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Tirer parti de la révolution numérique

Comment concilier, à terme, la construction d’un écosystème favorable au développement de l’économie numérique et la garantie des principes qui fondent la société française ?
ENJEUX
DÉBAT &
CONTRIBUTIONS
SYNTHÈSES DES DÉBATS
Résumé

En moins de dix ans, le numérique a révolutionné notre accès à l’information, transformé notre vie quotidienne et bousculé les positions acquises dans plusieurs secteurs économiques comme le transport et le tourisme.

Qu’en sera-t-il dans la décennie 2017-2027 ? Le mouvement de transformation va se poursuivre et atteindre une part croissante de la production des biens et de services, y compris les services publics, en exerçant son potentiel de simplification, d’optimisation et de transformation des organisations.

L’enjeu est considérable pour la société et l’économie françaises. Pour tirer tout le parti de la révolution numérique, pour en être les acteurs plutôt que de la subir, il ne faut pas l’attendre, il faut la provoquer. Or notre situation est ambiguë. Le pays possède des atouts (infrastructures, ingénieurs, pénétration des usages dans la population), mais, selon l’indice mis en place par l’Union européenne, la France se positionne dans le dernier tiers de l’Europe des Quinze pour le développement numérique[1] (graphique 1).

Pour que ce retard ne se transforme pas en handicap, face aussi aux inquiétudes légitimes que suscite la révolution numérique, il importe de définir des objectifs collectifs, de fixer des principes, d’offrir un cadre propice aux innovations et d’accompagner les transformations.

Le numérique comporte des enjeux pleinement politiques : parce qu’il transforme l’économie, parce qu’il rebat les cartes de la compétition et parce qu’il pose des questions fondamentales à la société. Il doit donc avoir sa place dans les débats de 2017.

17-27- Révolution numérique - Graphiques-01

EN SAVOIR + :

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[1]  Cet indice vise à mesurer l’accessibilité et la qualité du réseau internet, les compétences numériques des individus, les usages qu’ils ont en ligne, l’utilisation qu’ont les entreprises de services numériques ou encore la transformation numérique des services publics. Il prend en compte cinq thématiques (connectivité, capital humain, utilisation d’internet, intégration des technologies numériques et services publics numériques), chacune évaluée à partir d’une série d’indicateurs (un peu moins de trente au total)

Le numérique ne nous attendra pas

En 2014, plus de 40 % de la population mondiale avait accès à internet[2]. Demain, des initiatives originales (drones, ballons, satellites) pourraient permettre de connecter l’ensemble de la population mondiale. Nous pouvons d’ores et déjà suivre les cours d’universités du monde entier, organiser des révolutions sur les réseaux sociaux, faciliter l’accès des secours dans des zones sinistrées grâce à une cartographie mise à jour en temps réel[3]. La révolution numérique est encore loin d’avoir montré toutes ses facettes: des transformations profondes de certaines de nos organisations économiques et sociales sont à venir.

Des structures de production plus fluides et éclatées

Les tendances actuelles laissent entrevoir des modifications des structures de production, favorisées par les technologies numériques.

D’une part, la baisse des coûts de transaction et de coordination permet de traiter une masse croissante d’informations, ce qui conduit notamment à mieux répondre aux besoins des individus par une personnalisation des offres et services, qui devrait s’étendre demain à l’industrie.

Le développement de l’industrie du futur repose, ainsi, sur le principe d’une industrie intelligente. Outre la modernisation de l’outil de production, il s’agit d’accompagner les entreprises dans la transformation de leurs modèles d’affaires, de leurs organisations, de leurs modes de conception et de commercialisation, dans un monde où les outils numériques font tomber la cloison entre industrie et services[4]. L’équivalent allemand, l’Industrie 4.0, qui tire son nom de la quatrième révolution industrielle, doit répondre « au besoin d’individualisation croissante des produits et à la peur de voir des géants de l’internet capter l’exclusivité de la relation avec le client et monopoliser l’accès à ses données d’usage [5]».

D’autre part, la capacité à instaurer de la confiance à l’échelle d’une communauté, au-delà d’organisations structurées telles que les entreprises, ouvre la perspective du travail collaboratif en dehors du cadre classique de production. Cette confiance provient de différents mécanismes mis en place par les entreprises ou les communautés en ligne, tels la notation par les pairs qui forge une e-réputation des participants, le suivi en direct des actions de chacun, etc.

Avec l’interconnexion d’une multitude d’acteurs, la confiance favorise la multiplication des échanges, en particulier de pair à pair, permettant la création collaborative de biens communs tels que Wikipédia ou OpenStreetMap, grâce à des contributions volontaires sans contrepartie monétaire. Ces biens sont ainsi hors du cycle économique « classique » mais dégagent de nombreuses externalités positives, en particulier en termes de diffusion de la connaissance.

Enfin, la transition écologique devrait largement exploiter les technologies numériques, que ce soit en favorisant les dynamiques d’économie collaborative et d’économie circulaire ou en assurant la sobriété énergétique, grâce au développement des réseaux électriques intelligents.

La production elle-même peut être modifiée par l’extension de l’impression 3D, qui permet une réalisation sur mesure. La valeur se déplace de l’usine à la modélisation numérique. Les structures de production aujourd’hui éclatées au niveau mondial pourraient donc être davantage localisées à proximité des consommateurs.

Ainsi, les entreprises pourraient transformer leur organisation et faire davantage appel à des compétences extérieures intégrées aux processus de production, conduisant à une entreprise étendue, associée à des écosystèmes locaux. Le lien entre les entreprises et les compétences extérieures pourra se faire :

  • sous une forme assez classique de sous-traitance, dans un cadre très normé, par exemple via les plateformes en ligne de petits boulots (jobbing) telles que Amazon Mechanical Turk ou FouleFactory, où de nombreuses tâches sont proposées (traduction, identification d’image, tri de données…) ; on parle de gig economy – économie de petits boulots ou à la tâche ;

 

 

  • de manière plus disruptive avec des contreparties non monétaires, reposant davantage sur la contribution volontaire des utilisateurs, assimilable à un travail gratuit fourni par les internautes ou digital labor[6]. Le modèle d’affaires des entreprises numériques peut ainsi largement reposer sur les données fournies passivement par leurs utilisateurs – c’est le cas par exemple de Facebook ou Google qui proposent de la publicité ciblée – mais aussi sur les contributions volontaires de leur communauté, comme pour Amazon ou Booking qui tirent leur valeur ajoutée, sur la vente de livres ou de nuits d’hôtel, des commentaires laissés par leurs utilisateurs.

Ces nouvelles organisations, plus agiles, innovantes, répondant à de nouveaux standards de personnalisation, offrant des services et des biens pensés pour les usages (Design Thinking), entrent en concurrence avec les industries traditionnelles et les déstabilisent. Cette transformation s’inscrit dans le développement de l’internet des objets, qui étend la connexion au réseau à des machines ou des capteurs, dans l’espace public, l’espace privé ou l’usine. L’accent mis sur les services, en particulier numériques, au détriment de la production de biens matériels représente une transition forte, notamment pour l’industrie. Ainsi, dans l’automobile, le numérique représente d’ores et déjà 35 % de la valeur des véhicules haut de gamme qui intègrent une part croissante d’électronique ; il devrait atteindre 50 % de leur valeur en 2020[7].

Les fractures importantes qu’ont provoquées Uber ou Airbnb dans leur secteur pourraient se reproduire dans d’autres où des rigidités actuelles, notamment réglementaires, freinent les innovations, comme les secteurs de la santé, de l’éducation, de la banque ou de l’assurance. Ces perspectives nous invitent à repenser notre modèle social fondé sur le salariat, qui cohabitera de plus en plus avec des nouvelles formes d’emploi, plus proches du statut d’indépendant.

Les transformations de l’intermédiation

Depuis le moteur de recherche jusqu’à la plateforme mettant en relation une offre de transport et un client, le numérique conduit au développement de nouveaux intermédiaires qui se placent au cœur des filières, à une échelle mondiale. L’arrivée des plateformes de cours en ligne ouverts et massifs (MOOC)[8], qui offrent de nouvelles perspectives au monde universitaire et entrent en concurrence avec la formation professionnelle traditionnelle, montre que les services et les prestations intellectuelles ne sont pas protégés de cette dynamique : cette transformation va continuer à exposer progressivement à la concurrence des secteurs jusqu’alors jugés à l’abri, comme la médecine ou le droit.

Aujourd’hui, l’intermédiation est souvent centralisée au sein de plateformes qui captent une partie significative de la valeur créée (vente de biens et services en ligne, taxi, hébergement…) (tableau 1). Qu’elles s’appellent Google, Uber ou Airbnb, elles constituent des figures emblématiques de la transformation numérique. Mais la forme que prendra l’intermédiation dans les années à venir reste incertaine. En effet, les développements technologiques pourraient favoriser l’essor de services fournis de façon plus décentralisée, de pair à pair, sans autorité centrale organisatrice, redonnant du pouvoir à la multitude d’internautes qui les utilise et les nourrit.

L’application La’Zooz se présente ainsi comme une solution décentralisée de covoiturage qui pourrait concurrencer Uber et Blablacar. Elle utilise des jetons attribués lors de la réalisation des différentes tâches nécessaires au fonctionnement de la communauté (transporter des personnes, diffuser l’application, noter les autres membres de la communauté, etc.), selon des règles incitant au bon développement du service (les premiers utilisateurs sont par exemple récompensés). Les décisions sur le fonctionnement de la plateforme sont prises par la communauté, avec un droit de vote dépendant de l’activité des membres. (voir encadré 1 sur le bouton +)

17-27- Révolution numérique - Tableau-01

Les données et leur traitement, nouvel enjeu économique et social

Avec la prolifération des capteurs (objets connectés), les données et internet pénétreront de façon croissante l’espace public. Les réalités physique et virtuelle fusionneront dans la réalité augmentée. Les développements de l’intelligence artificielle et de la robotique étendront progressivement le champ des tâches qui pourront être automatisées. Par exemple, dans le domaine des mobilités, la voiture connaîtra une automatisation croissante qui aboutira, à l’horizon de la décennie, aux premiers véhicules autonomes, robots dotés de capacités de traitement et d’analyse internes et de communication, capables d’assurer toutes les fonctions de la conduite, éventuellement restreints à certaines zones (navettes urbaines par exemple)[9]. Au-delà de la production de tels véhicules, les enjeux industriels résident dans la conception des logiciels de pilotage, la mise en réseau et l’exploitation optimale des données (géolocalisation, images, informations de circulation) qu’ils généreront.

Aujourd’hui, les données numériques, à caractère souvent personnel, sont essentiellement collectées et exploitées par des entreprises. Leur contrôle est alors transféré à un gestionnaire qui laisse peu de maîtrise aux personnes sur l’usage qui en est fait. Demain, ces données pourraient revenir davantage entre les mains des internautes, du fait de leurs exigences plus fortes, de la réglementation et du développement de nouveaux services intégrant par construction le respect de la vie privée (privacy by design)[10].

L’appréhension des données comme levier d’action des particuliers permettrait à la fois d’instaurer des liens nouveaux avec les institutions publiques et de transformer le rôle de ces dernières. Grâce à des services personnalisés d’accès à l’information, les interactions entre les différentes composantes de notre société – personnes physiques, organisations et pouvoirs publics – seront plus simples et efficaces:

  • le compte personnel d’activité[11] devrait à terme permettre aux actifs de gérer leurs droits sociaux liés à l’activité, que ce soit pour la construction de leur carrière (recherche d’emploi, acquisition de compétences) ou pour bénéficier d’un accompagnement spécifique, pour ceux qui en ont le plus besoin ;
  • le Blue Button aux États-Unis ou le dossier médical partagé permettent une maîtrise par les patients de leurs données de santé, et donc un suivi partagé entre patients et praticiens – qui ne seraient plus les seuls à détenir les informations sur la santé de leurs patients. Le potentiel d’exploitation des données de santé est considérable pour améliorer, simplifier ou réduire les coûts de la médecine curative au profit d’une politique de prévention ainsi que d’un meilleur suivi des malades ;
  • en matière d’éducation, des évolutions similaires pourraient être envisagées à partir des enregistrements numériques de l’activité dans le cadre scolaire, tendant à apporter des connaissances de manière plus autonome et adaptée à chacun, tout en favorisant les interactions avec les enseignants sur les points les plus difficiles, les échanges collaboratifs et le suivi des élèves en relation avec leur famille.

Par ailleurs, une démocratie numérique pourrait voir le jour[12]. Les citoyens se sont déjà saisis des outils numériques pour s’exprimer et se mobiliser, que ce soit par des pétitions en ligne ou via les réseaux sociaux. Les institutions publiques pourraient utiliser ces outils en faveur d’une démocratie plus participative, leur permettant de bénéficier, comme les entreprises privées, des contributions et initiatives de la multitude[13].

Ces perspectives ne pourront se réaliser que si des gages suffisants sont fournis aux citoyens quant à l’utilisation et à la sécurité des données ainsi collectées[14].

La montée en puissance des pays européens dans le numérique est une nécessité pour imposer un cadre adapté à la circulation et à l’exploitation des données, tout en prenant en compte les principes qui s’imposent, en France et en Europe, en matière de chiffrement des échanges, de cyber-espionnage ou de liberté d’expression.

Encadré 1 : Block chain

Celle-ci repose sur une architecture décentralisée, laissée à la main des utilisateurs grâce aux technologies de registre distribué, par exemple la chaîne de blocs ou block chain, utilisée pour la crypto-monnaie bitcoin. Le registre faisant état de toutes les transactions réalisées est public et partagé entre tous les utilisateurs du réseau. Un mécanisme rémunère ceux qui maintiennent à jour le registre, tout en en assurant l’unicité. La transparence du processus contribue à garantir son intégrité. Une telle architecture pourrait constituer une alternative aux plateformes actuelles qui servent d’intermédiaire pour la vente de biens et de services, si les services proposés parviennent à répondre aux impératifs de qualité (design) et de maintenance. Les registres distribués pourraient également concurrencer certaines professions dans la certification des actes légaux (vente de biens, mariage, diplôme,…). Ils constitueraient ainsi une nouvelle étape de l’intermédiation numérique.

2. Source : Banque mondiale.

3. Ce fut le cas, par exemple, grâce à la communauté d’OpenStreetMap, lors du tsunami au Japon en 2011. 

4. Définition du ministère de l’Économie.

5. BPI France (2015), « Industrie 4.0 : quelles stratégies numériques ? ».

6. Casilli A. et Cardon D. (2015), « Qu’est-ce que le digital labor ? », INA éditions.

7. Viereckl R., Ahlemann D., Koster A. et Jursch S. (2015), “Connected Car Study 2015: Racing ahead with autonomous cars and digital innovation”, PwC.

8. Delpech Q. et Diagne M. (2016), « MOOC français : l’heure des choix », Note d’analyse, n° 40, France Stratégie.

9. Note d’analyse France Stratégie sur le véhicule autonome à paraître.

10. https://ntdroit.wordpress.com/2011/04/21/privacy-by-design-ca-veut- dire-quoi/

11. France Stratégie (2016),« Le compte personnel d’activité, de l’utopie au concret », rapport de la commission Compte personnel d’activité présidée par Selma Mahfouz.

La France et l'Europe n'ont pas bien pris le virage numérique

La transformation numérique des organisations est un enjeu de positionnement de notre pays sur l’échiquier mondial. Les industries de demain, que leur cœur de métier soit dans le numérique ou non, intégreront les nouveaux outils et modèles d’organisation qu’apporte le numérique pour rester compétitives.

Les usages plus développés au niveau individuel que professionnel

La demande de services et de biens numériques est l’un des vecteurs qui poussent les organisations à se transformer. En parallèle, cette transformation ne peut se faire sans des compétences particulières, ce qui suppose une appropriation par les Français des outils et usages numériques dans leur environnement privé comme professionnel.

Les Français ont largement intégré ces nouveaux outils dans leur quotidien. En moins d’une décennie, ils ont rattrapé leur retard puisque 83 % d’entre eux utilisent internet, ce qui les place dans la moyenne des pays développés (graphique A).

Si les Français ont des pratiques du numérique plutôt au-dessus de la moyenne européenne dans leur vie quotidienne (graphique 2), les entreprises investissent cependant peu dans les compétences numériques de leurs employés (graphique B)[15].

17-27- Révolution numérique - Graphiques-02

Le premier enjeu est celui de la formation, initiale et tout au long de la vie. Les outils numériques sont fréquemment perçus comme une contrainte plutôt que comme un facteur d’amélioration des conditions de travail, ce qui ne joue pas en faveur de leur appropriation. L’arrivée de nouvelles méthodes de travail recourant au numérique est souvent utilisée comme un moyen d’accroître la productivité des employés, de diminuer la masse salariale ou de mieux surveiller les activités de chacun. La part des salariés dont le rythme de travail est imposé par un contrôle ou un suivi informatisé est passée de 25 % en 2005 à 35 % en 2013[16]. La montée des questions autour du droit à la déconnexion[17] révèle également ce sentiment de surexposition des salariés vis-à-vis des outils numériques et du brouillage des frontières entre vie privée et vie professionnelle qu’ils exacerbent.

Ce constat contraste avec l’espoir que l’utilisation du numérique suive une approche plus collaborative, permettant à chacun d’améliorer ses conditions de travail, d’être plus autonome, de se dédier à des tâches moins répétitives et en interaction avec d’autres personnes.

Sans un accent fort mis sur l’acquisition des compétences, en formation initiale ou continue, la France demeurera un pays essentiellement consommateur de numérique et non producteur. De cette formation, à tous les niveaux, dépend à la fois le développement de notre écosystème numérique, qui a besoin de talents pour innover, mais aussi la réussite de la transformation de la société, par l’adoption de nouveaux usages, en particulier en termes de services publics.

L’écosystème numérique européen encore faible dans le jeu mondial

Les États-Unis ont engagé depuis longtemps une politique très favorable au développement du numérique (recherche financée sur des crédits militaires, avantages fiscaux…) conduisant à l’émergence d’acteurs majeurs et d’un écosystème innovant dans la Silicon Valley. La Chine a, en quelques années, développé des alternatives aux géants américains (Baidu, WeChat, Alibaba, Alipay…). Fortes de leur emprise sur un marché intérieur à fort potentiel, où seulement 50 % des habitants utilisent internet[18], les entreprises chinoises pourraient conquérir de nouveaux pays. Le cyberespace évolue aujourd’hui autour de ces deux pôles. L’Europe y est clairement en retard (graphique 3).

17-27- Révolution numérique - Graphiques-03

Malgré le manque d’acteurs de niveau mondial, l’Europe présente un écosystème de start-up dynamiques, rendu visible et consolidé par la création en France du label French Tech. La France fait ainsi partie des nations les plus représentées au salon emblématique du numérique mondial, le Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas en 2016[20]. Elle est aussi en pointe sur les réseaux dédiés aux objets connectés, portés par l’entreprise Sigfox et le consortium LoRa.

Si l’innovation vient principalement des start-up, pour autant, dans une perspective globale, toutes les entreprises, petites et grandes, sont concernées par la transition numérique. Mais aujourd’hui elles accusent un retard certain, qui se ressent dans la compétitivité hors-prix de notre économie (voir la note 17/27 Compétitivité : que reste-t-il à faire ?), tant en ce qui concerne leur équipement en outils numériques que leur organisation ou la mobilisation de compétences (graphique C). Ce retard peut être dû à une diffusion insuffisante des savoir-faire numériques dans l’entreprise, qui ralentit la décision d’investissement dans des projets innovants ; ainsi, seules 16 % des entreprises françaises emploient des spécialistes des technologies de l’information et de la communication (TIC), contre 20 % en moyenne dans l’UE, écart qui se retrouve quelle que soit la taille des entreprises (graphique D). La multiplicité des cadres réglementaires dans l’ensemble de l’Union européenne et leur rigidité peuvent également être un frein. Les innovateurs ont autant besoin du soutien financier que peuvent offrir les fonds d’investissement en capital risque, encore très faibles en Europe, par rapport aux États-Unis ou à l’Asie (graphique E), que de flexibilité réglementaire pour laisser place à l’expérimentation, comme le programme instauré par le régulateur financier britannique en faveur de la Fintech[21]. À cet égard, la France dispose d’un cadre réglementaire qui n’est pas toujours favorable à l’expérimentation, même si des adaptations sont possibles au cas par cas[22].

Nous sommes au premier stade du développement de notre écosystème numérique. La pérennité de nos start-up et leur capacité à croître sont les clés du positionnement français et européen sur les prochaines vagues d’innovation numérique, dont celle des objets connectés. Par ailleurs, la capacité des entreprises non numériques, petites et grandes, à se transformer est un enjeu essentiel du regain de compétitivité de l’économie française.

Sphère publique : un bilan contrasté

La France est loin des pays leaders en la matière, telle la Corée, que ce soit en termes d’usages ou d’infrastructures (mais avec une géographie moins favorable). Pour autant, la puissance publique s’est mobilisée pour offrir un cadre propice à l’innovation numérique.

Des investissements publics et privés sont prévus, à hauteur de 20 milliards d’euros, pour la couverture du territoire, d’ici 2022, en réseau fixe à très haut débit. Sur les réseaux mobiles, le déploiement de la 4G a bénéficié de l’attribution récente de nouvelles fréquences mais suscite toujours beaucoup d’attente dans les territoires mal couverts, alors que les regards se tournent déjà vers les potentialités de la 5G [23].

Notre pays a conduit une politique d’ouverture des données publiques, avec la création d’une administration dédiée, Etalab. Cependant, la France n’est classée que dixième par l’Open Knowledge Foundation en 2015 alors qu’elle était troisième en 2014. En effet, elle échoue à ouvrir certains jeux de données fondamentaux, tels le cadastre ou les données géographiques, selon les standards de l’open data. Malgré la volonté affichée, le changement de culture au sein des administrations est long. S’agissant de la dématérialisation des services publics, la France est classée au sixième rang européen [24], avec 52 % des usagers qui utilisent des formulaires en ligne pour échanger avec les administrations, notamment pour la déclaration de revenus.

En matière de management et d’organisation, alors même que le numérique remodèle les attentes des citoyens et des usagers, les administrations françaises peinent à redéfinir leurs règles de fonctionnement. On peut le constater dans les difficultés rencontrées lors de la réalisation de grands projets numériques tels que le dossier médical partagé, le compte personnel de formation ou le logiciel de paie de l’armée (Louvois). Les impératifs d’instantanéité, de personnalisation et de mise en capacité des individus sont trop souvent ignorés dans les relations avec le public. Des initiatives, encore timides, telles que les start-up d’État[25] permettent d’apporter une certaine agilité dans les structures, mais ces dernières paraissent encore bien rigides en comparaison des modes d’organisation des entreprises numériques[26].

Dans son fonctionnement actuel, l’administration a réussi à accompagner certaines évolutions liées au numérique. Cependant, alors que des défis d’une autre ampleur s’annoncent – services personnalisés, participation des citoyens, concurrence par des opérateurs privés –, elle n’est pas prête à les affronter, en particulier par manque de formation et de culture numériques. Ses rigidités ne laissent pas assez de place à l’innovation et à l’expérimentation de nouveaux services aux usagers.

Encadré 2 : Open Government Partnership

Celle-ci a pris une nouvelle ampleur en 2014 avec l’entrée de la France dans l’Open Government Partnership, mouvement international multilatéral en faveur de l’ouverture et de la transparence des données publiques, et la nomination d’un administrateur général des données, fonction inédite inspirée des initiatives de villes américaines (New York, San Francisco, Chicago, Philadelphie, Baltimore…). Il coordonne l’action des administrations en matière d’inventaire, de gouvernance, de production, de circulation et d’exploitation des données par les administrations.

12. Conseil national du numérique (2013), « Citoyens d’une société numérique », rapport.

13. Comme cela a pu être fait sur le projet de loi « Pour une République numérique » ou sur le budget participatif de la ville de Paris.

14. On constate par exemple une certaine méfiance qui freine l’installation des compteurs intelligents de gaz et d’électricité (Gazpar et Linky). Voir Brouze E., « Carte : les communes qui refusent les compteurs intelligents », Rue89, mars 2016.

15. Seules 20 % des entreprises françaises organisent des formations numériques pour leurs employés. Source : Eurostat.

16. Étude DARES, juillet 2014, Conditions de travail.

17. Mettling B. (2015), Transformation numérique et vie au travail, rapport remis à la ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, septembre.

18. Source : Banque mondiale.

19. Les licornes sont des entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars par des levées de fonds (non cotées en bourse).

20. Délégation présente à l’Eureka Park, zone dédiée aux start-up. Source : La French Tech.

21. Le régulateur financier britannique (Financial Conduct Authority) a ouvert un « innovation hub » pour conseiller les start-up de la Fintech.

22. Décision de l’Assemblée nationale autorisant les tests sur route de « véhicules à délégation totale ou partielle de conduite », dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, promulguée le 17 août 2015.

23. Communication de la Commission européenne, lors du Mobile World Congress, en février 2016.

24. Commission européenne, Digital Economy and Society Index 2015.

En ouverture au débat

Quels buts donner à la transition numérique de la société ? La transformation numérique est engagée. Aujourd’hui, elle est menée par les entreprises dominantes, majoritairement d’origine américaine, qui imposent leurs règles. Cette transformation révèlera tout son potentiel lorsqu’elle aura été adoptée par l’ensemble de la société. Dans ce paysage, des choix politiques sont nécessaires. Ils doivent permettre de dessiner un cap dans un océan numérique qui laisse ouvertes de nombreuses possibilités. Notre réaction face aux innovations sera un facteur clé de notre capacité à tirer le meilleur parti du numérique et à dépasser les difficultés que posera la déstabilisation des équilibres économiques et sociaux.

Données et algorithmes : quelle gestion des ressources ?

La donnée est le vecteur du pouvoir dans le monde numérique. Il est primordial de fixer les lignes d’action des pouvoirs publics français et européens en la matière pour peser sur l’échiquier mondial de demain.

À l’ère des objets connectés, la dichotomie entre les données personnelles et non personnelles[27] risque d’être remise en cause par la collecte massive et diffuse d’informations dans l’espace public et privé (le big data), ainsi que par les algorithmes qui en assurent le traitement automatisé.

  • Comment garantir aux citoyens le respect de la vie privée, du droit à l’intimité ? Peut-on étendre les principes en vigueur pour les données personnelles à toutes les données, notamment les principes de finalité et de proportionnalité de leur collecte ? Doit-on chercher à définir un droit de propriété des données ? Quelle régulation doit garantir le respect de ces principes ?

La collecte croissante de données sur les individus couplée aux capacités de traitement, capables d’apprentissage automatique (machine learning), peut permettre d’offrir des services de plus en plus personnalisés, mais au risque d’une différenciation accrue. Ce qu’on tolère pour des billets d’avion, l’acceptera-t-on pour les services publics ?

  • Quelles frontières entre personnalisation des services et discrimination ?

Au-delà des garanties sur la collecte et le traitement algorithmique des données à des fins industrielles, la question de la protection des libertés individuelles resurgit. Le chiffrement des données apparaît comme un rempart au contrôle généralisé des particuliers par les autorités, mais il peut représenter également un obstacle aux pouvoirs d’enquête[28]. Dans un autre domaine, les réseaux sociaux censurent certains contenus, au-delà des règles imposées par les législations nationales[29].

  • Comment faire en sorte que les entreprises multinationales se conforment aux réglementations et à l’application des décisions de justice nationales ?

Les institutions : quel cadre donner à la société numérique?

Face à l’évolution de la société, il est temps d’imaginer les institutions de demain qui permettront de faire évoluer droits et devoirs, ainsi que d’en assurer le respect.

L’innovation et l’expérimentation sont au cœur des transformations numériques.

  • Comment les encourager ?
  • Comment l’ouverture des données publiques (open data) peut-elle être mobilisée pour l’innovation dans les services publics ? Dans quelle mesure des investissements doivent-ils également être réalisés en interne pour que l’action publique se dote des compétences et des outils nécessaires à son renouveau ?

La transition numérique ne fait pas que des gagnants : elle transforme aussi puissamment des secteurs d’activité, les besoins en compétence, les emplois.

  • Comment accompagne-t-on le mouvement de transformation ? Quelle réaction devons-nous avoir face aux innovations ? Devons-nous protéger les acteurs installés ou les accompagner dans leur transition, tout en soutenant les acteurs innovants?

L’économie collaborative, les échanges pair à pair, les logiciels, les communs tels que Wikipédia se développent grâce à l’envie de chacun de participer à l’édifice global. La puissance publique pourrait elle aussi faire appel à cette multitude productrice de richesses.

  • Quelle place doit-on donner à cette multitude auprès de nos institutions publiques ?

En parallèle, cette participation de la multitude à l’économie numérique accélère les mutations de l’emploi. De nouveaux concepts apparaissent, tel le digital labor correspondant à la création de valeur au moyen de traces numériques laissées par l’internaute, qui lit, clique ou se déplace.

Enfin, une société numérique demande des investissements constants dans les infrastructures et la formation des actifs, et les entreprises numériques doivent, au même titre que les autres, participer au financement de l’environnement qui leur permet de croître.

  • Quelles seront les mesures mises en œuvre pour assurer l’équité fiscale entre les entreprises ? Quelles évolutions de notre système fiscal sont nécessaires pour s’adapter aux nouvelles chaînes de création de valeur ?

 

Compétences : quel accompagnement pour une citoyenneté numérique active ?

Anticiper le monde qui vient, c’est aussi permettre à chacun d’y évoluer sereinement. Les compétences que requiert le monde numérique sont encore peu développées, autant en termes de savoirs de base indispensables que de spécialisation.

  • Au-delà de l’équipement en outils numériques, quelles évolutions pédagogiques majeures sont envisageables ou souhaitables ? Par ailleurs, la vie dans une société numérique demande-t-elle de nouvelles compétences que l’école doit intégrer ?

La fracture numérique en termes d’usage sera le prochain défi à relever pour les acteurs publics qui vont vers davantage de services virtuels mais doivent assurer un accès à tous.

  • Quelle garantie d’accès les autorités publiques doivent-elles fournir ? Quelles structures doivent être mobilisées pour assurer la médiation vers les usages numériques ?

Les services publics : quelle appropriation des opportunités du numérique ?

Les services publics sont affectés de plusieurs manières par le numérique. Ce dernier :

  • déplace les frontières entre public et privé. Des domaines qui relevaient traditionnellement du monopole public se trouvent brutalement ouverts à d’autres acteurs (exemple : OpenStreetMap) ;
  • met en concurrence les services publics. L’accès à des services numériques par-delà les frontières met les offreurs publics en concurrence les uns avec les autres (exemple : MOOC suisses) ;
  • redéfinit les attentes à l’égard du secteur public : de nouveaux standards de personnalisation et d’instantanéité auxquels il n’est pas habitué apparaissent (exemple : assurances sociales) ;
  • invite à des réorganisations massives qui butent sur les rigidités organisationnelles de nos services publics (exemple : santé).

La santé est l’un des secteurs dont on attend le plus d’évolution par le numérique, notamment grâce aux objets connectés et aux développements de la médecine de précision. Ainsi, les solutions de suivi de certains indicateurs de santé rendent le passage d’une médecine curative à une médecine préventive plus réel de jour en jour, ce qui ne sera pas sans impact sur l’assurance santé.

  • Comment accompagne-t-on cette transition ? Doit-on fixer des limites ?

Au-delà des investissements dans le réseau pour offrir une connexion internet à chacun, l’aménagement du territoire rural comme urbain passe par l’utilisation de ces réseaux.

  • On parle de villes et de territoires intelligents : quels sont les usages à destination des citoyens et des organisations que les pouvoirs publics peuvent promouvoir ?

Le numérique peut être un levier d’action dans la perspective d’un développement durable de notre pays.

  • Quelles seront les politiques menées en termes de transport et d’énergie ? Quel peut être l’apport des technologies, du véhicule autonome et des réseaux intelligents en faveur de la transition écologique ?

Auteurs :

Julia Charrié

Lionel Janin

25. Initiative du SGMAP pour inciter à l’innovation à l’intérieur de l’État.

26. Netflix indique par exemple ne pas limiter le nombre de journées de congé par an dans une présentation diffusée en 2013 sur les principes de fonctionnement interne 

27. Zuiderveen Borgesius F. J. (2016), “Singling Out People Without Knowing Their Names”.

28. Cook T. (2016), « A Message to Our Customers », Apple.

29. Plusieurs cas de censure d’images de nus, par Facebook ou Instagram, ont été identifiés.

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Le débat

Le jeudi 26 mai 2016 à 17h

Podcast du débat Tirer parti de la révolution numérique ? enregistré le 26 mai 2016.

Le débat sur «Tirer parti de la révolution numérique ? » a réuni au Numa Paris universitaires, acteurs publics, entrepreneurs, associations et think-tanks autour de trois grands enjeux, qui ont donné lieu à trois ateliers.

Le premier enjeu est celui de l’innovation. Nous ne pouvons pas rester spectateur de la transformation numérique de notre société. Les économies française et européenne doivent s’adapter au rythme de l’innovation numérique, mais ces innovations sont source de bouleversements profonds qui dépassent la sphère économique et demandent des choix sociétaux. Quelle doit être la réponse des pouvoirs publics aux innovations qui viennent percuter l’ordre établi ?

Le deuxième enjeu est celui de la démocratie. Les plateformes numériques sont de nouveaux lieux d’expression des opinions qui peuvent servir notre démocratie. Quelle cadre donner à la mobilisation citoyenne par les outils numériques ? Comment en assurer la représentativité et prendre en compte de ses revendications ?

Le troisième enjeu est celui des compétences, de la « littératie numérique ». Les interactions sociales passent de plus en plus souvent par des interfaces numériques, qui se transforment sans cesse ; la participation active à la société exige la maîtrise de compétences transversales et évolutives. Comment assurer l’accompagnement des citoyens dans leurs usages numériques tout au long de leur vie ?

 Avec notamment les interventions introductives de :

  • Marie-Vorgan LE BARZIC, CEO de NUMA depuis 2002 ;
  • Benjamin DES GACHONS, directeur France de Change.org depuis 2012 ;
  • Jean DEYDIER, directeur général d’Emmaüs Connect ;

Et les restitutions des ateliers par :

Contributions

La santé connectée : quelle révolution ? – Raphaëlle Bohu et Erwann Paul – Cartes sur Table
« La France est à la pointe dans le domaine de l’innovation en santé. Une chance à saisir : outre le gain thérapeutique pour les patients, elle renforce aussi la compétitivité dans notre pays et stimule la croissance économique ».

La numérisation facteur d’exclusion pour ceux qui cumulent précarité sociale et numérique – Emmaüs Connect
Inscription à Pôle emploi depuis mars, prime d’activité lancée par la Caisse nationale d’allocation familiale depuis janvier, déclaration de revenus au mois de mai… Avec la dématérialisation totale de nombreux services publics essentiels, la République numérique se modernise.

Tirer parti de la révolution numérique : contribution au débat – Akène Group
Notre contribution se limite aux questions relatives aux choix politiques pour la France et pour les territoires. Elle concerne le développement économique, la production de compétences, l’éducation, la formation, les citoyens et se limite aux constats que nous faisons à travers notre pratique professionnelle au quotidien.

Pour une politique française et européenne de la transition numérique – Conseil national du numérique
La Silicon Valley fait aujourd’hui office de modèle pour tout ce que l’Europe compte d’innovateurs. Plus qu’un lieu, davantage qu’un écosystème particulier favorisant le dynamisme entrepreunarial et l’invention, elle est devenue un état d’esprit à dupliquer : ce sont les arcanes du succès californien que les acteurs publics et privés cherchent à percer lorsqu’ils évoquent le numérique.

Le numérique pour réussir dès l’école primaire – Institut Montaigne
En France, une personne sur cinq ne sait ni lire, ni écrire, ni compter correctement. Depuis 2000, les résultats des enquêtes PISA sont sans appel : notre pays ne parvient pas à enrayer la dégradation des performances de son école, pas plus qu’il ne parvient à corriger les travers d’un système de plus en plus inégalitaire.

Big Data et objets connectés : faire de la France un champion de la révolution numérique – Institut Montaigne
Le mouvement qui a débuté dans les années 2000 avec l’essor d’Internet puis du Web 2.0, des réseaux sociaux et des smartphones, s’est poursuivi par le développement des objets connectés et du Big data.

Digitalisation de l’économie : quelle protection contre les formes nouvelles de précarité ? – Pierre-Yves Geoffard – CNRS – EHESS
Comme toute période riche en innovations, la « révolution digitale » génère autant d’espoirs que de craintes. Espoirs de nouvelles opportunités : de nouveaux métiers émergent ; des technologies plus productives permettent de produire autant de richesses en travaillant moins, et libèrent de nombreux individus de la nécessité d’exercer des tâches mécaniques et peu valorisantes, désormais confiées à des « machines intelligentes ».

Rendre la liberté de panorama applicable –  Nathalie Martin – Directrice exécutive – Wikimedia France
La réalité des usages sur internet, aujourd’hui, favorise le partage des images entre autres contenus. Prendre une photographie et la poster sur les réseaux sociaux, son blog personnel ou un site collaboratif comme Wikipédia, est devenue une pratique naturelle. Cette dernière peut constituer une véritable opportunité économique, par exemple dans le champ de l’architecture contemporaine.

La révolution numérique en santé – Roche
Longtemps marqué par la culture du papier, le secteur médical a de plus en plus recours au numérique. Le vieillissement de la population, la diminution de la démographie médicale, le système de santé qui s’éloigne des centres de soins sont autant de facteurs de développement du numérique dans la pratique médicale. Le numérique a également modifié l’approche de la médecine pour les patients, plus connaisseurs, utilisateurs d’objets connectés. La médecine s’oriente donc vers une démarche plus collaborative.

Remarques et compléments à propos de la note « Tirer parti de la révolution numérique » – Daniel Kaplan – Délégué général de la Fing, membre du CNNum
L’idée selon laquelle la France est en retard sur le numérique est aussi ancienne que le numérique. Du point de vue des pratiques individuelles, elle est fausse. Du point de vue des organisations privées comme publiques, elle apparaît plus vraie, mais que désigne-t-elle en réalité?

Des citoyens augmentés pour des territoires intelligents – Loïc Gervais – Président de Numédia, Fédération Nationale des Professionnels de la Médiation Numérique
Des citoyens augmentés pour des territoires intelligents. La compétence numérique est une des huit compétences clefs nécessaires à tout individu pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi. Cette compétence vise pour chacun d’entre nous à appréhender les outils, les usages et les enjeux des univers numériques.

Contribution de l’Arcep au projet 2017/2027 de France Stratégie – Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)
L’Arcep souhaite souligner l’intérêt de la démarche et la qualité des travaux de France Stratégie en vue d’établir un diagnostic sur la situation de la France et sur les défis que la France devra relever au cours des dix prochaines années, et notamment concernant les enjeux numériques qui touchent la société, comme les entreprises et les pouvoirs publics.

Politique et citoyenneté : comment tirer parti de la révolution numérique ? – Ziad Gebran – Fondation Jean Jaurès, Camille Vaziaga – Renaissance Numérique
Les mutations digitales qui bouleversent nos vies, dans toutes ses facettes, depuis une quinzaine d’année remettent en cause les fondamentaux de notre société et de notre économie, sans épargner notre système politique.

Quel(s) levier(s) pour la numérisation de l’industrie ? – Pierre-Jean Benghozi
Comme s’interrogeait récemment un acteur du numérique: aurait-on fait un colloque sur le développement du téléphone dans les entreprises dans les années 50 ? Sans doute pas. Par contre, c’est bien la pression forte de l’industrie et de l’opinion face à une couverture insuffisante et une mauvaise qualité de service qui a déclenché, dans les années 70, le grand plan de rattrapage du téléphone. A l’heure où la question est de savoir comment tirer parti du numérique, la leçon mérite d’être retenue.

Benjamin Des Gachons – Directeur de Change.org

L’éducation aux comportements numériques – Thierry Le Fur – Expert en comportements numériques et addictifs
Les « digital natifs » seront connectés de 100 000 à 300 000 heures dans leurs vies : le numérique est si utile ! Son juste usage – les bons comportements – impose un apprentissage : le numérique est trop attractif pour espérer une autorégulation. Ils devront apprendre à en déjouer les pièges intellectuels (ex. déconcentration ; épuisement), psychologiques (ex. stress chronique, conduite addictive) et physiques (ex. sédentarité).

liste des contributions
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Synthèse des contributions et du débat

Les contributions recueillies lors de la phase de concertation ont permis de compléter le diagnostic établi dans la note introductive et d’enrichir la réflexion sur les orientations à prendre pour tirer tout le parti de la révolution numérique.

Trois enjeux majeurs se sont dégagés : le soutien à l’innovation, l’acquisition de compétences numériques et l’appropriation des outils numériques dans le fonctionnement démocratique.

Pour débattre sur les options qui se présentent face à ces enjeux, France Stratégie a organisé au Numa Paris, le 26 mai 2016, trois ateliers réunissant universitaires, acteurs publics, entrepreneurs, associations et think tanks.

Accords et désaccords sur le diagnostic

Un bilan nuancé sur le retard de la France dans la transition numérique

Soutenir que la France n’a pas pris le virage numérique peut paraître pessimiste. En effet, la société civile s’est emparée du numérique (Daniel Kaplan, FING), et la popularisation de l’usage privé des technologies facilite le développement de l’innovation (Henri Verdier, SGMAP). De plus, selon Akène Groupe, la France dispose de nombreux atouts pour parvenir à tirer parti de la révolution numérique : un tissu de startups, des ingénieurs créatifs, des jeunes diplômés bien formés et un savoir-faire à la française qui s’exporte (« French Tech »). Pour autant, la France montre des faiblesses. D’une part dans le domaine de la recherche académique, où on dénote un manque de moyens humains et de transversalité avec le monde de l’industrie (idée défendue par la Stratégie nationale de recherche – SNR). D’autre part dans l’appropriation du numérique par nombre d’institutions françaises. Une cause possible de ce retard tiendrait à la réticence française à imaginer une société où l’État joue un rôle bien moindre, où les destins divergent, où le pouvoir se déplace et où les références – morales et culturelles – se relativisent (Daniel Kaplan, FING). La France peut et doit être plus ambitieuse en matière de numérique (Henri Verdier, SGMAP).

La transformation de l’économie à l’heure du numérique

Les innovations numériques créent de nouveaux marchés. Les objets connectés, par exemple, associés au Big Data, représentent un potentiel de création de valeur de 74 milliards d’euros pour la France en 2020 (et de 138 milliards en 2025) auquel s’ajoute le développement d’un nouveau marché des achats d’équipements connectés (estimé à 15 milliards d’euros en 2020 et 23 milliards en 2025)(1) (Institut Montaigne).

Mais le numérique transforme aussi des marchés dits « traditionnels » : l’informatisation a bousculé le marché de l’automobile, par exemple, de la conception à l’assemblage, du produit final à l’usage, la voiture devient, plus qu’un objet industriel, un objet connecté qui s’insère avec d’autres dans la « fonction de mobilité » (Institut de l’iconomie).

Le secteur médical a, lui aussi, de plus en plus recours au numérique afin de pallier ses défaillances (Roche), et le gouvernement semble avoir pris la mesure des potentiels du numérique dans ce secteur (Cartes sur table). Les objets connectés peuvent en effet être un levier d’action majeur d’un point de vue économique (le marché mondial des dispositifs médicaux connectés représentant à lui seul 30 milliards de dollars actuellement) mais aussi en termes de prévention et d’amélioration de l’accès et de la qualité des soins.

Pour assurer l’expansion de ces secteurs, les pouvoirs publics doivent investir dans des infrastructures permettant le développement d’innovations. À ce titre, dans le secteur des télécoms, l’ARCEP place l’investissement dans les infrastructures au cœur de ses priorités afin d’assurer une connectivité mobile et fixe de très haut niveau, sur le plan de la performance en termes de couverture et de qualité de service.

Le numérique, une réponse à la crise démocratique

Nous traversons actuellement une crise de la démocratie. Les citoyens ne se retrouvent plus dans l’offre politique et institutionnelle (Benjamin des Gachons, Change.org) et ont le sentiment d’une diminution de leur influence sur les décisions politiques (Fondation Jean Jaurès et Renaissance Numérique). Le numérique peut être vu comme un outil permettant de surmonter cette crise, notamment en ouvrant des possibilités pour une démocratie plus participative. L’enjeu, ici, est de capter cette nouvelle forme d’énergie militante, ce désir de politique et donc de trouver des points de rencontre et de bascule entre ces citoyens qui ont une envie d’agir et les institutions qui doivent s’ouvrir à ces nouvelles formes de mobilisation. Pour autant, cela ne pourra se faire que si les élus et l’administration acceptent un partage du pouvoir avec elles et les reconnaissent à leur juste valeur (Benjamin des Gachons, Change.org).

L’autre enjeu, soulevé par Pierre Messulam, est celui des liens et articulations possibles entre les deux modes d’expression, numérique et traditionnel, notamment les questions de légitimité à accorder aux personnes qui s’expriment par les consultations en ligne et de représentativité des pétitions en ligne, entre expression de la volonté du corps social et effets d’émotion propagés par les réseaux sociaux.

La littératie numérique, outil de cohésion sociale

L’action sociale subit de plein fouet la transformation numérique. Avec la dématérialisation d’un nombre croissant de services, les acteurs sociaux doivent accompagner les bénéficiaires dans leurs démarches en ligne, sans qu’il y ait eu de préparation pour les uns comme pour les autres. En effet, s’il existe de nombreuses initiatives publiques et associatives, leur réponse est insuffisante face à la masse de personnes concernées par la précarité numérique (synthèse du débat).

Pourtant le numérique pourrait être source d’autonomie de tout citoyen à condition de le maîtriser ; d’où l’importance de la littératie numérique (Loïc Gervais, Numédia, et Emmaüs Connect).

Par ailleurs, il peut être un moyen de résorber les problèmes rencontrés par notre système éducatif jugé trop inégalitaire et peu performant. Les enfants pouvant réussir lorsque des méthodes d’enseignement appropriées sont déployées très tôt, la France doit saisir l’opportunité du numérique pour proposer de nouvelles méthodes d’apprentissage (Institut Montaigne).

 

(1) Source : étude A.T. Kearney pour le compte de l’Institut Montaigne. 

Propositions

Soutenir l’innovation en lui offrant un cadre

Le sentiment de sécurité est crucial dans le développement d’une confiance des usagers envers le numérique et les acteurs innovants (Institut Montaigne).

Cette problématique peut s’illustrer dans le domaine du partage des données médicales. À ce titre, Roche propose, d’une part, la création d’un « Comité des sages pluridisciplinaires », rattaché à Etalab, qui aurait pour mission principale de valider les objectifs d’un projet de recherche et d’aider à anticiper les éventuels risques ; d’autre part, la mise en place d’un projet pilote composé de plusieurs acteurs industriels et auquel serait associée la CNIL, afin de mener une réflexion sur la création de tiers validant l’accès à la base de données. Ces aspects règlementaires peuvent être complétés par des actions de sensibilisation des usagers du numérique, notamment dans le domaine de la santé (Cartes sur table).

Dans ce contexte d’innovation et d’évolution des marchés, l’État doit d’une part créer un cadre assez souple permettant de développer des écosystèmes (dénonciation par Wikimédia de la restriction non commerciale posée à la liberté de panorama dans la loi pour une République numérique). D’autre part, il doit être le garant d’un cadre de confiance permettant ainsi de saisir les opportunités économiques et sociétales de la révolution numérique (Institut Montaigne). Il peut notamment favoriser l’innovation par le droit à l’expérimentation (Henri Verdier, SGMAP, et ARCEP) et par la création d’un « Digital Business Act made in France » (Institut Montaigne).

Face à ces nouveaux besoins de réglementation, l’État doit adopter une doctrine (synthèse du débat) sur les grands enjeux suivants :

  • défendre les droits acquis de ceux qui souffrent de l’innovation et proposer une organisation raisonnée ou créer une situation délibérément favorable au changement ; − concentrer les efforts d’innovation sur des domaines définis (correspondant aux forces de la France ou répondant à des questions essentielles) ou installer un environnement favorable à l’émergence, l’accompagnement et la prospérité de l’innovation ;
  • soumettre des projets de R & D à une forme de dialogue au regard de questions éthiques ou traiter les questions d’éthique a posteriori (pour éviter que les réticences sur ce sujet ne soient un frein dans la compétition internationale)

Renouveler la démocratie par le numérique

Le débat a mis en lumière les possibilités qu’offre le numérique s’il est mis au service de la démocratie. Le numérique permet :

  • d’instaurer une forme de démocratie continue (le citoyen peut interpeller les élus et donner son avis sur les politiques menées en dehors des élections) ;
  • d’enrichir le fonctionnement d’une démocratie plus participative (expérimentation de la « démocratie liquide »(2)) ;
  • de faire accéder un public plus large à l’information ; − de créer des modes d’expression nouveaux ; − de conférer davantage de légitimité aux décisions (sur lesquelles les citoyens donnent leur avis).

Dans un objectif de réconciliation des citoyens avec la démocratie, l’État doit faire connaître les outils numériques qui permettent aux citoyens d’agir et prendre en compte ces nouvelles formes de mobilisation (Benjamin des Gachons, Change.org). Il a également la capacité d’institutionnaliser un dispositif d’e-pétition contraignant et de mettre en place une plateforme participative de suivi de la fabrique des lois (Fondation Jean Jaurès et Renaissance Numérique).

La pérennisation de ces nouveaux processus démocratiques demande la diffusion d’une culture du numérique et l’appropriation de ses usages par tous, mais aussi la mise en œuvre de conditions sous-jacentes : créer de la confiance, sécuriser l’information et préserver l’indépendance de la société civile (synthèse du débat). Il faut se prémunir dans le même temps des risques de marginalisation des corps intermédiaires et de l’ajout de contraintes et de barrières à l’entrée dans l’expression démocratique.

Former au numérique

La maîtrise des outils numériques, appelée aussi « littératie numérique », est la condition nécessaire à l’autonomie et l’intégration des individus dans l’ère numérique.

Le numérique pouvant être vecteur d’égalité des chances et source de développement économique, une solution serait de lancer une grande initiative citoyenne pour l’accompagnement des plus fragiles vers l’autonomie numérique (Emmaüs Connect). Loïc Gervais, quant à lui, propose la mise en place d’un « service public de la médiation numérique ». Cela permettrait de répondre à trois enjeux identifiés : éclairer le citoyen pour qu’il puisse devenir acteur de la société numérique, donner les éléments minimum de la littératie numérique et favoriser l’e-inclusion.

Plusieurs autres options ont été évoquées lors du débat :

  • la création d’un réseau de territoires apprenants (« réseau d’universités populaires du numérique », terme qui a fait débat) ;
  • l’intégration de la médiation numérique pour accompagner la transition des organisations ;
  • l’identification des nombreuses initiatives menées à travers la France.

Dès le plus jeune âge, le numérique peut être un outil de cohésion sociale en réduisant les inégalités de notre système éducatif. En ce sens, l’Institut Montaigne propose de concevoir le numérique comme un outil capable de consolider les fondamentaux et comme un savoir à part entière permettant de lutter plus efficacement contre l’échec scolaire. Il est notamment proposé de promouvoir la création d’une « Fondation pour l’Éducation » (chargée d’expérimenter et de diffuser les bonnes pratiques pédagogiques labellisées), de transformer une partie du temps passé à la maison devant les écrans en temps de consolidation des savoirs via des applications ludo-éducatives, de former les enseignants au numérique et de distribuer aux maires une charte de bonnes pratiques pour une gestion communale efficace du numérique éducatif.

La question de la formation se pose également tout au long de la vie, les compétences numériques devenant incontournables sur le marché du travail (Akène Groupe). Cela doit se traduire par une profonde évolution de la formation, afin que les travailleurs soient prêts à exercer de nouveaux métiers issus de l’évolution technologique, mais aussi par une profonde refonte de notre protection sociale, pour que les travailleurs soient couverts indépendamment de leur forme d’activité (Pierre-Yves Geoffard, CNRS – EHESS).

 

(2) La démocratie liquide est une forme de gouvernement qui se situe entre la démocratie représentative et la démocratie directe. Le pouvoir de vote peut être confié à un délégué sur certains sujets.  

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Podcast du débat Tirer parti de la révolution numérique ? enregistré le 26 mai 2016.

Le débat sur «Tirer parti de la révolution numérique ? » a réuni au Numa Paris universitaires, acteurs publics, entrepreneurs, associations et think-tanks autour de trois grands enjeux, qui ont donné lieu à trois ateliers.

 

 Avec notamment les interventions introductives de :

  • Marie-Vorgan LE BARZIC, CEO de NUMA depuis 2002 ;
  • Benjamin DES GACHONS, directeur France de Change.org depuis 2012 ;
  • Jean DEYDIER, directeur général d’Emmaüs Connect ;

Et les restitutions des ateliers par :