En dépit des aménagements de la durée du travail, le débat public se concentre encore aujourd’hui sur le niveau de la durée légale de travail susceptible de réduire le taux de chômage en France. En effet, même si cette durée n’est pas une contrainte directe sur le nombre d’heures effectivement travaillées, elle demeure une norme sociale dans l’élaboration des contrats de travail et un seuil de déclenchement des heures supplémentaires qui en majore le coût.
Une politique du temps de travail visant à réduire le taux de chômage de façon durable doit avant tout veiller à maîtriser les coûts salariaux unitaires, c’est-à-dire le rapport entre coût du travail et productivité. Certes, si le pays se trouve dans une situation conjoncturelle très déprimée, où le déficit de demande est aigu, la nécessité de cette maîtrise est sans doute moins prégnante et une modification du temps de travail peut permettre de diminuer le chômage à court terme. Mais dans un contexte de forte concurrence internationale, la maîtrise des coûts salariaux unitaires est indispensable pour assurer que les produits français restent compétitifs en termes de rapport qualité-prix, faute de quoi cette baisse du chômage s’annulera, voire risquera de s’inverser à un horizon de quelques années. Que ce soit à la hausse ou à la baisse, une modification de la durée du travail ne peut donc être pensée de façon isolée : le niveau de salaire qui lui sera associé et l’impact attendu sur la productivité doivent être pris en compte, de même que la position du pays dans le cycle économique, pour concevoir une politique efficace de lutte contre le chômage.
Baisser la durée du travail
Le contexte de croissance faible et de rupture technologique liée au numérique interroge sur les besoins futurs de main-d’œuvre. Avec des perspectives d’évolution relativement dynamiques de la population active, l’idée du partage du travail réapparaît dans les débats.
Une nouvelle baisse de la durée du travail en deçà de 35 heures par semaine, soit 1 607 heures par an, peut être vue comme une modalité de partage du travail. Elle peut conduire à des créations d’emplois et à une baisse du chômage à court terme. Mais pour que cet effet positif soit durable, il faut qu’elle n’occasionne aucune hausse des coûts salariaux unitaires. La simple stabilisation de ces derniers peut être suffisante pour maintenir à moyen terme la baisse du chômage, si le retour en emploi induit à court terme par ce partage permet à leurs bénéficiaires d’améliorer durablement leur employabilité (effet d’hystérèse). Mais un abaissement de ceux-ci serait encore un meilleur gage de réussite.
Pour qu’elle porte des fruits durables en termes de création d’emplois, une baisse de la durée du travail doit donc s’accompagner d’une forme de modération salariale et être utilisée comme un levier pour modifier l’organisation des méthodes de travail au sein des entreprises afin de générer des gains de productivité. Si ces deux conditions étaient insuffisamment remplies, elle pourrait au contraire conduire, à terme, à une augmentation du chômage. En outre, contenir les coûts en bas de l’échelle salariale tout en baissant la durée légale du travail suppose soit de diminuer le niveau du SMIC mensuel net, soit de procéder à des baisses de prélèvements sur les entreprises pour compenser son maintien, ce qui a un coût pour les finances publiques. Rappelons que les dépenses publiques en faveur de l’emploi dites « générales », visant à abaisser le coût du travail par l’exonération de cotisations sociales et les crédits d’impôt, ont déjà considérablement augmenté depuis le début des années 2000, passant de 1 point à près de 3 points de PIB (environ 60 milliards d’euros en 2016). En outre, les employeurs sont désormais totalement exonérés de cotisations sociales de sécurité sociale au niveau du SMIC. Aller plus loin supposerait donc de réduire les cotisations d’assurance chômage ou de retraite complémentaire.*
Augmenter la durée du travail
Une autre façon de contenir voire de réduire les coûts salariaux unitaires pourrait consister, à l’inverse, à augmenter la durée du travail sans que cela se traduise à due proportion sur les salaires. Le salaire mensuel serait maintenu ou augmenté, permettant de soutenir la demande, mais le salaire horaire, lui, diminuerait.
Si l’on souhaite en revanche augmenter les rémunérations au moins à due proportion de l’augmentation de la durée légale du travail, alors la baisse des coûts salariaux unitaires, indispensable pour espérer un effet favorable sur le chômage à moyen terme, doit passer par une forme de compensation de la part des pouvoirs publics, ce qui occasionnerait un coût pour les finances publiques. Maintenir la durée légale hebdomadaire en instaurant des exonérations fiscales et/ou sociales sur les heures supplémentaires relève du même schéma, tout en étant plus favorable aux salariés.
En tout état de cause, une augmentation de la durée du travail risque d’entraîner à court terme une hausse du chômage, dans la mesure où les entreprises auront tendance, à niveau donné de leurs carnets de commande, à ajuster leur cible de main-d’œuvre à la baisse. Ce risque sera renforcé si une telle mesure intervient à un moment où l’économie se trouve dans une situation conjoncturelle déprimée. À moyen terme, le gain de compétitivité généré par une hausse de la durée du travail qui s’accompagnerait d’une baisse des coûts salariaux unitaires peut en revanche contribuer à stimuler la production, les marges, l’investissement et in fine l’emploi, même si l’on peut s’interroger sur l’effet qu’aurait une hausse de la durée du travail sans contrepartie salariale à due proportion, sur la motivation des salariés et donc sur leur productivité.