La contrepartie d’une application stricte du principe de responsabilité individuelle des États sur leur dette est une exposition accrue au risque de crise souveraine. Or, l’expérience montre que le sentiment de marché peut évoluer de manière brutale et disproportionnée en cas d’inquiétudes sur les finances publiques, plongeant dans la crise des États jusque-là considérés comme solvables.
Réduire significativement ce risque suppose de mettre en place une coresponsabilité, au moins partielle, sur la dette des États membres. La façon technique de mettre en œuvre cette coresponsabilité importe peu : dans tous les cas, le dispositif mis en place est susceptible de donner lieu à un transfert définitif de richesse d’un État membre à un autre en cas de crise majeure. En clair, ceci signifie que les contribuables d’un État membre pourraient être appelés à assumer les difficultés budgétaires d’un autre. Il ne s’agit pas là d’un effet secondaire indésirable de la coresponsabilité : il s’agit de sa caractéristique essentielle.
Dès lors, on comprend qu’une telle coresponsabilité, même partielle, suppose un renforcement radical à la fois de la discipline budgétaire et du caractère démocratique des procédures qui assoit cette discipline au niveau européen. Comme les règles actuelles ont démontré leurs limites, cette option exige la mise en place d’un mécanisme de codécision, conduisant à ce que le droit de regard au niveau européen sur les grands équilibres budgétaires nationaux devienne juridiquement contraignant. Cela reviendrait, au moins pour l’enveloppe globale, à mettre la souveraineté budgétaire des parlements nationaux sous contrôle d’un échelon législatif européen. Ce droit de regard devrait s’étendre à un champ plus large des politiques économiques et sociales, afin de prévenir les divergences macroéconomiques. En effet, laisser s’approfondir de telles divergences accroîtrait immanquablement le risque in fine d’un transfert de richesse d’un pays à un autre.
Dans ce contexte, d’où viendrait la stabilisation budgétaire, alors que la souveraineté budgétaire serait contrainte par l’application des règles ?
Un État membre avec une dette élevée n’aurait plus les marges de manœuvre budgétaires pour faire de la stabilisation macroéconomique, au risque de mettre en péril la soutenabilité de sa dette et de rendre plus probable un transfert financier entre États membres. La stabilisation pourrait, en théorie, être mise en œuvre par deux moyens : par une capacité budgétaire centralisée ou par la coordination des budgets nationaux. La première option suppose le transfert d’une partie du budget national vers un budget européen avec le transfert afférent de compétences, alors que la seconde suppose moins de degrés de liberté dans la définition du budget national. Étant donné que la coresponsabilité exige la mise en place d’un cadre contraignant pour les budgets nationaux, il semble logique de privilégier la stabilisation par la coordination budgétaire.
Cependant, les effets d’une relance budgétaire des pays partenaires sur la situation économique d’un pays affecté par un choc sont indirects et leur ampleur fait l’objet de controverses persistantes[4], ce qui rend la coordination problématique. C’est pourquoi il n’est probablement pas possible de faire l’impasse sur un budget central ou sur une capacité d’emprunt commune.
Cette option est dotée d’une forte cohérence interne. Elle prévient les crises de finances publiques et amoindrit significativement les conséquences économiques d’un choc négatif. En effet, un État qui verrait sa capacité de stabilisation obérée par des coûts d’emprunt trop élevés, une dette devenue trop forte, ou simplement l’application des règles budgétaires, bénéficierait d’une fonction de stabilisation via l’impulsion demandée aux autres budgets nationaux combinée à une capacité budgétaire commune.
Cette architecture supposerait cependant de faire un pas en avant substantiel du point de vue de l’intégration économique et du partage de la souveraineté. C’est pourquoi, pour en asseoir la légitimité démocratique, elle impliquerait de repenser profondément la gouvernance de la zone euro.