Plusieurs options sont envisageables. Toutes doivent s’inscrire dans la longue durée, car la continuité des orientations et le temps laissé aux acteurs éducatifs pour leur mise en place sont des ingrédients indispensables à la réussite de changements profonds et durables[15].
Option 1 : une capacité renforcée d’autonomie des communautés éducatives
Cette option repose sur le développement d’une plus forte capacité d’auto-organisation locale (coopération entre enseignants et avec le chef d’établissement, mise en place d’un projet commun et direction collégiale centrée sur le pédagogique[16]), sans quasi modifier les compétences de chefs d’établissement ni les principes de gestion des personnels. Elle vise donc à mobiliser pleinement les marges de manœuvre dont disposent déjà les chefs d’établissement et les équipes éducatives, ce qui suppose :
- des chefs d’établissement davantage formés à la gestion de groupe et à la conduite du changement, sachant mobiliser l’ensemble de l’équipe éducative (conseil pédagogique, conseil de la vie collégienne ou de la vie lycéenne, conseil à l’éducation, à la santé et à la citoyenneté… ) et plus impliqués dans la pédagogie. Un tiers des chefs d’établissement déclarent ne pas avoir suivi de formation à l’encadrement pédagogique, et seuls 8 % indiquent assister fréquemment aux cours des enseignants, contre la moitié (49 %) en moyenne dans les pays de l’OCDE ;
- la pleine mise en œuvre de la récente redéfinition réglementaire du métier d’enseignant qui valorise les temps de suivi des élèves et des projets. Elle doit être complétée par l’inclusion de la concertation dans les obligations de service. La formation initiale et continue des enseignants doit elle-même évoluer pour préparer à ces différents aspects du métier[17] ;
- la capitalisation et la diffusion des dispositifs et des pratiques dont l’efficacité est démontrée :
- les différentes structures dédiées à l’évaluation, à l’innovation et/ou à l’essaimage – le Conseil national d’évaluation du système scolaire et l’Institut français de l’éducation au niveau national, les CARDIE (cellules académiques recherche, développement, innovation, expérimentation) au niveau des académies, l’Institut Carnot de l’éducation (ICÉ)… – seraient réunies en une structure d’inspiration What Works Centre[18]. À l’image de ce qui existe au Royaume-Uni avec l’Education Endowment Foundation, elle serait consacrée à la recherche évaluative (dont l’expérimentation et l’évaluation d’impact), à la collecte, à l’analyse et à la synthèse des recherches sur les interventions éducatives (revues systématiques et méta-analyses) et orientée vers la production d’outils d’aide aux professionnels ;
- une allocation de crédits supplémentaires pour l’éducation prioritaire et l’innovation (appels à projets et fonds ad hoc, dotation en heures non affectées) fondée sur ces évaluations.
Le risque de cette option est celui d’un relatif immobilisme, au regard des expériences passées, où les marges d’autonomie n’ont pas toutes été saisies et ont suscité de la conflictualité avec l’échelon national. Il est également celui du maintien d’inégalités fortes entre territoires, faute de pouvoir différencier nettement les moyens des établissements.
Option 2 : une autonomie contractualisée qui autorise une modulation importante des moyens et responsabilise les établissements
Depuis plus de dix ans et la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École de 2005, la démarche de contractualisation n’a cessé de progresser dans l’institution scolaire : contrats entre le ministère et les académies, contrats d’objectifs de circonscription du premier degré, contrats d’objectifs par établissement fixant les priorités de son projet, contrats de réseaux en éducation prioritaire, etc. Cette contractualisation (diagnostic partagé, analyse des données, définition d’objectifs et de leviers, construction d’outils de suivi et d’évaluation, bilan, etc.) reste cependant d’effet limité car elle ne s’accompagne pas d’une modulation des moyens ni de l’attribution de marges de manœuvre réelles pour les acteurs contractants.
Surmonter ces limites supposerait un modèle contractuel rénové dans lequel :
- les académies bénéficient de contrats d’objectifs et de gestion avec l’État, modulant leurs moyens en fonction de leurs difficultés de recrutement et des besoins d’accompagnement des enseignants et des établissements par les inspections. Pour plus de latitude de gestion, le périmètre de recrutement et d’affectation des enseignants serait élargi aux régions académiques créées au premier janvier 2016 (au nombre de 17 contre 30 académies). Ces contrats devraient associer les collectivités territoriales ;
- les chefs d’établissement disposent d’une latitude d’action plus significative qu’aujourd’hui : autorité en matière d’organisation de l’enseignement et de pédagogie, plus grande autonomie financière et de gestion, particulièrement en matière de masse salariale – augmentation de la part des recrutements « sur profil » et entretien, révision des plafonds horaires hebdomadaires et annuels de service, prime collective d’objectifs pour l’équipe enseignante et prime individualisée de performance et de sujétion ;
- en retour, les chefs d’établissement rendent davantage de comptes aux services académiques, avec un suivi plus intensif des indicateurs de « valeur ajoutée » des établissements, c’est-à-dire de la réussite et du devenir des élèves compte tenu de leurs caractéristiques scolaires et des caractéristiques socioprofessionnelles de leurs parents, de l’évolution des résultats des élèves à des tests standards et des objectifs d’amélioration inscrits au projet d’établissement[19].
Le risque de cette option réside dans les réticences des personnels enseignants à l’affirmation d’une autorité renforcée des chefs d’établissement sur leur rémunération, leurs conditions de travail et leur carrière.
Option 3 : Une autonomie soutenue par la diversification de l’offre scolaire et le choix des familles
Le tissu scolaire français connaît déjà une certaine diversité : éducation prioritaire et secteur privé sous contrat scolarisent ainsi environ 20 % des élèves chacun. Ces dispositifs restent toutefois fortement encadrés, et cette diversité bénéficie avant tout aux familles qui savent tirer le meilleur parti de ce pluralisme de l’offre dans le cadre de leurs stratégies éducatives.
Cette option viserait à favoriser une offre scolaire plus dynamique, des profils plus diversifiés d’établissements et une plus grande latitude de choix pour toutes les familles, par :
- le développement des établissements privés et d’établissements publics disposant de marges de manœuvre proches de celles du privé, en s’inspirant des politiques menées à l’étranger (Royaume-Uni, Suède, États-Unis, Australie par exemple). Le gouvernement britannique a ainsi permis à partir des années 2000 la libre création d’academies (écoles publiques changeant de statut pour devenir indépendantes) et de free schools (écoles d’initiative privée approuvées sur projet par le ministère de l’Éducation)[20], avec financement au prorata du nombre d’enfants scolarisés. 40 % des élèves du secondaire sont aujourd’hui scolarisés dans des établissements sous ces statuts. Par rapport aux écoles publiques ordinaires, elles jouissent de trois libertés fondamentales : liberté des moyens, des outils et des méthodes d’enseignement (« freedom in delivering the curriculum ») ; liberté de recrutement et de rémunération du personnel, au besoin en dehors du vivier des « qualified teacher status » ; liberté de fixer la durée de l’année scolaire ;
- le rôle prépondérant donné aux chefs d’établissement dans la gestion des moyens financiers et humains ainsi que la détermination des orientations pédagogiques. Le recrutement des enseignants serait refondé avec la mise en place de concours pour l’accès à des listes d’aptitude, une possibilité accrue de recours à des personnels contractuels, une évolution de carrière par examens professionnels. Les chefs d’établissement bénéficieraient d’une autonomie renforcée dans le choix de leurs enseignants en fonction de leur projet pédagogique ;
- la mise en place d’outils permettant de lutter contre le risque de sélection des élèves, par la contrainte (procédures d’affectation, quotas) ou l’incitation. Des financements au prorata des élèves scolarisés, modulés en fonction des besoins des élèves, pourraient ainsi se substituer au classement en éducation prioritaire. C’est la stratégie adoptée en 2013 par l’Australie avec l’instauration de surprimes pour les élèves issus de milieux socioéconomiques défavorisés, ceux dont les compétences linguistiques sont limitées, et les élèves handicapés.
Le risque de ce type de réforme, fondée sur l’initiative et la concurrence, est d’accroître les écarts de performance entre établissements. Elle suppose une réponse au problème des écoles défaillantes en conservant la possibilité d’une reprise en main par les autorités de tutelle, allant d’un encadrement renforcé à la fermeture de l’établissement.
Auteur : Marine Boisson-Cohen
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