Aujourd’hui, deux visions radicalement différentes du devenir de l’automobile s’opposent[10].
Option 1 : un véhicule consommant 2 litres aux 100 km en 2030 et un véhicule zéro émission au-delà de 2050
Pour être crédible, cette option[11] doit reposer sur une réglementation européenne contraignante. Elle offre l’avantage de stimuler l’industrie automobile européenne, en lui ouvrant largement les marchés mondiaux. Dans ce scénario, les véhicules zéro émission (électriques ou autres) ne se développeraient que très lentement, avec des ventes annuelles ne dépassant pas les 10 % du marché français en 2040.
Développer un véhicule consommant 2 litres aux 100 km (soit environ 50 gCO2/km) d’ici 2030 représente un défi technologique important, qui passe non seulement par une amélioration du moteur mais aussi par une motorisation hybride, par le recours à des biocarburants et par des modifications portant sur l’aérodynamisme, le poids, les pneus, le rendement des systèmes auxiliaires et les aides à une conduite économe.
Cette option a toutefois plusieurs inconvénients. D’une part, les 30 millions de véhicules particuliers continueraient à produire des émissions de gaz à effet de serre (GES), même réduites de 70 MtCO2 à 30 MtCO2 en 2050. Cette moindre décarbonation des transports devra être compensée par un regain d’efforts dans d’autres secteurs d’activité (agriculture, résidentiel-tertiaire). D’autre part, le prix du véhicule consommant 2 litres aux 100 km pourrait être élevé si les normes exigent non seulement une réduction des émissions de GES mais aussi des polluants classiques. Enfin, cette première option risque d’enfermer les constructeurs européens dans une technologie ne répondant pas à l’objectif de long terme d’une société neutre en carbone.
Au total, le coût pour la collectivité de ce scénario correspond aux 30 MtCO2 qui resteraient produits annuellement en 2050, que l’on peut chiffrer à environ 2 milliards d’euros[12] par an, auxquels il convient d’ajouter les externalités des véhicules thermiques (bruit, polluants classiques).
Option 2 : un marché européen totalement converti au véhicule électrique en 2050
Cette seconde option, plus radicale, fait l’économie de l’étape du véhicule consommant 2 litres aux 100 km pour s’orienter dès maintenant vers le véhicule électrique. Elle obéit à la volonté non seulement d’aller le plus vite possible vers une société neutre en carbone mais aussi de retrouver une meilleure qualité de l’air dans les centres-villes. Dans cette option, les véhicules à moteur thermique disparaissent de la vente à partir de 2040. L’hypothèse n’a rien de fantaisiste : la Norvège étudie déjà cette possibilité pour 2025 ; la Suède envisage de se passer des énergies fossiles dans les transports à l’horizon 2030 ; et Toyota a récemment annoncé son intention de bannir les carburants fossiles à partir de 2050.
L’interdiction de la vente des véhicules thermiques à partir de 2040 serait rendue plus crédible aux yeux des industriels comme des usagers si elle était précédée dès 2030 de restrictions de circulation pour les moteurs à carburants fossiles dans le centre des agglomérations européennes (par exemple à l’aide de vignettes) et d’une montée en puissance progressive des taxes sur les carburants automobile (contribution climat-énergie). Ce mouvement serait parachevé en 2050 par une interdiction de circulation frappant les véhicules à moteur thermique.
L’annonce précoce de telles mesures permettrait à tous les acteurs de se préparer. Elle favoriserait l’essor rapide d’un marché d’occasion des véhicules électriques, rendu accessible aux ménages à faible revenu. Elle placerait enfin les constructeurs européens sur un marché porteur, qui devrait concerner très rapidement l’Asie.
La réduction des émissions de GES serait maximale en France, puisque les 70 MtCO2 émis en 2014 par le parc automobile auraient disparu en 2050. Il resterait toutefois les émissions liées à la fabrication des batteries, qui dépendent fortement du degré de décarbonation du mix électrique dans le pays producteur. Les gains seraient fortement réduits, voire annulés, dans les pays où l’électricité resterait produite à partir des énergies fossiles (comme c’est le cas aujourd’hui en Pologne ou en Allemagne).
Cette seconde option n’est pas sans inconvénients. D’une part, son coût sera élevé pour la collectivité si les constructeurs ne parviennent pas à abaisser le coût du véhicule électrique. D’autre part, les constructeurs européens se trouveront dissuadés de développer un modèle consommant 2 litres aux 100 km, ce qui les privera d’une source potentielle de ventes sur le marché mondial.
Enfin, cette option suppose des investissements considérables dans le réseau des bornes électriques. En France, le déploiement progressif sur vingt ans de 30 millions de points de recharge, correspondant à un parc entièrement électrique à 2050, représenterait un coût minimal de 15 milliards d’euros[13], auquel il faudrait ajouter le déploiement (à préciser) d’un million de bornes de recharges rapides, pour un coût compris entre 10 et 20 milliards[14]. Le coût total d’investissement pour la collectivité se monterait ainsi entre 25 et 35 milliards d’euros d’ici 2050.
À ce chiffrage s’ajoutent les coûts de renforcement du réseau électrique pour répondre aux appels de puissance liés à la recharge des véhicules électriques. Ces coûts devront être conçus et optimisés dans un cadre plus large : ENEDIS (ex-ERdF) évalue à environ 30 milliards d’euros les sommes qu’il devra affecter avant 2030 à l’intégration des énergies renouvelables et au déploiement des smart grids.
Deux mondes se profilent à l’horizon 2050 (voir graphique ci-dessous) : un monde dominé par le véhicule électrique ou un monde dominé par un véhicule thermique peu émetteur.
Curieusement, le levier principal pour que l’une ou l’autre de ces options prenne corps est le même : l’adoption par le Conseil européen d’une norme ambitieuse de 2 litres aux 100 km pour les émissions moyennes des véhicules neufs à 2030. Dans la première vision, cette norme sera satisfaite par des véhicules thermiques hybrides répondant majoritairement à la norme fixée. Dans la deuxième vision, les ventes annuelles de véhicules neufs à 2030 seront composées pour un tiers de véhicules électriques et pour les deux tiers restants de véhicules thermiques à 3 litres aux 100 km. Gageons néanmoins que la Commission européenne, qui doit proposer dans les prochains mois un nouvel objectif[15], sera soumise à un puissant lobbying de certains constructeurs en faveur d’une norme moins sévère.
Auteur : Dominique Auverlot
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