La faiblesse actuelle des taux d’intérêt soulève un débat légitime sur la meilleure manière de saisir cette opportunité, compte tenu du fait que des besoins d’investissement peuvent aujourd’hui être financés à un coût moindre qu’ils ne pourront l’être demain.
Deux scénarios sont envisageables : une augmentation permanente de l’investissement public, ou une hausse ponctuelle et limitée dans le temps, sur trois années par exemple. Sous des hypothèses prudentes de multiplicateur (effet d’entraînement sur la croissance de la dépense publique) et de remontée graduelle des taux, 10 milliards d’euros annuels supplémentaires d’investissement public accroîtraient le ratio de dette sur PIB de la France de 0,5 à 1,5 point à horizon 2027. En outre, l’accroissement de l’investissement pourrait s’autofinancer à long terme s’il augmentait de manière pérenne la croissance potentielle, s’il générait des économies grâce à la modernisation de l’administration ou s’il réduisait les transferts sociaux futurs – par exemple en augmentant l’employabilité des personnes. Sous certaines conditions, l’OCDE[8] soutient que la France pourrait accroître ses investissements pendant quatre ans, sans effet sur le ratio dette publique / PIB à l’horizon 2040. Ce surcroît d’investissement serait également neutre sur le niveau de dette s’il était compensé par moins d’investissements demain.
Un renforcement de l’investissement public n’aurait probablement pas d’impact déstabilisant sur la signature française, et donc sur les taux d’intérêt, si celui-ci n’était pas perçu comme un relâchement permanent de l’ajustement budgétaire. Il devrait donc s’accompagner d’une trajectoire crédible de baisse future des dépenses courantes et d’un processus rigoureux et transparent de sélection et de mise en œuvre des investissements à financer.
Compte tenu de l’état des finances publiques de la France et de ses engagements européens en la matière, trois autres voies s’offrent au pays s’il décide d’agir seul : (i) réorienter la dépense publique nationale pour favoriser l’investissement ; (ii) amplifier les investissements du Programme d’investissements d’avenir qui n’ont pas d’impact sur le déficit public ; (iii) mobiliser des mécanismes de garantie publique qui n’augmentent pas les dépenses publiques dans l’immédiat.
Réorienter la dépense publique au profit de l’investissement tout en améliorant sa qualité
Il est possible d’améliorer la qualité des dépenses publiques pour favoriser celles qui ont un impact positif sur la croissance potentielle. L’effet à attendre de cette stratégie sur la croissance de court terme serait faible, car il s’agirait de réallouer des dépenses publiques sans augmenter leur montant global.
Alors que le respect de la trajectoire d’ajustement budgétaire nécessite déjà de réduire la dépense, la principale difficulté ici consiste à réussir à identifier des gisements d’économies supplémentaires, pour redéployer la dépense publique au bénéfice de l’investissement. Cette note ne traite pas de la nature des dépenses qui pourraient être réduites en priorité ; elle se concentre sur la nature de celles qui devraient leur être substituées.
Afin d’éviter une augmentation future du déficit lié aux dépenses de fonctionnement, devraient a priori être privilégiés les investissements consacrés à la rénovation et la maintenance d’infrastructures existantes. Celles-ci génèrent traditionnellement moins de dépenses de fonctionnement supplémentaires que les infrastructures nouvelles. Se justifient également des investissements qui accroissent le potentiel de croissance du pays, comme les dépenses de recherche ou d’éducation. Afin d’égaler les pays les plus performants, l’effort supplémentaire en faveur de l’éducation pourrait par exemple atteindre 1,4 point de PIB[9].
La France conserve d’importantes marges de manœuvre pour améliorer la qualité de l’investissement public. Depuis la Loi de Programmation des Finances Publiques (LPFP) de 2012, les investissements civils financés par l’État et ses établissements publics doivent faire l’objet d’une évaluation socio-économique préalable, soumise à une contre-expertise indépendante pilotée par le Commissariat Général à l’Investissement. Ces évaluations paraissent cependant encore perfectibles et insuffisamment intégrées dans le processus de décision[10]. L’inventaire des projets d’investissement reste parcellaire et les évaluations, parfois sommaires, ne font pas l’objet d’une méthodologie homogène. Sur tous ces points, la réponse passe par la mise en place de méthodes détaillées et rigoureuses d’évaluation des coûts et bénéfices socio-économiques par type d’investissement[11].
Plus fondamentalement, la plus grande partie de l’investissement public – celui des collectivités territoriales, qui représente près des deux tiers de l’investissement public du pays – échappe à cette obligation d’évaluation. Il serait souhaitable que s’organise un réseau de l’évaluation entre les institutions de l’État et les collectivités territoriales, visant à améliorer la qualité et l’utilité des projets.
Une alternative à l’investissement en infrastructures est à rechercher dans les investissements qui réduisent les coûts de fonctionnement du secteur public. Il s’agirait d’engager aujourd’hui des dépenses de modernisation et de digitalisation de l’administration gagées sur la réduction future des dépenses courantes[12]. Ceci permettrait par exemple d’accompagner la réforme territoriale en s’assurant de l’effectivité des économies attendues. Elles peuvent être considérables sur le moyen terme, mais elles supposent un investissement de départ souvent important[13].
Amplifier les investissements du programme d’investissements d’avenir qui n’ont pas d’impact sur le déficit public
La France dispose depuis 2010 d’un programme original de financement des investissements, le Programme d’investissements d’avenir (PIA), qui entre dans sa troisième phase. Piloté par le Commissariat général à l’investissement (CGI), il a pour objectif d’encourager l’innovation et de valoriser la recherche et l’enseignement supérieur afin d’améliorer la compétitivité à long terme de l’économie française. Il a été doté pour ses deux premières phases de 47 milliards d’euros et de 10 milliards supplémentaires pour la troisième étape qui s’ouvre. Le Comité d’examen à mi-parcours a jugé que l’initiative du PIA a produit des effets positifs, à la fois quantitatifs et qualitatifs[14]. Certains projets sont soutenus par des dotations non consommables, qui n’ont que très peu d’impact sur le déficit public au sens de nos engagements européens, et par des prises de participation au capital ainsi que par des prêts, qui n’en ont pas. Dans la troisième phase du PIA, ce sont six milliards d’euros qui entrent dans cette catégorie. La France pourrait privilégier cette voie pour accroître l’investissement dans les années qui viennent sans contrevenir à ses engagements européens. Naturellement, cela emporterait des contraintes fortes sur le type d’investissements réalisables.
Mobiliser des mécanismes de garantie publique
La France peut explorer des voies plus innovantes pour soutenir l’investissement, notamment en offrant des garanties publiques, qui permettent de mobiliser les financements privés en réduisant le risque attaché à des investissements de long terme.
Grâce à des mesures garantissant la trajectoire du prix du carbone définie par l’État, il est par exemple possible de débloquer des investissements bas-carbone financés par le secteur privé en réduisant l’incertitude à laquelle ils font face. Ce type de soutien sous forme d’engagement conditionnel, qui diminue le coût de financement de projets privés, pourrait également être mobilisé pour d’autres types d’investissement[15]. Il conviendrait cependant de mettre en place des mécanismes robustes de sélection des projets éligibles, pour éviter toute dérive sur les dépenses publiques futures.