Trois options peuvent être envisagées pour encourager fiscalement le financement du capital-risque : (i) une réforme globale de la fiscalité de l’épargne financière, de manière à ne plus défavoriser l’investissement en fonds propres ; (ii) une refonte et un approfondissement de certaines niches fiscales en les ciblant mieux sur le capital risque ; (iii) une modification à la marge de la composition des produits d’épargne existants. Selon les paramètres retenus, toutes ces options peuvent être mises en œuvre à un coût nul pour les finances publiques.
Option 1 – Harmoniser la fiscalité de l’épargne financière
Compte tenu du fait qu’en France la fiscalité du capital oriente très largement les flux d’épargne vers des placements peu risqués et moins favorables au financement des investissements de long terme, la solution la plus logique, mais aussi la plus radicale, consisterait à remettre à plat cette fiscalité, de façon à égaliser les taux d’imposition des revenus du capital, quels que soient les différents supports d’épargne financière. Ce faisant, on ferait en sorte que les placements les plus risqués, notamment dans les entreprises et le capital-risque, aient en moyenne un rendement après impôt plus élevé que les placements moins risqués. Tel n’est en effet pas toujours le cas aujourd’hui, où la fiscalité de l’épargne se caractérise par une grande hétérogénéité[12], difficile à justifier, qui conduit à ce que les placements risqués voient leur rentabilité dégradée par rapport à des placements plus sûrs (placements liquides ou en assurance-vie, qui ne servent pas, ou peu, au financement en fonds propres des entreprises).
L’option d’une harmonisation des taux d’imposition des revenus de l’épargne financière pourrait se décliner sous plusieurs formes. Elle pourrait passer par un barème unique appliqué à tous les revenus du capital, plus-values comprises, sans distinction de nature. C’est ce que font la Suède ou les Pays-Bas, par le biais d’une « flat tax » de 30 % appliquée à l’ensemble des revenus du capital : dividendes, intérêts, plus-value de cession de valeurs mobilières et de la résidence principale. Sans aller jusqu’à un barème unique, un pas vers l’harmonisation conduirait à rehausser la fiscalité sur certains produits peu risqués, et à rabaisser la fiscalité sur des produits plus risqués. Le CAE[13] suggère par exemple de réserver l’avantage fiscal de l’assurance-vie aux sorties en rente, afin de limiter la défiscalisation à l’épargne retraite[14].
Cette option est évidemment d’ampleur : une réforme d’ensemble de la fiscalité du capital, aussi souhaitable qu’elle soit[15], nécessiterait des travaux d’études approfondis. Elle prendrait du temps et ne saurait se justifier au seul motif d’encourager le capital-risque en France. Pour autant, elle produirait certainement des effets incitatifs puissants en ce sens.
Option 2 – Redimensionner les niches existantes et améliorer leur ciblage
Il existe déjà des supports d’épargne et d’investissement à fiscalité dérogatoire permettant le financement en fonds propres des jeunes entreprises innovantes.
- Les FCPI (Fond Commun de Placement dans l’Innovation), dont l’actif est principalement investi en fonds propres de PME innovantes (l’éligibilité des PME correspond à un montant de dépenses de R & D, ou est délivrée par la BPI), et les FIP (Fonds d’Investissement de Proximité), dont l’actif est principalement investi dans les PME d’une zone géographique donnée, permettent à leurs souscripteurs de bénéficier d’une réduction de leur impôt sur le revenu à hauteur de 18 % des montants investis. Cette réduction est plafonnée à 4 320 € pour un couple, ce qui correspond à un investissement de 24 000 €. Pour les assujettis à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), l’impôt dû à ce titre peut être diminué, d’un montant égal à la moitié des sommes investies, plafonné à 18 000 €, somme qui correspond donc à un investissement de 36 000 €. Ces deux dispositifs ont permis de lever de l’ordre de 800 millions d’euros en 2015.
- Les dispositifs dits IR-PME et ISF-PME permettent de déduire une partie des sommes investies de l’impôt sur le revenu dû par le contribuable, sans passer par l’intermédiaire d’un fonds (comme dans les deux cas précédents). L’avantage fiscal dans le cas de ces investissements directs est plafonné à 18 000 € (IR-PME, pour un investissement maximal de 100 000 €) et 45 000 € respectivement (ISF-PME, pour un investissement maximal de 90 000 €). Bien qu’assorti d’un critère d’âge pour déterminer l’éligibilité des entreprises (moins de sept ans), ces dispositifs ne sont pas spécifiquement fléchés sur les entreprises innovantes.
À titre de comparaison, les bénéfices maximaux tirés de ces dispositifs de défiscalisation sont d’un ordre de grandeur bien plus faible que ceux tirés des dispositifs équivalents au Royaume-Uni, où la réduction d’impôt peut atteindre 300 000 £ (plus de 350 000 €) dans le cadre du Enterprise Investment Scheme (EIS).
Bénéficiant d’une déduction d’impôt de 30 % des sommes investies, le plafond d’investissement maximal de 1 million de livres est dix à vingt fois plus élevé que celui de la niche équivalente en France[16]. Deux autres dispositifs (le Seed Enterprise Investment Scheme et le Venture Capital Trust), aux plafonds moins élevés, complètent cette panoplie.
Ensemble, les trois dispositifs britanniques ont permis en 2015 de récolter plus de 2,4 Md£ de financements (soit plus de 3,3 Md€). Près des deux-tiers de ce montant correspondent à des investissements supérieurs à 75 000 £ (soit plus de 100 000 €), qui auraient donc dépassé les plafonds fixés en France. Aujourd’hui, on peut estimer que les dispositifs existant en France conduisent à des flux de financements de l’ordre de 2 Md€ au maximum[17], dont seulement une fraction correspond à du capital-risque, pour un coût fiscal de l’ordre de 600 millions d’euros (essentiellement au titre de la réduction d’ISF).
Le financement du capital-risque pourrait être encouragé par le relèvement des plafonds des avantages fiscaux mais aussi une redéfinition des dispositifs existants. La Cour des Comptes a par exemple préconisé une fusion des dispositifs FIP et FCPI qui permettrait une augmentation de la taille moyenne des fonds, pour qu’ils soient en mesure de financer des tickets de taille plus importante, d’attirer des participations de fonds étrangers et de générer des économies d’échelle sur les frais de gestion[18]. Afin de limiter la fragmentation des fonds et encourager une gestion plus efficace, l’avantage fiscal devrait être conditionné à des investissements dans des fonds de fonds, qui investiraient alors dans les fonds de capital-risque du marché aux côtés des différentes catégories d’investisseurs, notamment les investisseurs institutionnels français ou étrangers. Cette évolution permettrait d’atteindre l’objectif de croissance de taille des fonds de capital-risque et donc des tickets dans les startups. Dans tous les cas, l’éligibilité des entreprises ou des fonds au dispositif retenu devrait être conditionnée à un véritable accompagnement de qualité du développement des startups, condition clé de leur réussite.
Pour être neutre sur les finances publiques, cette option supposerait de durcir quelque peu, dans le même temps, la fiscalité sur les autres types d’investissements.
Option 3 – Revoir le ciblage et la composition des produits d’épargne existants
Les produits d’épargne existants bénéficient d’une notoriété et de circuits de commercialisation bien établis. Sans remettre fondamentalement en cause les avantages fiscaux actuels, le financement du capital-risque pourrait être encouragé en incitant les investisseurs institutionnels à réaliser davantage d’investissements de ce type. Parce que la directive Solvabilité II garantit la liberté d’investissement des entreprises d’assurance, ce résultat ne semble pas pouvoir être atteint en fixant des seuils minimaux sur les produits d’assurance-vie, du moins à court terme.
En fait, des mesures destinées à renforcer la présence du capital-risque dans les produits d’épargne existants ont déjà été prises (création du contrat d’assurance-vie Vie Génération[19] ou encore du contrat « capital-investissement » par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économique). D’autres sont envisageables : renforcer l’avantage fiscal associé aux contrats d’assurance-vie investis en partie en capital-risque, ou bien leur réserver l’avantage fiscal existant de façon à pousser les sociétés d’assurance à structurer leur offre en ce sens ; élargir la liste des actifs éligibles aux unités de compte pour y inclure, par exemple, les fonds institutionnels de capital-risque (FPCI), comme préconisé par le CAE ; ou encore permettre l’intégration des participations prises sur des plateformes de crowdfunding dans des produits d’épargne comme le PEA-PME (Plan d’Épargne en Actions-PME) ou l’assurance-vie, comme suggéré par le Conseil National du Numérique.
Cette option préserverait, dans l’ensemble, la fiscalité dérogatoire qui fait la popularité de ces produits d’épargne, tout en incitant les clients à porter leurs choix sur les contrats qui bénéficient le plus au financement de l’économie. Elle se heurte cependant à la complexité des dispositifs et à leur faible lisibilité. Et elle suppose là encore, de prendre d’autres mesures de durcissement de la fiscalité pour assurer sa neutralité sur les finances publiques.
Auteurs : Vincent Aussilloux et Christophe Gouardo