de ces évolutions sur le salariat. Si d’aucuns, au premier rang desquels les partisans d’un revenu universel, anticipent son inéluctable érosion qu’il s’agirait de préparer, rien n’est moins sûr pour la majorité des chercheurs qui soulignent la lenteur des évolutions (voire leur inversion très récente)[5] et anticipent la coexistence d’un travail subordonné, toujours plus prescrit, y compris via les outils numériques, et d’un travail créatif ou de « savoir » qui n’a qu’une obligation de résultat déconnectée d’un lieu et d’un temps de travail bien identifiés[6]. L’ubérisation peut certes amener à amplifier la flexibilité du travail mais la diversification des formes d’emploi reste plus limitée.

De la même manière, la polarisation des emplois aux deux extrémités de l’échelle des qualifications n’est pas perçue par tous comme inéluctable. Le diagnostic sur le passé est certes partagé : le progrès technologique a favorisé les métiers très qualifiés maîtrisant l’outil digital ou les métiers très peu qualifiés d’aide et de soin aux personnes nécessitant une interaction personnelle. Si d’aucuns y voient le reflet d’une automatisation croissante des emplois qui fera disparaître les professions d’ouvriers et d’employés qualifiés, remplacés par des machines, et autorisera une prolifération des petits boulots via la gig economy, rien n’est moins sûr pour certains participants au débat. Le numérique pourrait aussi enrichir les activités plus que s’y substituer, voire « augmenter » les compétences individuelles de professions de qualification moyenne[7].

[1] Marc de Basquiat, Bernard Stiegler, Denis Pennel (voir citations infra).

[2] Bruno Palier, « Numérique, travail et protection sociale » ; Anne Eydoux, « Réformer la solidarité sans renoncer à l’emploi ».

[3] Notamment le groupe Alpha (« CPA : pour la création d’un accompagnement global des transitions professionnelles ») et La Ruche Qui Dit Oui (contribution au débat).

[4] Denis Pennel, « Pour un Statut de l’Actif. Quel droit du travail dans une société post-salariale ? » ; Jacques Freyssinet, « Avenir du travail et dialogue social ».

[5] Bernard Gazier, « Travail, emploi et sécurisation des parcours professionnels : de la fragmentation au partage » ; Anne Eydoux, op. cit. ; Jacques Freyssinet, op. cit.

[6] Paul Henry Antonmattéi (interview dans le cadre des contributions au débat) ; Jean-Emmanuel Ray, « Travail et droit du travail de demain Autonomie, sur-subordination, sub-organisation » ; ANACT, « Transformations du travail, conditions de travail et protection des actifs ».

[7] Bruno Palier, op. cit.

Comment repenser la protection des actifs ?

Adapter le droit du travail et la protection sociale aux évolutions du travail et de l’emploi…

Pour ceux qui ne considèrent pas les évolutions à venir comme disruptives, la solution réside essentiellement dans une adaptation de la législation et des protections à des évolutions du travail et de l’emploi qui ne sont pas nouvelles.

Pour limiter la précarisation de l’emploi qui accroît l’intermittence des parcours, liée en particulier à la montée en puissance des contrats courts, les contributeurs au débat ne remettent pas en cause la diversité des formes d’emploi, perçue comme une condition de la réactivité des entreprises. Mais ils souhaitent mieux allier flexibilité des activités et sécurité pour les employés. Certains veulent allonger la durée légale du « CDD à objet défini » à cinq ans[1] quand d’autres souhaitent renforcer l’attractivité du CDI en instaurant un bonus-malus (sur les différentes contributions en fonction de la stabilité de l’emploi) et des périodes de suspension indemnisées du CDI[2]. D’autres encore proposent d’échanger la fin de la période d’essai contre davantage de flexibilité[3].

Sur la zone grise salarié/non salarié, certains prônent un statut intermédiaire de travailleurs indépendants économiquement dépendants auxquels s’appliqueraient certains pans du droit du travail[4]. D’autres s’y opposent, pour des raisons de complexité, d’effet de seuils et de déstabilisation des statuts existants, et préfèrent continuer à procéder par adaptation de la législation (par exemple, assimilation de certaines professions ou formes d’emploi au salariat, voire élargissement des critères du salariat, notamment à la dépendance économique ; aménagement du forfait jour autorisant le fractionnement des temps de repos sous réserve d’une charge de travail « raisonnable » ; assouplissement des règles du télétravail pour les travailleurs du savoir)[5].

Beaucoup valorisent également le rôle des tiers qu’ils soient à but lucratif ou non pour sécuriser les parcours. La relation triangulaire d’emploi à travers les groupements d’employeurs ou les CDI intérimaires pour des salariés à temps partiel ou en contrat à durée limitée, le portage salarial[6] ou les coopératives d’activités et d’emploi pour des travailleurs très autonomes est ainsi valorisée[7] et certains proposent également que les plateformes puissent jouer ce rôle de tiers dans l’accompagnement des non-salariés[8].

D’une manière générale, en termes de protection, il apparaît souhaitable de sortir d’une dichotomie entre travail salarié et travail indépendant, pour tenir compte de toutes les formes de travail autonome, salariées ou non. Cela ne signifie pas de porter au même niveau toutes les protections mais de les adapter à la diversité des formes d’emploi et de tenir compte des difficultés spécifiques qui se posent en matière de santé et de sécurité par exemple[9].

De ce point de vue, tous les participants au débat partagent le constat d’une plus grande instabilité de l’emploi et de l’intermittence des revenus ainsi que de la moindre protection des salariés précaires et des indépendants sans employés et sans patrimoine. Cette moindre protection concerne essentiellement les revenus de remplacement (chômage et retraite). Pour y remédier, les propositions vont de la création de fonds de sécurité pour les indépendants[10] à leur rattachement volontaire à l’assurance chômage[11] en passant par une réforme plus globale de l’assurance chômage permettant de mieux indemniser les salariés et non-salariés précaires[12]. Pour limiter l’impact des périodes d’inactivité ou de faible activité sur les retraites, les propositions vont d’une compensation plus forte des interruptions de carrière dans le calcul des pensions[13] à une contribution des plateformes et des donneurs d’ordre pour assurer obligatoirement leurs non-salariés sur la perte de revenu et la retraite[14].

Beaucoup renvoient à la négociation collective pour trouver les aménagements nécessaires aux conditions d’emploi et de travail[15]. Nombre de participants au débat plaident pour une représentation des indépendants économiquement dépendants et des précaires, tandis que le territoire est valorisé par certains comme le niveau pertinent de dialogue.

…Ou réformer radicalement le système actuel ?

Ceux qui envisagent des évolutions de l’emploi et du travail plus disruptives souhaitent repenser structurellement le droit de l’activité et de la protection sociale. Plusieurs contributeurs proposent d’établir un droit de l’actif s’appliquant à tous les travailleurs quel que soit leur statut et composé de droits fondamentaux. À ce socle s’ajouteraient d’autres catégories de droits, variables en fonction du degré de subordination et d’autonomie du travailleur. Le contenu de ces différents niveaux et le degré de protection de ces droits sont définis partiellement et varient selon les auteurs[16].

Cette refonte du droit de l’activité peut s’appuyer sur un revenu universel ou de base et/ou sur des droits de tirage sociaux déconnectés du statut d’emploi, c’est-à-dire un compte social unique que serait un CPA généralisé à l’ensemble de la protection (retraite, formation, chômage), et qui constituerait une sorte de « musette numérique »[17]. S’agissant du financement, peu préconisent de distribuer l’ensemble du budget de la protection sociale par le biais d’un revenu universel. Les partisans d’un revenu de base proposent d’octroyer à l’ensemble de la population, y compris les enfants, un revenu d’existence fondant les allocations familiales, certaines prestations sociales et aides à l’emploi[18]. D’autres envisagent de rémunérer ainsi la contribution sociale des individus à des projets collectifs[19], le travail social, bénévole, se substituant en quelque sorte à un travail salarié réservé à quelques happy few[20].

Certains participants au débat sont néanmoins critiques à l’égard d’un revenu de base et d’une refonte totale du statut de l’actif. Ils préfèrent le maintien d’une logique assurantielle fondée sur le travail par le biais de droits de tirage sociaux, c’est-à-dire un compte social individualisé pour un certain nombre de droits transférables et une logique universaliste sur les prestations sociales aux plus démunis (éventuellement refondues)[21]. Ceux-là insistent sur la nécessité de services sociaux dont aucun revenu de base ne pourrait égaler la qualité et qui ne permet pas de répondre aux nouveaux besoins de protection (dépendance par exemple)[22]. Ils soulignent aussi qu’un revenu universel maintiendrait les inégalités face à l’emploi[23] et pointent que le travail, tout particulièrement en France, est structurant de l’identité, ce qui va très au-delà du revenu qu’il procure[24].

[1] Stéphane Béal, interview dans le cadre des contributions au débat.

[2] Christophe Radé, « Renforcer l’attractivité du contrat de travail à durée indéterminée ».

[3] Cartes sur table, « Deux propositions pour penser la gestion des ressources humaines dans une ère de changements permanents ».

[4] Paul-Henry Antonmattéi, op. cit., le groupe Alpha, « Poser quelques jalons : les nouvelles technologies numériques sont porteuses d’autant de promesses d’efficacité que de risques d’accaparement et de dumping fiscal et social », et Stéphane Béal, op. cit.

[5] Jean-Emmanuel Ray, op. cit.

[6] Fédération CINOV-PEPS, « Le portage salarial ou l’émergence d’une nouvelle forme d’emploi ».

[7] Bernard Gazier, op. cit.

[8] La Ruche Qui Dit Oui, op. cit.

[9] Paul-Henry Antonmattéi (intervention au débat).

[10] La Ruche Qui Dit Oui, op. cit., Stéphane Béal, op. cit., Bernard Gazier, op. cit.

[11] Sur la base d’une contribution identique à celle des salariés pour Christophe Radé.

[12] Bruno Coquet (« Nouvelle économie, nouvelle assurance chômage ») propose d’intégrer la fonction publique et les indépendants dans cette réforme, la Coordination des intermittents et précaires (« Le nouveau modèle ») propose de s’inspirer de l’ancien régime des intermittents pour indemniser l’ensemble de l’emploi discontinu salarié ou non.

[13] Contribution du secrétariat général du COR.

[14] Groupe Alpha, op. cit.

[15] Jacques Freyssinet consacre ainsi sa contribution au dialogue social.

[16] Denis Pennel (op. cit.) propose un statut de l’actif se substituant au code du travail et se fondant sur un socle de droits fondamentaux valant pour tout type de relation d’emploi. Le droit de l’activité profession­nelle de Jacques Barthélémy (Civilisation du savoir et statut du travailleur, Institut de l’entreprise, 2015) ne se substitue pas quant à lui au code du travail mais propose un niveau de droits décroissant en fonction de l’autonomie qui laisserait en place les protections associées au travail très subordonné.

[17] Fing, « La Musette de l’actif du XXIe siècle, Pour mieux construire sa trajectoire ».

[18] Marc de Basquiat, « Vers un revenu universel en France : éléments pour le débat » ; Mouvement français pour le revenu de base, « Un revenu de base face aux mutations du travail ? ».

[19] Julien Cantoni (« Le service civil universel connecté, nouvelle forme de protection sociale productive et décentralisée ») propose de créer un service civil universel connecté (qui donne des droits sociaux), le Conseil national du numérique (contribution au débat) de créer un « droit individuel à la contribution » autorisant les individus à participer à des projets d’utilité sociale, à se former hors les murs, à contribuer à la production de biens communs.

[20] Bernard Stiegler est à l’origine de l’idée de revenu contributif qu’il expérimente à la Plaine commune (« Plaine Commune territoire apprenant contributif ») pour pallier explicitement le manque d’emploi.

[21] Bernard Gazier, op. cit.

[22] Bruno Palier, op. cit.

[23] Anne Eydoux, op. cit.

[24] Lucie d’Artois, « Pour quoi travaillerons-nous demain ? ».

Le podcast du débat

Podcast du débat Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs enregistré le 10 mai 2016.

Le débat sur « Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs » a réuni universitaires, acteurs publics, associations, partenaires sociaux et think-tanks autour des deux grandes questions posées dans la note « Enjeux ».