Réparer ce qui marche mal ? Ou transformer le système ?
Pour rendre la transition lycée-enseignement supérieur plus fluide et pour limiter les risques de décrochage dans les premières années des études supérieures ainsi que la fréquence des réorientations, il convient de chercher les moyens de combattre chacune de ces causes.
Quelle que soit l’option choisie pour organiser la transition secondaire-supérieur, il est tout d’abord indispensable de repenser l’information et l’aide à la décision des étudiants et des familles. L’absence ou l’inadéquation de l’information est en effet un facteur important d’échec et d’inégalité sociale entre les initiés et les autres. Pour y remédier, une priorité immédiate est de construire, en s’appuyant notamment sur les dispositifs APB et l’offre de l’Onisep, une plateforme[10] qui apporte aux utilisateurs des informations transparentes et exhaustives sur les formations et les parcours, les prérequis pour chaque formation, les procédures d’affectation, les chances de réussite selon les filières d’origine et les perspectives d’insertion professionnelle associées aux différents diplômes[11].
Au-delà, en raisonnant à un horizon de dix années, il est possible de dessiner deux stratégies de transformation de l’architecture du système éducatif pour une meilleure articulation du lycée et du supérieur.
Option 1 – Créer des parcours intégrés secondaire-supérieur
Aujourd’hui, une forme d’intégration lycée-supérieur existe seulement pour les jeunes qui vont en classes préparatoires aux grandes écoles ou qui poursuivent leurs études en formation professionnelle courte (sections de technicien supérieur – STS et instituts universitaires de technologie – IUT), puisque le cadre d’enseignement et les méthodes y sont assez similaires à ceux du lycée. Mais la rupture est plus forte pour les élèves les plus fragiles ou les moins informés, qui se retrouvent souvent à l’université, même si la loi de 2013 relative à l’enseignement supérieur a introduit le principe de continuité pédagogique entre le scolaire et le supérieur.
Cette option, tout en s’inscrivant dans l’architecture actuelle du système, très hiérarchisé, propose de construire ou de développer des parcours de formation intégrés, à cheval sur les deux cycles.
Parallèlement aux filières sélectives longues et aux formations du secteur privé, l’intégration de ces parcours pourrait emprunter deux modalités :
- développer des formations professionnelles de niveau Bac + 2 et Bac + 3. D’une part, les dispositions réglementaires actuelles (garanties d’accès prioritaires)[12] visant à favoriser l’accès des bacheliers issus des filières professionnelle et technologique à ces formations seraient renforcées[13]. Il s’agit notamment des STS et des IUT, où les taux de réussite sont meilleurs qu’à l’université et où respectivement 18 % et 65 % des étudiants ont un baccalauréat général, alors que ces formations ont été initialement conçues pour les élèves issus des filières technologique et professionnelle. D’autre part, des licences professionnelles de trois années de formation seraient créées au sein des universités[14], voire dans certains lycées qui accueillent déjà des formations du supérieur à destination de tous les bacheliers, y compris les bacheliers généraux souhaitant s’engager dans ces parcours d’études supérieures courtes ;
- pour tous les étudiants qui souhaitent poursuivre dans les formations générales non sélectives de niveau licence, instaurer des tests de positionnement, intervenant assez tôt au cours de l’année de terminale, qui auraient pour objectif d’apporter des réponses personnalisées aux situations des futurs étudiants : mise à niveau avant le début du cursus, accompagnement renforcé tout au long de l’année, réorientation vers d’autres filières plus adaptées aux souhaits et aux capacités de l’étudiant, obligation de passer par une année de préparation aux études supérieures (avec octroi d’un an de bourse supplémentaire).
Le risque associé à cette option réside dans le caractère limité du changement introduit, en raison du maintien de la logique des filières hiérarchisées.
Option 2 – Permettre aux élèves de construire leur parcours à la carte
La seconde option consisterait à rompre avec la logique des filières segmentées en sections, qui domine le système actuel, pour permettre aux élèves et aux étudiants de construire leur propre parcours à partir d’une pluralité de modules de formation, au terme desquels les compétences acquises par l’étudiant seraient clairement identifiées. La validation des modules permettrait la reconnaissance de ces blocs de compétences acquises, même en cas d’échec au diplôme, la capitalisation de ces acquis en cas de réorientation, ainsi que des allers et retours en formation tout au long de la vie.
Elle impliquerait une réforme profonde tant du lycée que du premier cycle du supérieur, ainsi qu’un accompagnement des jeunes qui ne peuvent être laissés seuls face à la construction de leur parcours de formation.
Au niveau du lycée, les parcours seraient constitués de modules de formation indispensables à une formation générale commune à l’ensemble de la filière choisie et assortis, mais de manière progressive, de matières de spécialisation.
Plus précisément :
- dans les filières générale et technologique, l’organisation des enseignements en parcours de formation modulaires, leur validation en contrôle continu et la non compensation (totale ou partielle) des résultats entre modules assureraient une acquisition effective des connaissances et des compétences nécessaires à la poursuite des études dans le supérieur. Cette évolution passerait aussi par une spécialisation progressive au cours de la scolarité au lycée, susceptible de faciliter l’orientation ;
- l’organisation du lycée professionnel devrait également tenir compte du nombre limité de bacheliers pro poursuivant dans le supérieur[15], en proposant des parcours de formations modulaires selon le projet de l’élève : davantage de formations générales et un accompagnement personnalisé pour ceux qui comptent poursuivre leurs études et plus de modules professionnels et de périodes de stage en entreprise pour ceux qui souhaitent s’insérer sur le marché du travail à l’issue du secondaire ;
- la grande souplesse des parcours et la multiplication des passerelles entre filières devraient se traduire par le développement important de lycées polyvalents (comprenant les filières générale, technologique et professionnelle). À terme, la notion de filière pourrait même laisser la place à celle de parcours de formation, sans distinction entre baccalauréats.
Dans un schéma de ce type, le baccalauréat pourrait évoluer vers un diplôme validé en contrôle continu, avec la possibilité de maintenir ou non des épreuves finales sur un nombre très limité de matières. D’un examen de passage entre le lycée et le supérieur, son rôle serait transformé en celui d’une certification intermédiaire. Mais le baccalauréat ne disparaîtrait pas : compte tenu de l’importance du diplôme dans l’insertion et le parcours professionnel des jeunes, maintenir cette certification est indispensable pour ceux qui quittent le système éducatif juste après le lycée.
Au niveau du supérieur, cette option se traduirait par trois évolutions principales :
- les formations seraient structurées en modules, en réduisant plus encore que dernièrement[16] le nombre de spécialités en début de parcours. En effet, pour les lycéens, le passage du système scolaire, où filières et séries sont en nombre restreint, à un premier cycle du supérieur extrêmement varié et hiérarchisé demeure difficile. Les formations au niveau de la licence seraient ainsi organisées en un nombre limité de grands champs de spécialités disciplinaires. À l’image de la première année commune aux études de santé (PACES), une année commune pourrait être envisagée pour chacun des grands champs de disciplines, par exemple : Sciences (+ Staps), Lettres et langues, Sciences humaines et sociales ;
- la première année du cursus licence dans chacun des quatre grands champs pluridisciplinaires deviendrait une année de préparation aux études supérieures. Elle devrait être modulaire et serait validée principalement en contrôle continu. Les étudiants seraient informés des modules qu’il faut valider pour poursuivre telle ou telle formation ou spécialité et choisiraient sur cette base leurs matières principales et secondaires. Les résultats obtenus au cours de cette année préparatoire permettraient ainsi d’orienter les étudiants selon leurs vœux et leurs aptitudes, ce qui favoriserait une spécialisation progressive[17]. Celle-ci faciliterait la diversification des parcours individuels et la mise en place de davantage de passerelles entre filières générales à l’université d’une part, et entre ces dernières et les filières professionnelles (IUT, BTS, licence professionnelle, etc.) d’autre part ;
- pour assurer la cohérence de ces évolutions dans l’ensemble de l’enseignement supérieur, il serait envisageable d’élargir, à terme, cette approche aux autres formations du supérieur du secteur public, y compris les filières aujourd’hui sélectives (telles que les classes préparatoires aux grandes écoles, les grandes écoles avec cycle préparatoire intégré). On pourrait enfin explorer les moyens d’associer le secteur privé, qui connaît depuis plusieurs années une forte croissance de ses effectifs[18], à l’objectif d’amélioration de la transition entre le lycée et le premier cycle.
L’articulation entre le secondaire et le supérieur pourrait être facilitée en conditionnant l’accès à telle ou telle formation à l’acquisition de certains modules (des majeures), qui pourront avoir été dispensés soit dans le secondaire, soit au cours de la première année du supérieur.
Dans tous les cas, l’État devrait veiller à la lisibilité des parcours pour les futurs recruteurs sur le marché du travail, avec une identification claire des compétences acquises par les étudiants. Il faudrait toutefois éviter que cette lisibilité se traduise par la réinstauration de parcours figés, produisant un nouveau système « tubulaire ».
En outre, la création d’un corps enseignant commun au lycée et aux établissements d’enseignement supérieur serait essentielle pour assurer la continuité. En 2015, on comptait 7 225 professeurs agrégés et 5 695 professeurs certifiés, soit respectivement 11,6 % et 9,2 % du total des enseignants titulaires du supérieur (hors santé). Ils sont gérés uniquement comme un corps du second degré[19]. L’existence d’un tel corps d’enseignants susceptibles d’intervenir dans l’un et l’autre cycle permettrait également de compenser une partie des coûts engendrés par la mise en place des enseignements modulaires, en regroupant dans les mêmes modules des étudiants engagés dans différents parcours.
Le risque associé à cette option réside en ce que les modalités d’enseignement des premières années du supérieur deviennent trop proches de celles du lycée et leurs contenus trop généralistes, alors que de nombreux étudiants souhaitent aborder dès le début de leurs études des savoirs plus pointus.
Auteurs : Daniel Agacinski et Mohamed Harfi
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