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Le véhicule propre au secours du climat

La France, dont la production d’électricité est déjà largement décarbonée, doit concentrer ses efforts sur quelques secteurs d’activité, dont celui du transport, à commencer par la voiture particulière

Résumé

Pour éviter une hausse des températures synonyme de graves dérèglements climatiques, l’humanité doit fortement réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines décennies. L’Accord de Paris a récemment fixé des objectifs ambitieux en ce sens. La France, dont la production d’électricité est déjà largement décarbonée, doit concentrer ses efforts sur quelques secteurs d’activité, dont celui du transport, à commencer par la voiture particulière. Il lui faudra choisir entre deux scénarios. Le premier suppose de développer une voiture thermique aux performances optimisées – consommant 2 litres aux 100 km – à horizon 2030 (la généralisation d’un véhicule à zéro émission n’intervenant que dans une seconde étape, renvoyée au-delà de 2050). Le deuxième scénario, plus radical, consiste à imposer rapidement le véhicule tout électrique sur l’ensemble du marché européen, en interdisant la vente des véhicules thermiques à l’horizon 2040, et leur circulation en 2050. Dans les deux cas, le défi est à la fois technologique, industriel et institutionnel et les pouvoirs publics — français et européens — devront assumer un rôle majeur de stratèges et d’incitateurs.

ACTION CRITIQUE
Une évolution climatique qui impose des objectifs ambitieux

Le rythme des changements climatiques observés en 2015 est décrit comme « inquiétant » et « sans précédent » par l’Organisation météorologique mondiale. L’année 2016 quant à elle se signale par une forte hausse de la température moyenne, qui est désormais supérieure d’environ 1,2 °C à celle prévalant à l’époque pré-industrielle, avec des épisodes dépassant de 20 °C les normales saisonnières dans l’Arctique. Cette évolution du climat a pour conséquence une montée en fréquence et en intensité d’événements climatiques et météorologiques comparables pour certains d’entre eux à de véritables catastrophes naturelles, avec des dommages matériels mais aussi humains de grande ampleur[1]. Dans un contexte où l’espoir de limiter la hausse de la température en dessous de 1,5 °C apparaît désormais quasi nul[2], la nécessité d’agir est plus urgente que jamais.

En fixant des objectifs ambitieux — contenir la hausse de la température de la planète sous les 2 °C et parvenir à la neutralité carbone dans la seconde moitié de ce siècle —,  l’Accord de Paris adopté en décembre 2015 a permis de relancer la dynamique climatique mondiale. Cependant, pour atteindre de tels objectifs, il est impératif de diminuer les émissions mondiales d’environ 30 % supplémentaires à l’horizon 2030 par rapport aux engagements pris par les différents pays. Le premier bilan, qui sera dressé en 2018 par l’ONU (CCNUCC), conduira donc inéluctablement à de nouvelles négociations, visant à ce que l’ensemble des pays durcissent leurs engagements de réduction d’émissions.

Si l’Union européenne et la France demeurent fidèles à l’esprit de l’Accord de Paris, ce en dépit du probable changement d’attitude des États-Unis que laisse augurer l’élection d’un président sensible aux thèses climato- sceptiques, la logique voudrait même qu’elles se donnent pour objectif de parvenir à une société neutre en carbone dès le début de la deuxième moitié de ce siècle.

1. Le coût annuel des aléas naturels est estimé pour la France à 48 milliards d’euros sur la période 1988-2013. Il pourrait s’élever à 92 milliards en 2040. Voir Association française de l’assurance (2015), Risques Climatiques : quel impact sur l’assurance contre les aléas naturels à l’horizon 2040 ?  

2. “The 1.5ºC target has almost certainly already been missed because of the lack of action to stop the increase in global GHG emissions for the last 20 years” : FEU-US (Universal Ecological Fund) (2016), The Truth about Climate Change, rapport.

3. Avec un recalage à + 0,78 °C pour la période 2003-2012 par rapport à la période 1850-1900 (voir le cinquième rapport du GIEC, tome 1, chapitre 2).

Une priorité pour la France :

la baisse des émissions dans les transports

Dans l’Union européenne (UE), la production d’électricité provient pour moitié des énergies fossiles. Une priorité à l’échelle communautaire devrait donc être de fermer les installations thermiques correspondantes, à commencer par les centrales à charbon. En France, où la production d’électricité est presque entièrement décarbonée, les efforts de réduction doivent désormais se concentrer sur le transport (29 % des émissions en 2015, soit 130 MtCO2e dont 70 MtCO2e pour les véhicules particuliers), sur l’agriculture (20 %, soit 90 MtCO2e) et sur le résidentiel-tertiaire (19 %, soit 84 MtCO2e). Le secteur du transport constitue une cible de choix car ses émissions ont augmenté de près de 10 % depuis 1990.

Réduire les émissions des véhicules automobiles constitue un défi à la fois technologique et industriel pour un secteur automobile européen contraint d’adapter ses produits tout en restant compétitif. C’est aussi un défi institutionnel, s’agissant des leviers que la puissance publique doit mettre en place, de préférence à l’échelle européenne.

À très court terme (2021), l’objectif de l’UE d’aboutir à un niveau moyen d’émissions des véhicules neufs vendus inférieur à 95 gCO2/km – soit environ 3,7 litres aux 100 km – semble à portée de main de la plupart des constructeurs. Mais à l’horizon 2050, une société neutre en carbone devrait reposer sur un véhicule à zéro émission : le véhicule électrique[4] semble aujourd’hui le meilleur candidat (même si d’autres technologies sont encore en lice) pour y parvenir. Reste à savoir sous quelles conditions sa production à grande échelle et son utilisation peuvent devenir plus avantageuses que celles du véhicule thermique.

4.  Avec une batterie fabriquée dans un pays doté d’un système électrique propre.

Le véhicule électrique :

une opportunité pour le monde de demain

Le véhicule électrique était jusqu’à présent réservé à un marché de niche, compte tenu de sa faible autonomie, comprise entre 100 km et 150 km. Cette contrainte est en passe d’être levée : les nouvelles performances de la motorisation et de la chaîne de traction ainsi que la chute du prix des batteries vont permettre la mise sur le marché de véhicules électriques qui, sans augmentation notable de leur prix, pourront parcourir 230 km à 350 km en conditions réelles[5], avec une centaine de kilomètres supplémentaires pour une recharge de trente minutes.

Le prix du véhicule électrique est aujourd’hui élevé. Pour un particulier, son coût d’usage n’est comparable à celui de son équivalent thermique que s’il bénéficie de la prime de 10 000 euros accordée par le gouvernement. Sinon, pour un véhicule d’une durée de vie de dix ans parcourant 13 000 km par an, ce coût est supérieur d’environ 1 200 euros par an[6]. De même, dans les conditions technologiques actuelles, le bilan pour l’ensemble de la collectivité penche encore en faveur du véhicule thermique[7]. Pour trouver un coût équivalent (sans bonus), il faudrait porter la valeur de la contribution climat-énergie à 900 €/tCO2, soit environ 2,40 euros par litre de carburant, ce qui n’est pas imaginable aujourd’hui.

De leur côté, les constructeurs automobiles peuvent certes compter sur des subventions à l’achat destinées à faire décoller le marché (c’est le cas en France avec le bonus/malus), mais ces subventions peuvent être caduques une fois que le marché aura atteint sa maturité. Le pari industriel repose donc sur la capacité des constructeurs à fabriquer dans les prochaines années un véhicule (éventuellement low cost) dont le coût global pour l’usager serait comparable à celui du véhicule thermique. Ce pari est tenable si on prend en considération que le coût du véhicule thermique devrait augmenter à l’achat, sous l’effet du renforcement des normes d’émissions à l’égard non seulement des gaz à effet de serre mais aussi des autres polluants. Le défi sera néanmoins plus difficile à relever si le prix de l’électricité augmente et si le prix du carburant consommé par le véhicule thermique baisse dans le même temps. De fait, le progrès technique permet une moindre consommation des véhicules thermiques, tandis que l’essor du véhicule électrique exercera une pression à la baisse sur les prix du pétrole.

Par ailleurs, les véhicules électriques ne pourront se déployer de manière massive que si le réseau est en capacité de fournir l’électricité nécessaire à leur circulation. La difficulté réside davantage dans l’appel de puissance que dans l’énergie totale consommée. Un parc automobile français composé uniquement de véhicules électriques consommerait près de 90 TWh par an. Ce surplus de consommation est gérable : il correspond à 20 % de la consommation d’électricité française ou à la quantité d’électricité exportée par la France en 2015[8]. En revanche, la concomitance des recharges peut induire des appels de puissance considérables, que ne pourrait supporter notre système électrique. Un parc de 30 millions de véhicules électriques se rechargeant en même temps à 19 heures, même lentement à 3 kW, nécessiterait une puissance supplémentaire de 90 GW, soit un quasi doublement de la demande de pointe actuelle. Une gestion intelligente, visant à répartir la recharge sur 24 heures, doit donc être prévue dès le départ. Elle suppose la mise en place d’une structure tarifaire adaptée, évoluant en fonction de la demande, avec possibilité pour le gestionnaire du réseau d’interrompre les recharges, voire de soutirer l’énergie contenue dans les batteries des véhicules particuliers, quitte à rémunérer le service rendu[9].

5. Selon la capacité de la batterie qui, hier de 20 à 25 kWh, devrait être désormais comprise entre 40 et 60 kWh, voire plus pour certains modèles (consommation de 17 kWh pour 100 km). 

6. Voir la feuille de calcul.

7. Le bilan pour la collectivité inclut le coût des externalités négatives liées aux émissions de carbone (taxe climat-énergie de 30€/tCO2 en 2016, soit environ 8 cts€/l pour le diesel). Il exclut le restant de la fiscalité (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ou TICPE, TVA et bonus/malus), qui correspond à un simple transfert entre agents économiques (des particuliers à l’État), neutre pour la collectivité prise dans son ensemble. Ce bilan fait lui aussi ressortir un surcoût de l’ordre de 1 200 euros par an pour le véhicule électrique. Néanmoins, en zone urbaine très dense, la valeur de l’externalité négative liée aux gaz d’échappement (émissions de NOx et de particules fines nocives) est importante  ce qui rend, toutes choses égales par ailleurs, le véhicule électrique d’ores et déjà avantageux pour la collectivité lorsqu’il remplace un véhicule diesel mis en service avant 2000 (vingt fois plus émetteur de particules que les diesels neufs actuels).

8. Corrigée de l’effet météorologique, la consom- mation en France métro- politaine a été de 476,3 TWh en 2015 (source RTE). La France a exporté 91,3 TWh vers les pays voisins et importé 29,6 TWh.  

9. Cette gestion intelligente devra être protégée contre les cyberattaques, notam- ment celle qui déclencherait la recharge de toutes les batteries en même temps pour provoquer la chute du réseau.

 

Les options

Aujourd’hui, deux visions radicalement différentes du devenir de l’automobile s’opposent[10].

Option 1 : un véhicule consommant 2 litres aux 100 km en 2030 et un véhicule zéro émission au-delà de 2050

Pour être crédible, cette option[11] doit reposer sur une réglementation européenne contraignante. Elle offre l’avantage de stimuler l’industrie automobile européenne, en lui ouvrant largement les marchés mondiaux. Dans ce scénario, les véhicules zéro émission (électriques ou autres) ne se développeraient que très lentement, avec des ventes annuelles ne dépassant pas les 10 % du marché français en 2040.

Développer un véhicule consommant 2 litres aux 100 km (soit environ 50 gCO2/km) d’ici 2030 représente un défi technologique important, qui passe non seulement par une amélioration du moteur mais aussi par une motorisation hybride, par le recours à des biocarburants et par des modifications portant sur l’aérodynamisme, le poids, les pneus, le rendement des systèmes auxiliaires et les aides à une conduite économe.

Cette option a toutefois plusieurs inconvénients. D’une part, les 30 millions de véhicules particuliers continueraient à produire des émissions de gaz à effet de serre (GES), même réduites de 70 MtCO2 à 30 MtCO2 en 2050. Cette moindre décarbonation des transports devra être compensée par un regain d’efforts dans d’autres secteurs d’activité (agriculture, résidentiel-tertiaire). D’autre part, le prix du véhicule consommant 2 litres aux 100 km pourrait être élevé si les normes exigent non seulement une réduction des émissions de GES mais aussi des polluants classiques. Enfin, cette première option risque d’enfermer les constructeurs européens dans une technologie ne répondant pas à l’objectif de long terme d’une société neutre en carbone.

Au total, le coût pour la collectivité de ce scénario correspond aux 30 MtCO2 qui resteraient produits annuellement en 2050, que l’on peut chiffrer à environ 2 milliards d’euros[12] par an,  auxquels il convient d’ajouter les externalités des véhicules thermiques (bruit, polluants classiques).

Option 2 : un marché européen totalement converti au véhicule électrique en 2050

Cette seconde option, plus radicale, fait l’économie de l’étape du véhicule consommant 2 litres aux 100 km pour s’orienter dès maintenant vers le véhicule électrique. Elle obéit à la volonté non seulement d’aller le plus vite possible vers une société neutre en carbone mais aussi de retrouver une meilleure qualité de l’air dans les centres-villes. Dans cette option, les véhicules à moteur thermique disparaissent de la vente à partir de 2040. L’hypothèse n’a rien de fantaisiste : la Norvège étudie déjà cette possibilité pour 2025 ; la Suède envisage de se passer des énergies fossiles dans les transports à l’horizon 2030 ; et Toyota a récemment annoncé son intention de bannir les carburants fossiles à partir de 2050.

L’interdiction de la vente des véhicules thermiques à partir de 2040 serait rendue plus crédible aux yeux des industriels comme des usagers si elle était précédée dès 2030 de restrictions de circulation pour les moteurs à carburants fossiles dans le centre des agglomérations européennes (par exemple à l’aide de vignettes) et d’une montée en puissance progressive des taxes sur les carburants automobile (contribution climat-énergie). Ce mouvement serait parachevé en 2050 par une interdiction de circulation frappant les véhicules à moteur thermique.

L’annonce précoce de telles mesures permettrait à tous les acteurs de se préparer. Elle favoriserait l’essor rapide d’un marché d’occasion des véhicules électriques, rendu accessible aux ménages à faible revenu. Elle placerait enfin les constructeurs européens sur un marché porteur, qui devrait concerner très rapidement l’Asie.

La réduction des émissions de GES serait maximale en France, puisque les 70 MtCO2 émis en 2014 par le parc automobile auraient disparu en 2050. Il resterait toutefois les émissions liées à la fabrication des batteries, qui dépendent fortement du degré de décarbonation du mix électrique dans le pays producteur. Les gains seraient fortement réduits, voire annulés, dans les pays où l’électricité resterait produite à partir des énergies fossiles (comme c’est le cas aujourd’hui en Pologne ou en Allemagne).

Cette seconde option n’est pas sans inconvénients. D’une part, son coût sera élevé pour la collectivité si les constructeurs ne parviennent pas à abaisser le coût du véhicule électrique. D’autre part, les constructeurs européens se trouveront dissuadés de développer un modèle consommant 2 litres aux 100 km, ce qui les privera d’une source potentielle de ventes sur le marché mondial.

Enfin, cette option suppose des investissements considérables dans le réseau des bornes électriques. En France, le déploiement progressif sur vingt ans de 30 millions de points de recharge, correspondant à un parc entièrement électrique à 2050, représenterait un coût minimal de 15 milliards d’euros[13], auquel il faudrait ajouter le déploiement (à préciser) d’un million de bornes de recharges rapides, pour un coût compris entre 10 et 20 milliards[14]. Le coût total d’investissement pour la collectivité se monterait ainsi entre 25 et 35 milliards d’euros d’ici 2050.

À ce chiffrage s’ajoutent les coûts de renforcement du réseau électrique pour répondre aux appels de puissance liés à la recharge des véhicules électriques. Ces coûts devront être conçus et optimisés dans un cadre plus large : ENEDIS (ex-ERdF) évalue à environ 30 milliards d’euros les sommes qu’il devra affecter avant 2030 à l’intégration des énergies renouvelables et au déploiement des smart grids.


Deux mondes se profilent à l’horizon 2050 (voir graphique ci-dessous) : un monde dominé par le véhicule électrique ou un monde dominé par un véhicule thermique peu émetteur.

Curieusement, le levier principal pour que l’une ou l’autre de ces options prenne corps est le même : l’adoption par le Conseil européen d’une norme ambitieuse de 2 litres aux 100 km pour les émissions moyennes des véhicules neufs à 2030. Dans la première vision, cette norme sera satisfaite par des véhicules thermiques hybrides répondant majoritairement à la norme fixée. Dans la deuxième vision, les ventes annuelles de véhicules neufs à 2030 seront composées pour un tiers de véhicules électriques et pour les deux tiers restants de véhicules thermiques à 3 litres aux 100 km. Gageons néanmoins que la Commission européenne, qui doit proposer dans les prochains mois un nouvel objectif[15], sera soumise à un puissant lobbying de certains constructeurs en faveur d’une norme moins sévère.

Auteur : Dominique Auverlot

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10. Sans épuiser la prospective en matière d’automobile : cette note ne traite pas du véhicule autonome.

11. Elle correspond au futur décrit par le rapport de prospective 2015 de l’OPEC à 2040 : World Oil Outlook 2015.

12. Chiffrage en euros de 2016, établi avec une valeur du carbone de 300 €/tCO2, en 2050, correspondant au niveau crédibilisant l’engagement de diviser par 4 les émissions à cet horizon, et avec un taux d’actualisation de 4,5 %.

13. Chiffrage en euros de 2016 sur la base de points de recharge à 1 000 euros la borne développés au rythme de déploiement des véhicules et avec un taux d’actualisation de 4,5 %. 

14. Le coût d’une borne de recharge rapide (40 à 50 kW) est aujourd’hui d’environ 50 000 euros. Il devrait néanmoins baisser fortement (entre 20 000 et 40 000 euros).  

15. La Commission a prévu de présenter dans le courant du deuxième trimestre 2017 une révision des stratégies post-2020 pour les voitures/camionnettes et pour les camions, les autobus et les autocars ainsi qu’une révision de la directive sur les véhicules propres.