Votre navigateur n'est pas assez récent pour consulter ce site dans les meilleures conditions.
Nous vous conseillons d'utiliser un navigateur plus récent.

Climat : Comment agir maintenant ?

Le succès de l’Accord de Paris relance la lutte mondiale contre le changement climatique. Le défi est redoutable : parvenir, d’ici cinquante ans, à un monde qui absorbe autant de carbone qu’il en émet.

ENJEUX
DÉBAT &
CONTRIBUTIONS
SYNTHÈSES DES DÉBATS
Résumé

Le succès de l’Accord de Paris relance la dynamique mondiale de la lutte contre le changement climatique. Il en pose les enjeux sans détour : l’humanité doit parvenir, dans la seconde moitié de ce siècle, à un monde qui absorbe autant de carbone qu’il en émet. À plus court terme, la décennie qui vient sera cruciale :ne pas augmenter la température de plus de 2°C suppose, de la part de tous les pays, un effort de réduction supplémentaire des émissions de gaz à effet de serre (GES) que l’on peut estimer à 30 % par rapport aux engagements pour 2030 adoptés en amont de la conférence de Paris (graphique 1). Cet effort sera d’autant plus difficile à réaliser qu’il devra s’exercer dans un monde où l’énergie carbonée restera vraisemblablement abondante et accessible à un coût modéré.

L’Union européenne devra donc, en liaison avec les États-Unis et la Chine, aller au-delà de son objectif de réduction de 40 % de ses émissions de 1990 à 2030. Cela suppose qu’elle réduise très fortement son recours aux hydrocarbures et au charbon et qu’elle crée un véritable signal-prix carbone dans son économie. Pour cela, elle devra très probablement incorporer dans son marché de quotas de carbone un prix plancher (qui pourrait ne concerner dans un premier temps que la production électrique) et envisager la création d’une taxe carbone européenne. Elle devra également revoir l’organisation d’un marché de l’électricité qui ne permet plus de lancer de nouveaux investissements sans soutien public.

La France doit désormais axer ses efforts sur la réduction des émissions du transport, du résidentiel/ tertiaire et de l’agriculture. Avec une baisse de près de 19 % de ses émissions depuis 1990, due, il est vrai, pour partie à la crise de 2008 et à ses prolongements, le pays est bien engagé dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, cette baisse provient pour l’essentiel du secteur industriel et de la production d’énergie : la production d’électricité est ainsi quasiment décarbonée. Atteindre la neutralité carbone entre 2050 et 2100, sans dégrader la compétitivité, va obliger à repenser l’ampleur, le rythme et la répartition sectorielle des efforts.

La France et l’Europe vont devoir prendre des options pour l’avenir sans savoir quelle sera l’attitude de leurs partenaires. La fixation d’orientations, le choix du mix électrique, la taxation du carbone, les transformations des modes de vie ne peuvent attendre les décisions des autres signataires de l’Accord de Paris. Nous allons devoir concilier responsabilité et compétitivité.

17-27- Climat - graphiques-01

EN SAVOIR + :

Nous vous invitons à cliquer sur le bouton + afin de découvrir les notes, le contenu des encadrés et les différentes annexes.

Télécharger :

La note « Enjeux » de la thématique « Climat : comment agir maintenant ?« 

The English version: « Climate action: now or never« 

Les données des graphiques présents dans la note : « Climat : comment agir maintenant ? »

Un nécessaire renforcement de la lutte contre le changement climatique

Un Accord de Paris ambitieux qui doit conduire à de nouveaux engagements de réduction

La COP21 a abouti à un accord entre 196 parties (195 pays et l’Union européenne) pour lutter contre les émissions de GES. Son ambition est de contenir le réchauffement climatique « nettement en dessous » de 2°C d’ici à 2100 par rapport aux températures préindustrielles et de poursuivre les efforts en vue de contenir ce réchauffement le plus près possible de 1,5°C. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que « la température moyenne à la surface de la planète et des océans » a déjà augmenté de 0,85°C sur la période 1880-2012 et que la concentration actuelle de GES devrait conduire à une augmentation supplémentaire de 0,6°C sur le long terme[1].

Cet accord modifie notre vision de la lutte contre le changement climatique sur trois points. À court terme, la mention d’un objectif de 1,5°C s’explique par la perception dès aujourd’hui des manifestations du changement climatique en certains endroits de la planète et par la nécessité de répondre à l’appel des populations directement menacées. À moyen terme, la neutralité carbone envisagée dans la seconde moitié du siècle à l’échelle de la planète conduit à envisager le passage à une « société sans carbone » au sein des pays développés, probablement dès 2050. Enfin, il existe un décalage entre l’objectif de limiter à 2°C l’augmentation de la température et les engagements – insuffisants – pris jusqu’à présent par les différents pays pour 2030.

Les États ont déposé auprès des Nations unies, avant la COP21, des contributions nationales, dites INDC[2], dont l’ambition et l’horizon dans le temps varient fortement d’un pays à l’autre. La somme de ces engagements volontaires (non contraignants) conduit actuellement à une trajectoire de réchauffement comprise, selon les différentes études réalisées, entre 2,7°C et 3,7°C en fin de siècle[3]. Pour pouvoir atteindre un objectif de 2°C, l’article 17 du texte des décisions de la COP 21[4] précise que si ces efforts n’étaient accentués qu’à partir de 2020, il serait nécessaire de diminuer les émissions mondiales d’environ 30 % supplémentaires à l’horizon 2030 par rapport aux engagements actuels (graphique 1).

Repousser au-delà de 2030 cet engagement d’efforts additionnels demanderait des réductions d’émission à un rythme tellement élevé qu’il paraît inatteignable : le montant maximal du carbone que l’on peut émettre si l’on veut ne pas augmenter la température de plus de 2° (de l’ordre de 1 000 Gt CO2e à compter de 2013) serait en effet dépassé entre 2035 et 2040[5]. La solution consisterait alors à s’en remettre au progrès technologique, en espérant que les techniques de géo-ingénierie permettront d’absorber, dans la seconde moitié de ce siècle, plus de gaz à effet de serre que l’homme n’en émettra. Le développement de certaines de ces technologies, en particulier de la capture et du stockage du CO2, est nécessaire, mais, en leur état actuel, se reposer sur une telle perspective constituerait un pari pour le moins hasardeux. C’est pourquoi la Conférence des parties a « insisté avec une vive préoccupation » dans le préambule de l’Accord de Paris sur « l’urgence de combler l’écart significatif » qui existe entre les émissions actuelles et l’ambition d’un scénario nettement en dessous de 2°C (graphique 2 et tableau 1).

17-27- Climat - graphiques-02

 

17-27- Climat - tableau-01

Parmi les pays les plus réticents à une révision rapide des engagements des différentes parties dans leur lutte contre le changement climatique figure l’Inde. Celle-ci a pris des engagements ambitieux à l’horizon 2025 et, lors de la COP21, ne souhaitait pas être contrainte de les réviser avant d’avoir cherché à les mettre en œuvre. Pourtant, quand bien même il est difficile de croire à une révision rapide à la hausse des engagements de tous les pays, ce réexamen sera nécessaire à l’horizon 2020. Au plan mondial, l’Accord de Paris prévoit le lancement d’un premier exercice de révision des objectifs de chaque État en 2018-2019. Une mise à jour devrait ensuite intervenir tous les cinq ans. L’Union européenne aura un rôle majeur à jouer dans ces négociations.

Une abondance de pétrole et de gaz

Le début des années 2000 a été marqué par le débat sur l’épuisement des ressources d’hydrocarbures et la date prochaine du pic pétrolier. Aujourd’hui la mise au point de techniques nouvelles (forage horizontal) et l’amélioration de techniques déjà connues (fracturation hydraulique) permettent non seulement d’aller chercher les gisements de pétrole et de gaz contenus en grande quantité dans la roche-mère, mais également de les produire à un prix modéré, compétitif avec celui des hydrocarbures conventionnels les plus coûteux. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE)[6], dans ce « nouveau monde », si les investissements nécessaires sont réalisés, l’offre d’hydrocarbures devrait pouvoir répondre sans difficulté à une demande en augmentation de plus de 10 % d’ici à 2040. Or, la combustion de toutes les énergies fossiles disponibles est clairement incompatible avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique : le scénario le plus pessimiste du dernier rapport du GIEC envisageait ainsi une augmentation de la température moyenne de 4°C en fin de siècle.

  1. La production pétrolière américaine de pétroles non conventionnels a augmenté en moins de cinq ans de plus de quatre millions de barils par jour, soit l’équivalent de 40 % de la production de l’Arabie saoudite ; l’amélioration très importante de la productivité des forages réalisés conduit désormais aux États-Unis à un coût du baril de pétrole non conventionnel compris entre 25 et 80 dollars. De sorte que si, conformément à certaines prévisions[7], la production des pétroles non conventionnels atteignait 10 millions de barils par jour en 2035 et suffisait à compenser le déclin des gisements conventionnels, le prix du baril pourrait rester modéré.
  2. L’exploitation des gaz de schiste présents en grande quantité aux États-Unis a également provoqué un effondrement du prix du gaz américain, la substitution du charbon par le gaz – environ deux fois moins émetteur[8] de CO2 – dans la production d’électricité, et une réduction des émissions du pays (tableau 2). D’ici 2020, les États-Unis et l’Australie pourraient, selon les prix, vendre autant de gaz que le premier exportateur actuel, le Qatar.

Ainsi, dans la décennie à venir, et sans même évoquer l’abondance du charbon dont les cours se sont effondrés, la lutte contre le changement climatique devra s’accomplir dans un contexte où les prix des hydrocarbures (du gaz en particulier) pourraient rester modérés à court-moyen terme. Ils ne seront donc pas suffisants pour, à eux seuls, entraîner la réduction nécessaire de la consommation d’énergies fossiles[9], ce qui conduira inévitablement à poser la question de l’introduction d’un prix du carbone.

17-27- Climat - tableau-2

 

1. Cinquième rapport du GIEC.

2. Intended nationally determined contributions : contributions décidées au niveau national.

3. Source : World Ressources Institute, think tank américain spécialisé dans les questions environnementales

4. La Conférence des parties « note également que des efforts de réduction des émissions beaucoup plus importants que ceux associés aux contributions prévues déterminées au niveau national seront nécessaires pour contenir l’élévation de la température de la planète en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels en ramenant les émissions à 40 gigatonnes [en 2030] … »

5. Le lecteur trouvera une discussion nettement plus complète sur ce point dans le Rapport de synthèse sur l’effet global des contributions prévues déterminées au niveau national, novembre 2015. Note du secrétariat de la CCNUCC, ainsi que dans la note du groupe interdisciplinaire sur les contributions nationales, novembre 2015.

6. Energy World Outlook 2015, International Energy Agency.

7. Outlook to 2035, BP Energy Outlook, 2016 edition.

8. Quand on ne prend pas en compte les fuites de méthane.

9. Soulignons cependant que la faiblesse des prix actuels du pétrole conduit à un très net ralentissement des dépenses d’exploration et de développement de nouveaux gisements. Elle devrait entraîner, conformément au cycle habituel des matières premières, une baisse de l’offre conventionnelle et une remontée des prix à l’horizon de quelques années, modérée cependant par la disponibilité d’hydrocarbures non conventionnels.

Dix années pour reconstruire une europe de l'énergie et du climat

Depuis plus de dix ans, l’Union européenne s’est donné les moyens d’une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique : d’abord en créant dès 2005 le marché européen de quotas de CO2 pour les industriels (Emissions Trading System, ETS) puis en adoptant en 2008 son paquet climat-énergie et son triptyque d’objectifs à 20 %[10]. Ce parcours aurait dû trouver son apogée à Copenhague en 2009 dans l’adoption d’un Protocole de Kyoto élargi à l’ensemble de la planète et imposant à chaque pays des quotas d’émissions.

Rien ne s’est passé comme prévu : le refus des autres États de se voir imposer des objectifs de réduction de leurs émissions à la mode « européenne » a conduit à l’échec de la conférence de Copenhague. Dans un contexte de crise économique et de baisse du prix des énergies fossiles[11], le coût des énergies renouvelables est resté relativement élevé, malgré des baisses spectaculaires qui se poursuivent, et la concurrence industrielle n’a pas permis l’affirmation d’un leadership européen dans ce domaine. Pire, les marchés du carbone et de l’électricité que l’Union européenne a créés et qui sont nécessaires à la bonne régulation du secteur énergétique sont en ruine : le marché ETS n’a pas permis d’instaurer un véritable signal-prix carbone, le prix de l’électricité sur le marché de gros s’est effondré et compromet désormais la rentabilité de la plupart des installations de production d’électricité (à moins qu’elles ne soient subventionnées), tandis que le coût de l’électricité pour le consommateur (qui intègre les montants de subventions) augmente dans la plupart des pays.

Six ans après l’échec de Copenhague, l’Accord de Paris repose sur une logique d’engagement volontaire des États et relance la lutte mondiale contre le changement climatique. Donne-t-il pour autant un nouvel élan à l’Union européenne et à ses ambitions d’exemplarité ? Rien n’est moins sûr. Cet accord lui pose en effet plusieurs défis : celui du rehaussement dès 2020 de son objectif de réduction de ses émissions, nécessaire pour se placer dans un scénario 2°C, celui de la répartition entre les différents États membres des efforts supplémentaires à consentir et celui des instruments à mettre en place à cette fin.

L’Union européenne ne pourra espérer relever ces défis que si elle est capable de retrouver son leadership technologique et de surmonter le handicap de sa diversité : la très grande hétérogénéité des ressources énergétiques, des parcs de production électrique et des politiques de lutte contre le changement climatique de ses États membres ne favorise pas l’entente sur des positions et des objectifs communs.

Un objectif à 2030 à rehausser et à détailler

De 1990 à 2014, l’UE-28 a réduit ses émissions de gaz à effet de serre d’environ 23 % (graphique 3) : elle dépasse donc d’ores et déjà son objectif de 20 % de réduction à 2020[12]. Dans son nouveau paquet climat-énergie présenté fin 2014, le Conseil européen a de fait donné la priorité à la lutte contre le réchauffement climatique en ne retenant qu’un seul objectif contraignant pour tous les États membres[13] : la réduction de 40 % de leurs émissions de GES de 1990 à 2030.

17-27- Climat - graphiques-03

Cependant, même si l’Union européenne ne représente plus aujourd’hui que moins de 9 % des émissions mondiales pour 7 % de la population[14], elle doit d’ores et déjà se préparer à renforcer ses objectifs de réduction d’émissions à 2030. La Commission a annoncé en mars qu’elle n’entendait pas procéder unilatéralement à cette révision : il est logique que l’UE ne s’engage pas dans cette voie indépendamment de l’attitude des États-Unis, de la Chine et des autres pays développés, cela conduirait à pénaliser son économie. Mais, in fine, elle devra participer au surcroît d’effort mondial. Si l’UE reprenait à son compte une diminution supplémentaire de 30 %, cela reviendrait à envisager de diminuer à horizon 2030 les émissions de GES, non plus de 40 % mais de 60 % par rapport à 1990.

Dans ces conditions, la question des efforts à consentir par État membre (qui devrait être traitée dans les prochaines semaines pour ce qui est de l’objectif actuel à 2030) devient d’autant plus cruciale. La procédure retenue pose cependant une triple difficulté :

  • l’UE-28 décompose l’objectif unique de 40 % de réduction à 2030 en 29 objectifs différents : un relatif à l’industrie européenne dans le cadre du marché européen des quotas de carbone et un pour chaque État membre (hors industrie). Cela peut être source d’inefficacité économique. Une première solution serait d’étendre le périmètre du marché carbone afin qu’il couvre également les émissions diffuses. Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, propose par exemple d’étudier l’intégration dans le marché des distributeurs de carburants et de combustibles fossiles, en leur demandant de disposer de quotas pour le montant des émissions provoquées par leurs ventes aux installations non soumises elles- mêmes à quotas[15]. Une autre solution serait d’instituer une taxe européenne sur le contenu carbone des combustibles fossiles ;
  • alors que l’une des priorités de la lutte contre le changement climatique devrait être, comme le souligne le dernier rapport du GIEC, d’aboutir à une production d’électricité décarbonée – pour ensuite substituer l’électricité aux hydrocarbures dans un certain nombre d’usages (transport notamment) –, un objectif de réduction portant sur le secteur industriel de manière globale ne réduira pas de façon rapide les émissions liées à la production d’électricité : ainsi, un véhicule électrique[16] émet dans certains pays de l’UE-28 plus de gaz à effet de serre qu’un véhicule neuf à essence (graphique 4). L’introduction d’un prix plancher du carbone dans le secteur de la production électrique pourrait, dans le respect des règles du marché ETS, contribuer à décarboner la production d’électricité ;

17-27- Climat - graphiques-04

  • plus largement, le mix électrique est très différent d’un pays à l’autre. Demander des diminutions d’émissions de CO2 d’ampleur comparable à celles d’un pays comme la France – qui émet déjà peu de CO2 grâce à son mix électrique peu carboné – ou l’Allemagne – qui conserve beaucoup d’électricité produite au charbon et au gaz – ne correspond peut-être pas à une répartition équitable des efforts entre pays européens. Favoriser le déploiement du photovoltaïque dans les pays les plus ensoleillés serait également une source d’économie.

Un marché du carbone à recréer

La faiblesse du prix du CO2 sur le marché (il est voisin aujourd’hui de 5 €/tCO2) conduit les investisseurs et les banquiers à ne plus tenir compte de ce signal-prix dans leurs plans d’investissement. Autrement dit, le prix actuel du carbone ne joue pas son rôle d’orientation vers les technologies bas carbone qui lui avait été assigné.

La mise en place d’un corridor de prix du carbone permettrait de garantir un prix minimal dans le temps et ainsi de corriger cette défaillance. Cette solution pourrait rencontrer néanmoins une certaine hostilité de la part des industriels, qui voudront conserver leur compétitivité vis-à-vis des pays hors UE[17]. Pour répondre à cette objection, une autre solution consisterait dans un premier temps à n’instaurer ce prix plancher du carbone que dans le seul secteur de la production d’électricité. Au Royaume-Uni, cette mesure a conduit à substituer le gaz au charbon pour la production d’électricité et ainsi à diminuer les émissions de ce secteur[18].

Une réflexion devrait enfin être menée sur l’intérêt de créer une véritable autorité de régulation du marché européen des ETS. Celle-ci pourrait remédier à des dysfonctionnements de marché plus rapidement que la procédure actuelle qui nécessite, dès lors qu’il faut changer une règle, l’accord de la Commission et de l’ensemble des États membres.

À défaut de pouvoir recréer le marché carbone et sa crédibilité, une réflexion sur l’intérêt et la possibilité de le remplacer par une taxe carbone devrait être engagée.

Le marché de l’électricité en désespérance

La faiblesse des prix sur le marché de gros de l’électricité est liée à la fois à la chute du prix des énergies fossiles, au déploiement d’installations prioritaires sur le réseau et rémunérées hors marché, ainsi qu’à la faiblesse de l’activité économique en Europe. Elle ne permet plus de lancer de nouveaux investissements sans soutien public, ni même d’exploiter de manière rentable la plupart des installations conventionnelles, ne laissant survivre que celles qui bénéficient de rémunérations hors marché (contrat de long terme, tarifs d’achat ou compléments de rémunération). Cette situation place les opérateurs énergétiques historiques européens (notamment E.ON, RWE, ou plutôt sa filiale thermique, Uniper, Enel…) dans des situations financières difficiles et remet en cause leur modèle économique. Ainsi, alors que l’équilibre financier du nucléaire existant demande un prix supérieur à 42 €/MWh et celui de l’éolien terrestre un prix supérieur à 85 €/MWh, le prix du marché en France au début 2016 n’était plus que de 26 €/MWh. Cette situation n’est pas durablement tenable.

À court terme, la mise en place déjà évoquée d’un prix plancher du carbone, restreint au secteur de la production d’électricité, présenterait également le double avantage de conduire à un relèvement du prix du marché de gros et d’encourager les pays charbonniers à réduire leur recours à cette énergie.

À moyen terme, la Commission européenne et les États membres sont confrontés à quatre scénarios possibles d’évolution à l’horizon 2030 :

  • le laisser-faire, conduisant à la remise en cause du modèle économique, voire à la disparition de nombre d’opérateurs historiques de production d’électricité ;
  • la restauration de la confiance dans les marchés, ce qui suppose la modification de la régulation des marchés ETS et de l’électricité ainsi que l’arrêt programmé des subventions aux énergies ;
  • le retour, à l’exemple du Royaume-Uni, de l’État planificateur et régulateur. Cela conduirait à l’instauration d’un prix plancher du carbone dans le secteur de la production d’électricité, à la création de mécanismes de capacité, mais aussi à la rémunération des investissements à travers des contrats de long terme ;
  • une rémunération non seulement de l’énergie produite, mais aussi de la puissance installée, notamment au travers d’appels d’offres pour le marché en s’inspirant notamment des exemples sud-américains.

10. 20 % de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 2020 et 20 % de réduction de sa consommation énergétique.

11. Baisse qui a conduit dans un premier temps à un prix palier autour de 100 dollars le baril et, depuis 2014, aux prix actuels inférieurs à 50 dollars.

12 Annual European Community greenhouse gas inventory 1990-2012 and inventory report 2014 (Inventaire annuel des gaz à effet de serre 1990-2012 de la Communauté européenne et rapport d’inventaire 2014), rapport de l’Union européenne présenté au Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en juin 2014. Le chiffre de 23 % de réduction ne comprend ni l’aviation internationale (qui figure dans l’objectif de réduction de 20 % de l’UE), ni les émissions et les absorptions de gaz liées à l’utilisation des terres, à leurs changements et à la forêt.

13. Le texte adopté fixe un deuxième objectif contraignant : porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % de la consommation d’énergie de l’UE d’ici à 2030. Il n’est cependant contraignant qu’au niveau européen (et non pas pour chacun des États membres). L’objectif d’économies d’énergie de 27 % d’ici 2030 n’est qu’indicatif.

14. Chiffres 2013.

15. Énergie, climat et prospérité. L’Europe attend des décisions fortes, Europartenaires, septembre 2015.

16. Environ 120 g CO2/km pour un mix électrique émettant en moyenne 350 gCO2/KWh (en ajoutant les émissions provenant de la fabrication de la batterie)

17. https://global.handelsblatt.com/edition/402/ressort/politics/article/german-firms-at tack-french-emissions-price -plan?utm_source=CP+Dail y&utm_campaign=c4c24f01 d1-CPdaily05042016&utm_ medium=email&utm_term= 0_a9d8834f72-c4c24f01d1-5 1238117

18. La France et le Royaume-Uni ont récemment proposé à leurs partenaires un non-paper afin d’encadrer la valeur du carbone sur le marché par un corridor de prix.

La nécessité pour la France d'un signal-prix carbonne crédible

La lutte contre le changement climatique est bien engagée en France : les émissions de GES[19] ont baissé de près de 19 % de 1990 à 2014 (graphique 5A). À la suite du Débat national sur la transition énergétique, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, promulguée en août 2015, confirme le Facteur 4, autrement dit l’ambition de diviser par quatre nos émissions de 1990 à 2050, et adopte un objectif de réduction de 40 % des émissions françaises de GES de 1990 à 2030. La Stratégie nationale bas-carbone, publiée en octobre 2016, définit des budgets carbone à ne pas dépasser pour les dix prochaines années et met l’accent sur les actions d’efficacité énergétique, en particulier dans l’habitat.

17-27- Climat - graphiques

 

Ce succès mérite cependant d’être relativisé car, lorsque l’on prend en compte l’empreinte carbone en comptant les émissions de gaz à effet de serre liées à la demande finale intérieure[20], celles-ci sont beaucoup plus stables sur la période : la baisse des émissions sur le territoire français est ainsi pour partie liée à la fabrication à l’étranger des produits que nous consommons.

De plus, cette transition énergétique bute désormais sur un certain nombre de difficultés :

  • Les bons résultats obtenus sont très largement imputables à la baisse des émissions enregistrées par le secteur industriel et la production d’énergie. Or, une fois arrêtées, les dernières centrales à charbon, les émissions du mix électrique français représenteront moins de 4 % des émissions totales françaises. A l’avenir, les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre devront donc se concentrer sur le résidentiel-tertiaire, le transport et l’agriculture (graphique 5B) secteurs pour lesquels les réductions sont beaucoup plus difficiles et coûteuses à mettre en œuvre.
  • La baisse des prix des hydrocarbures ne facilite pas le déploiement des efforts à fournir. Alors que la Stratégie nationale bas-carbone souligne que le rythme de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre devrait être doublé dans les prochaines années pour parvenir à atteindre les objectifs à 2030[21] et que la loi[22] indique qu’il faudrait procéder à la rénovation thermique d’environ 500 000 logements par an, cette baisse annule la rentabilité d’un grand nombre d’actions d’efficacité énergétique et pourrait même conduire à un effet rebond dans le transport. C’est certainement le point le plus urgent à traiter.

Dans ce contexte, plusieurs questions se posent pour les dix années qui viennent. Elles concernent :

  • les cohérences internes à la loi : alors que celle-ci fixe des objectifs multiples (réduction de la consommation d’énergie, évolution du mix électrique français…), priorité doit être donnée à la baisse des émissions, en privilégiant les solutions les moins coûteuses ; les autres objectifs doivent être pensés en liaison avec cette ambition première ;
  • le rythme des actions à mener : la mise en place d’un signal-prix carbone crédible, croissant dans le temps et adapté à l’objectif finalement retenu pour 2030 constitue le meilleur moyen de déclencher de nouveaux investissements ;
  • la cohérence des politiques publiques (qui doivent être dimensionnées en fonction du signal-prix carbone) et les changements de comportement nécessaires.

La cohérence des objectifs et des actions

La loi de transition énergétique définit de multiples objectifs précis. Outre que ce cadre risque de manquer de souplesse pour optimiser la dépense collective en fonction des évolutions économiques à venir[23], les objectifs et actions prévus mériteraient d’être hiérarchisés pour gagner en cohérence au service de l’impératif d’une réduction efficace en termes économiques des émissions de GES.

  • Cohérence des objectifs : la baisse de la consommation d’énergie n’est qu’un moyen au service de l’objectif premier que constitue la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La loi demande une réduction de moitié de la consommation finale d’énergie à 2050 sans tenir compte des émissions de gaz à effet de serre de chacune des sources mobilisées. Or, la diminution des usages d’une électricité produite à partir d’un mix électrique décarboné ne devrait pas revêtir le même degré de priorité que la diminution des usages reposant sur les hydrocarbures[24]. En France, remplacer – comme le prescrit la réglementation thermique 2012 – le traditionnel ballon d’eau chaude, qui fonctionne à partir d’un mix électrique décarboné et qui peut servir de stockage énergétique pour les ENR, par des dispositifs à partir de gaz moins consommateurs d’énergie conduit à plus d’émissions.
  • Cohérence économique : les enjeux technico-économiques du mix électrique doivent prendre en compte le souci de préserver notre compétitivité. Le développement des ENR[25] au sein d’un mix électrique déjà décarboné et en situation de surcapacité a pour but non pas de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais de diminuer la part du nucléaire dans notre production d’électricité. Cet objectif est au premier ordre sans incidence sur le volume total des émissions. Pour autant, la minimisation du prix des énergies doit rester une priorité pour préserver notre compétitivité : une hausse de 10 % des prix de l’électricité en France réduirait la valeur de nos exportations de 1,9 %[26]. Le montant des dispositions prises en faveur du développement des énergies renouvelables (solaire et éolien) pourrait, selon les prévisions de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) de 2013, atteindre 8 milliards d’euros en 2025 pour une production d’environ 40 TWh[27]. Dans ces conditions, il est souhaitable de distinguer les énergies renouvelables matures, dont le prix se rapproche des conditions de marché, des énergies dont le coût reste très élevé et qu’il convient probablement de réserver à des opérations de démonstration : le coût de la production du biométhane, compris entre 45 € et 95 €/MWh[28], est très nettement supérieur au prix actuel du gaz sur le marché (voisin de 13 €/MWh en mars) ; l’électricité produite par une éolienne offshore revient à 200 €/MWh[29] alors que le prix actuel du marché est – certes anormalement bas – d’environ 25 €/MWh. En coût de la tonne de CO2 évitée, l’éolien en mer revient à 438 €/tCO2 et le biogaz à partir de déchets agricoles à 373 €[30] : à dépense constante, d’autres actions permettraient d’économiser bien plus de CO2.

Les choix intertemporels : la nécessité d’instaurer un signal-prix du carbone

Ainsi que le souligne la Stern review, « le changement climatique présente un défi unique pour l’économie : il constitue l’échec du marché le plus important et le plus étendu que l’on ait jamais connu » : les dommages résultant de nos émissions de gaz à effet de serre seront payés par les générations futures. Dans ces conditions, le rapport Stern recommande d’imputer à chaque instant au carbone marginalement émis la valeur actualisée des dommages qu’il va provoquer. Appliquée à la France, selon une approche coût/efficacité, cette démarche a conduit la Commission[31] présidée par Alain Quinet à recommander d’augmenter la valeur « tutélaire » du carbone de 4 % par an, pour la porter à 56 €/tCO2 en 2020 et 100 €/tCO2 en 2030, ce qui permettrait d’atteindre l’objectif de diviser par quatre les émissions françaises de GES à l’horizon 2050. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a repris ces valeurs pour le volet carbone de la taxe sur les combustibles fossiles.

Cependant, les objectifs ambitieux retenus lors de la COP de Paris et la forte baisse du prix des énergies fossiles doivent conduire à accélérer l’évolution de la valeur du carbone :

  • Tant que les 196 parties ne révisent pas leurs efforts de lutte contre le changement climatique (leurs INDC), les valeurs actuelles inscrites dans la loi peuvent être maintenues. En revanche, une révision de 40 % à 60 % de l’objectif 2030 de réduction des GES en Europe supposerait, dans une première approche, d’augmenter la valeur du carbone d’une cinquantaine d’euros pour la porter à 150 € tCO2 à 2030 : le calcul précis tenant compte de l’objectif post-2050 de neutralité carbone reste à effectuer. À l’échelle nationale, le prélèvement d’une taxe de ce montant sur l’ensemble des combustibles fossiles (l’équivalent d’une taxe d’environ 40 cts € sur le litre d’essence) serait loin d’être neutre sur les revenus et la consommation[32]. Elle devrait s’accompagner d’une baisse de la fiscalité sur d’autres assiettes : selon la DG Trésor[33], une telle taxe, si elle était redistribuée aux entreprises et aux ménages, pourrait favoriser la croissance. Procéder à une baisse du coût du travail encouragerait l’emploi. Le produit de la taxe pourrait aussi permettre de financer des aides à la reconversion professionnelle[34] et des actions de rénovation énergétique, de lutter contre la précarité énergétique et de subventionner la R&D verte.
  • La baisse forte des prix des hydrocarbures constitue une deuxième raison d’augmenter la valeur tutélaire du carbone. La commission Quinet n’avait pas proposé de faire dépendre la valeur tutélaire du carbone du prix du pétrole, en considérant que les valeurs du carbone proposées restaient valables pour un prix du pétrole compris entre 50 et 100 euros le baril. Cependant, la faiblesse actuelle des cours, si elle était durable, et le fait qu’elle provienne largement d’une augmentation de l’offre de combustibles fossiles justifieraient, sinon une augmentation supplémentaire pérenne du signal-prix correspondant, du moins un avancement du calendrier de la hausse projetée.

La nécessaire mise en place d’autres instruments de politique publique

La mise en place d’un prix du carbone à un niveau suffisant est indispensable pour minimiser la dépense collective dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour autant, le prix du carbone ne peut suffire à lui seul à guider la transition énergétique.

Ainsi, l’innovation verte est freinée par l’habitude des industriels à innover dans les technologies qu’ils ont l’habitude d’utiliser[35] et qui rejettent plus de carbone que les innovations vertes. Des subventions pour la R&D verte (aide aux premiers usages des technologies innovantes, suppression des barrières hors marché, facilitation de la substitution entre technologies propres et technologies polluantes) apparaissent dès lors souhaitables.

D’autres barrières existent, en particulier dans le résidentiel tertiaire. Au-delà du recours à la norme et à la réglementation et des actions déjà mises en œuvre[36], l’introduction progressive d’une taxe carbone sur les énergies utilisées dans les bâtiments actuels permet d’adresser aux différents ménages un signal-prix qui ne pourra que s’accroître dans le temps. Une partie des sommes recueillies peut être recyclée dans l’incitation à la rénovation thermique et la lutte contre la précarité énergétique. Le calcul socioéconomique (intégrant les conditions économiques actuelles, en particulier la faiblesse des taux d’intérêt) devrait permettre de préciser projet par projet ceux qui pourraient être réalisés. L’arbitrage intertemporel ainsi envisagé conduit à effectuer dès maintenant les actions rentables et à repousser à plus tard celles qui le deviendront pour un prix du carbone plus élevé : il doit naturellement tenir compte des barrières propres à chaque secteur.

19. Il s’agit des émissions métropolitaines (hors UTCF), qui sont passées de 543 en 1990 à 440 MtCO2e en 2014.

20. Ce qui revient à ajouter les émissions provenant de la fabrication et du transport des produits importés et à retirer celles des produits exportés.

21. Cf. Stratégie nationale bas-carbone.

22. Article 3 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte : « La France se fixe comme objectif de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes, visant ainsi une baisse de 15 % de la précarité énergétique d’ici 2020. »

23. Citons notamment l’objectif lié aux renouvelables : la loi prévoit de « porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables doivent représenter 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz ».

24. De la même façon, la réglementation thermique 2012 et le crédit d’impôt pour la transition énergétique ont pour objectif premier la réduction de la consommation d’énergie et non la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

25. La loi prévoit un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 2025. Les travaux menés par RTE ont montré qu’un tel mix ne posait pas de difficulté technique particulière.

26. Bureau D., Fontagné L. et Martin P. (2013), « Énergie et compétitivité », Les notes du conseil d’analyse économique, n° 6, mai.

27. Ce chiffre correspond à une approximation par défaut de la réalité : le prix du marché de gros (qui sert de référence au calcul) est nettement plus haut que le prix actuel.

28. Cf. Pour les installations de stockage de déchets non dangereux, les tarifs d’achat du biométhane injecté sont compris entre 45 € et 95 €/MWh selon la taille de l’installation. Pour les autres unités de méthanisation, les tarifs d’achat du biométhane injecté (hors coefficient d’indexation annuelle) se composent d’un tarif de base compris entre 64 € et 95 €/MWh selon la taille de l’installation. 

29. Tarif de rachat pour les derniers appels d’offres.

30. « Les énergies renouvelables : quels enjeux de politique publique ? », Lettre Trésor-Éco, n° 162, mars 2016

31. La valeur tutélaire du carbone, Rapport de la commission présidée par Alain Quinet, Centre d’analyse stratégique, juin 2009.

32. En 2016, pour une composante carbone de la TICPE de 22 € tCO2, le produit attendu était de 3,6 Mds €.

33. Rapport de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution Climat et Énergie, présidées par Michel Rocard, ancien Premier ministre, juillet 2009.

34. Voir Trajectoires 2020-2050 : vers une économie sobre en carbone, Rapport élaboré sous la présidence de Christian de Perthuis, Centre d’analyse stratégique, 2012.

35. Voir Aghion P., Hemous D. et Veugelers R. (2009), Quelles politiques pour encourager l’innovation verte ?, Regards croisés sur l’économie, n° 6, p.165-174, 

36. Notamment le cumul de l’éco-prêt à taux zéro et du crédit d’impôt pour la transition énergétique, l’augmentation des crédits consacrés à la rénovation des bâtiments publics et des logements sociaux, la mise en place de sociétés de tiers financement.

Cinq questions pour un débat

Quelle est la crédibilité de l’objectif « nettement moins de 2°C » ?

Au plan mondial, trois scénarios sont possibles dans la lutte contre le changement climatique :

  • a) Le respect, sans plus, des engagements pris par chaque pays avant la conférence de Paris et un report des efforts supplémentaires au-delà de 2030. Cela reviendrait en pratique à renoncer à contenir l’élévation de la température en dessous de 2°C.
  • b) L’accroissement dès 2020 des efforts pour obtenir une réduction supplémentaire d’environ 30 % des émissions de GES à 2030. Ce scénario est nécessaire si l’on veut tenir l’objectif « moins de 2°C », mais il requiert des efforts supplémentaires substantiels et rapides.
  • c) Le non-respect des engagements pris, comme le protocole de Kyoto l’a parfois montré.

Le dimensionnement des efforts – de plus en plus nécessaires – d’adaptation en dépend.

L’Union européenne doit-elle prendre les devants ou suivre le rythme de la communauté internationale ? Comment concilier compétitivité et ambition climatique ?

Alors qu’elle ne représente plus aujourd’hui que 10 % des émissions mondiales, l’UE doit-elle se fixer unilatéralement un objectif de réduction supplémentaire de 30 % à l’horizon 2030 au risque de sacrifier sa compétitivité ? Doit-elle au contraire conditionner cet effort à une coopération mondiale ? Comment répartir les réductions à consentir entre les États membres ? L’Union européenne peut-elle et doit-elle enfin créer à dix ans une taxe carbone européenne ? Comment doit-elle encourager l’innovation ?

Comment réduire la part du charbon dans la production d’électricité européenne ?

L’introduction d’un prix plancher du carbone dans le secteur de la production électrique pourrait permettre (1) de favoriser les énergies alternatives au charbon et de baisser les émissions, (2) de relever le prix du marché de gros, (3) de ne pas trop pénaliser les autres secteurs industriels. Faut-il suivre une stratégie de ce type ? Recourir à la réglementation ? Attendre le relèvement du prix du carbone ?
Le gaz est-il un intermédiaire nécessaire dans la transition ?

Quelle trajectoire en France pour le prix du carbone ? Comment faire évoluer les comportements ?

La taxe carbone sur les carburants, qui devrait atteindre 25 cts en 2030, peut être bénéfique à l’économie si elle est intelligemment utilisée pour alléger  d’autres prélèvements. Comment donner une crédibilité à cette trajectoire ? Sommes-nous prêts à porter le prix du carbone à 40 cts le litre d’essence pour respecter l’objectif « moins de 2°C » ? Quel usage faire de cette recette ? Cette taxe est-elle suffisante pour engendrer des changements de comportement ? Quelles politiques mettre en œuvre pour, plus généralement, adapter nos modes de vie ?

Sur quelle base reconstruire le marché de l’électricité ?

La situation actuelle du marché de l’électricité ne permet pas d’assurer la rentabilité des installations de production, à moins qu’elles ne soient subventionnées : elle n’est pas durable. La Commission européenne et les États membres sont donc confrontés à plusieurs scénarios possibles : le laisser-faire conduisant à la remise en cause économique – voire à la disparition – des opérateurs historiques, le retour de l’État planificateur et régulateur, la primauté accordée aux seules forces du marché, ou la création de modèles hybrides rémunérant à la fois l’énergie et la puissance.

En France, cela conduit à s’interroger à horizon de dix-vingt ans sur la place de l’électricité dans le mix énergétique et sur la composition du mix électrique, sur les développements possibles des smarts grids, de la production d’énergie décentralisée, et sur le rôle qu’auront demain les réseaux électriques.

Auteurs :

Dominique Auverlot

Étienne Beeker

Appel à contribution
Veuillez vous connecter sur une tablette ou un ordinateur pour accèder au formulaire.

Toutes les parties prenantes au débat public sont invitées à s’exprimer, à confronter leurs constats au diagnostic élaboré par les experts de France Stratégie, à présenter leurs analyses et à formuler des propositions. DÉPOSEZ VOTRE CONTRIBUTION AVANT LE 10 JUIN 2016. 

Qui peut contribuer ? Comment contribuer ?  Comment promouvoir votre contribution ? Toutes les conditions disponibles ici.

MESSAGE
2 + 2 =
Le débat

Jeudi 7 juillet 2016

Podcast du débat enregistré le Jeudi 7 juillet 2016 – Auditorium Platine – Maison Minatec – 3 parvis Louis Néel – 38000 Grenoble

Le débat « Climat : comment agir maintenant ? », organisé en partenariat avec la métropole de Grenoble le 7 juillet 2016, a réuni à Grenoble universitaires, acteurs publics, associations et think-tanks autour des grandes questions posées dans la note « Enjeux ».

Le débat s’est organisé autour de deux tables rondes. La première portait sur la crédibilité de l’objectif « nettement moins de 2°C » de l’Accord de Paris. La question de la taxe carbone, envisagée au niveau français, européen ou mondial, pour mieux lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et de respecter l’objectif de température, a également été posée.

La deuxième table ronde s’est concentrée sur les actions des territoires dans la lutte contre le réchauffement climatique : la ville neutre en carbone que préconise l’Accord de Paris à l’horizon 2050 est-elle possible ?

Christophe FERRARI, président de Grenoble-Alpes Métropole et Jean PISANI-FERRY, commissaire général de France Stratégie ont animé le débat accompagnés d’experts qui sont intervenus sur ces sujets et ont répondu aux questions du public.

Pour la première table ronde sont intervenus :

Gerhard KRINNER, climatologue, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement,

Patrick CRIQUI, économiste, directeur de recherche au CNRS, Université de Grenoble-Alpes, Laboratoire d’économie appliquée de Grenoble, GAEL

François MOISAN, directeur exécutif de la stratégie, de la recherche et de l’international, directeur scientifique de l’ADEME, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie

Pour la seconde :

Gilles DEBIZET, maître de conférences en aménagement et urbanisme à l’Université de Grenoble-Alpes, coordonnateur de l’ouvrage Scénarios de transition énergétique en ville

Isabelle MAILLOT, responsable Programme Bioressources, CEA LITEN, Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux

Christine GARNIER, vice-présidente de Grenoble-Alpes Métropole déléguée à l’habitat, au logement et à la politique foncière

Contributions

Mobiliser les sciences de la société pour penser et agir face au changement climatique – Nicole Mathieu
Dans l’éditorial d’un numéro spécial de NSS intitulé « Penser autrement la question climatique », Jacques Theys pronostique : « Que la conférence de Paris soit un succès ou un échec, l’année 2015 marquera, de toute façon, une étape importante dans les politiques climatiques : la fin possible d’une certaine forme dépassée de négociation globale, ou l’amorce d’une nouvelle dynamique ». Notre texte entend proposer une contribution du Groupe Climat de l’Académie d’Agriculture de France à cette nouvelle dynamique.

Pourquoi et comment soutenir le développement de la production d’électricité renouvelable ? – Claude Mandil
Écartons l’argument tautologique : parce que l’Europe s’est donné un objectif de pénétration ambitieux ; on fait parce qu’on a décidé. Certes, mais pourquoi a-t-on décidé ? Deux très bonnes raisons : une, le monde doit très fortement réduire ses émissions de CO2 et deux, nous devons nous préparer à un monde dans lequel les énergies fossiles seront sinon épuisées, du moins raréfiées, donc renchéries. Mais les calendriers qui gouvernent les actions correspondantes sont très différents.

Le secteur électronique européen est en danger : nouvelle alerte dans les « dépréciations d’actifs » de 2015 – Philippe Vesseron
Les arrêtés des comptes des entreprises qui produisent de l’électricité en Europe viennent d’être publiés : pour la vingtaine des plus importantes, les «dépréciations» enregistrées dépassent souvent le milliard d’euros. Déjà en 2014 le total des dépréciations avait atteint quelque 25 milliards d’euros. Des analyses très intéressantes avaient été publiées sur ce sujet lourd mais complexe.

La COP-21, et après ? – André-Jean Guérin
Parmi les Questions de climat, la COP 21 a été présentée comme un grand succès de la diplomatie française en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. L’actualité l’a toutefois déjà faite oublier. En tirer un bilan est certainement prématuré. En revanche, s’agissant d’un point d’étape important dans la construction d’une gouvernance du bien commun que constitue le climat, nous pouvons avoir un regard sur le chemin qui nous y a conduit et celui qu’il reste à parcourir.

La baisse de prix du brut et ses conséquences – Dominique Chauvin – Membre du Think-Tank Vista
La baisse du prix du brut observé depuis juin 2014 jusqu’à un niveau inférieur à 30$/bbl, a surpris bien des experts pétroliers ainsi que des économistes de renom. Ils pensaient, par expérience, que comme en 2009 après la crise des subprimes de 2008, ces prix rebondiraient et de façon notable. Certains le pensent toujours. Pourquoi une telle surprise? Pourquoi une telle méprise?

COP21 – Comment agir maintenant ? – Arnaud Leroy – Fondation Jean Jaurès
Avec l’engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la limitation du réchauffement climatique en-dessous des 1,5°C, l’accord est une réponse à la hauteur du défi climatique qui est devant nous. Un défi climatique qui a cessé d’être vu comme une seule problématique environnementale pour devenir un enjeu civilisationnel, c’est aussi l’une des avancées de Paris.

Comment renforcer la participation des jeunes au débat sur le changement climatique ? – Pierre Manenti – Vice-Président – CliMates
L’année 2015 a travaillé en profondeur l’opinion publique française en matière de sensibilisation aux changements climatiques. L’accueil de la COP21 à Paris, en décembre 2015, l’engagement des pouvoirs publics, de nos administrations, des collectivités territoriales, de nos entreprises et le lancement de nombreuses initiatives citoyennes ont mis en évidence une urgence à agir pour protéger notre planète.

Remarques et réponses aux questions pour un débat – France Nature Environnement
Sauf effondrement dramatique de l’activité économique humaine subi ou changement de modèle économique choisi, il n’y absolument aucune perspective de voir les émissions réduites de 30 %  d’ici 2030 pour tenir l’objectif de 2°C, et encore plus l’objectif de 1.5°C fixé lors de la COP 21. Compte tenu du temps nécessaire à la décision politique et à la mise en œuvre des programmes d’action et de l’investissement, les émissions de 2030 se trouveront entre le scénario tendanciel et les engagements pré-COP 21 si nous ne faisons rien d’ambitieux.

Contribution de la Fabrique Écologique, Fondation pluraliste de l’Écologie
La décennie qui suivra la prochaine élection présidentielle en France sera celle de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. Elle devra comporter comme priorité majeure une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre. La question climatique et l’obligation d’aller vers une société bas carbone auront un impact sur l’ensemble des politiques publiques, à la fois dans l’agenda des gouvernements, des collectivités publiques et des acteurs économiques et sociaux.

Un prix du carbone significatif pour la mise en place des INDCs et accroître les ambitions dévoilées à la COP21 – Paula Coussy – IFP Énergie nouvelle
Au regard des INDCs déclarées à la COP21, les études montrent que l’objectif de limiter la hausse des températures à 2°C ne sera pas atteint. Pour y parvenir, il faudra accroitre de 30% les ambitions mondiales de réduction de GES, et ceci le plus vite possible. Comment faire ? Dans ce contexte, il sera important non seulement de soutenir la mise en œuvre des INDCs, mais également de créer un contexte financier et technico-économique soutenant les efforts de réduction sur le long terme.

L’énergie nucléaire fait partie de la solution pour relever le défi du changement climatique – Nuclear for Climate

Financer la transition écologique des territoires par les monnaies locales – Wojtek Kalinowski – Co-directeur – Institut Veblen pour les réformes économiques
Les monnaies locales offrent un complément précieux aux politiques publiques de la transition écologique, à condition d’être mobilisées dans ce sens et de s’insérer dans les circuits de financement de l’investissement écologique et de l’équipement des ménages. Leur circulation permettrait alors de mieux orienter l’activité économique vers les ressources inexploitées d’un territoire et de renforcer l’économie de proximité.

Climat : l’action passe par une refonte de notre modèle économique et social – Aurore Lalucq – Co-directrice – Institut Veblen
Nos activités économiques et leur organisation étant responsables du dérèglement climatique, il est nécessaire de jeter les bases d’un système économique moins énergivore afin d’assurer le maintien d’une prospérité durable. Les réformes à apporter sont bien moins radicales que l’on ne croit, elles réclament néanmoins un changement total de perspective.

Comment reconstruire une industrie électrique durable ? Le rôle du prix du carbone – Dominique Bureau
Au rythme actuel d’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, notre « budget-carbone » compatible avec un scénario 2°C sera épuisé avant 2040. Ce résultat est robuste car le risque climatique est un problème de stock d’émissions cumulées. Pour éviter de laisser aux générations futures des coûts d’adaptation et de restructuration dirimants et parce que les potentiels d’émissions négatives demeurent trop incertains, les efforts de réduction de nos émissions de CO2 doivent donc être relevés fortement dans les dix prochaines années.

L’UFE soutient la mise en oeuvre d’un corridor de prix ambitieux dans le cadre du marché carbone européen – Union française de l’électricité
L’UFE a toujours appelé à l’émergence d’un signal prix carbone fort au niveau européen pour réussir la transition vers une économie bas-carbone, et à ce titre est favorable aux différentes initiatives visant à renforcer l’ETS.

En quoi le changement climatique est une question qui se pose aux caisses d’allocations familiales ? Caisse nationale d’allocations familiales
Le développement durable s’inscrit dans les pratiques des Caisses d’allocations familiales (Caf) depuis plusieurs années dans ses trois dimensions, environnementale, sociale et économique. C’est la traduction de la responsabilité sociale de la branche Famille.

Évolution des capacités de production des énergies renouvelables électrogènes : la fuite en avant  – Jean-Pierre Pervès – Sauvons le climat
Le gouvernement français, dans son arrêté relatif à la PPE 2018/20231, propose d’accélérer le déploiement des électricités éolienne et photovoltaïque. Ces énergies présentent bien sûr l’avantage d’être renouvelables, même si leur intermittence et leurs productions aléatoires les rendent dépendantes de moyens de centrales de back-up, qui sont majoritairement en France des centrales nucléaires et hydroélectriques non émettrices de gaz à effet de serre (GES) ou des centrales à combustibles fossiles.

Une politique de l’énergie pour la France d’ici 2025/2030 : Synthèse – Sauvons le climat
La France a déjà réalisé la moitié de sa transition énergétique parce qu’elle bénéficie aujourd’hui d’une électricité très décarbonée (elle émet avec le nucléaire 8 fois moins de gaz carbonique que l’Allemagne par kWh). Mais elle dépend encore beaucoup des énergies fossiles, gaz et pétrole essentiellement, pour le chauffage, la climatisation et les transports. Cette dépendance pèse lourdement sur notre balance commerciale. La réduction des émissions de gaz à effet de serre, conformément aux engagements pris lors de la COP 21 et aux objectifs européens devra se faire en ménageant le pouvoir d’achat des Français et en préservant la compétitivité de notre économie : il faudra rechercher les moyens efficaces et les moins couteux.

Une politique de l’énergie pour la France d’ici 2025/2030 – Jean-Pierre Pervès, Pierre Audigier, Jean-Luc Salanave – Sauvons le climat
La France dépend aujourd’hui des énergies fossiles (pétrole et gaz, essentiellement) pour moitié de ses besoins en énergie primaire, ce qui pèse sur une balance commerciale qui serait, sinon, équilibrée. Vis-à-vis du risque climatique notre pays a déjà réalisé une bonne part de sa transition énergétique, grâce à une électricité non carbonée (nucléaire et hydraulique essentiellement).

Climat et Biodiversité, Fondation pour la recherche sur la biodiversité
Les scientifiques nous le disent clairement : les enjeux de la biodiversité sont liés à ceux du climat et le maintien, comme la restauration, de la biodiversité contribueront à réduire l’émission des gaz à effet de serre, à en atténuer les effets et aideront nos sociétés à s’adapter. Le Conseil d’orientation stratégique (COS) de la FRB a donc invité donc les négociateurs représentant les parties de la Convention des Nations unies sur le changement climatique à prendre en compte la biodiversité, son fonctionnement et sa dynamique, dans les négociations sur le climat. Après l\’accord de Paris, cette appel reste toujours d\’actualité pour la mise en oeuvre de ce dernier. L’ambition de limiter le réchauffement climatique doit aller de pair avec celle de réduire les atteintes à la biodiversité et à ses services dont l’humanité bénéficie.

Contribution sur l’ambition et la stratégie climatique – ADEME
La lutte contre le changement climatique à la hauteur des ambitions adoptées dans l’accord de Paris reposera sur une transition énergétique mondiale réussie. À l’échelle française les objectifs de cette transition ont été précisés en 2015 par la loi pour la transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) et il faut dès maintenant identifier les leviers et moyens de sa mise en œuvre.

Pour des politiques climatiques ambitieuses – P. Criqui
Après la COP 21 et l’adoption des Contributions Nationales, il est d’abord nécessaire de s’interroger sur l’écart entre le point de passage des émissions mondiales qui résulterait de l’application de ces INDCs et les trajectoires d’émission permettant de respecter l’objectif du 2°C.

La France face aux choix énergétiques – Mensuel Société civile – iFRAP
Pour la France, déjà très responsable dans sa consommation d’énergie et son mode de production, la transition devra se faire, mais se réaliser progressivement en tenant compte des réalités économiques et sociales, pas en fonction de choix arbitraires et instables.

liste des contributions
Appel à contribution
Veuillez vous connecter sur une tablette ou un ordinateur pour accèder au formulaire.

Toutes les parties prenantes au débat public sont invitées à s’exprimer, à confronter leurs constats au diagnostic élaboré par les experts de France Stratégie, à présenter leurs analyses et à formuler des propositions. DÉPOSEZ VOTRE CONTRIBUTION AVANT LE 10 JUIN 2016. 

Qui peut contribuer ? Comment contribuer ?  Comment promouvoir votre contribution ? Toutes les conditions disponibles ici.

MESSAGE
2 + 2 =
Synthèse des contributions et du débat

7 juillet 2016

Le débat sur la décennie 2017-2027 lancé par France Stratégie comporte un volet consacré aux enjeux climatiques qui a donné lieu à plus d’une vingtaine de contributions et à une réunion publique qui s’est tenue le 7 juillet 2016 à Grenoble. Ses principaux enseignements résident dans la nécessité d’accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre en optimisant les dépenses, mais aussi de poursuivre les efforts d’adaptation et de modifier les comportements. Les métropoles pourraient montrer l’exemple dans la recherche de la neutralité carbone.

Au niveau mondial

L’Accord de Paris a adopté des objectifs très ambitieux : limiter à terme le réchauf­fement climatique « nettement en dessous » de 2 °C par rapport aux températures préindustrielles et poursuivre les efforts en vue de contenir ce réchauffement le plus près possible de 1,5 °C. Il a de plus retenu un objectif de neutralité carbone à partir de 2050.

Quelle limite de température peut-on ne pas dépasser ?

Il existe un fort consensus[1] sur l’idée que pour rester sous les 2 °C, il faut diminuer d’environ 30 % supplémentaires les émissions mondiales à 2030 envisagées par les différents pays à l’horizon 2030 : cet effort supplémentaire est très difficile à mettre en œuvre. Il suppose un nouveau partage mondial des réductions d’émissions de gaz à effet de serre qui devrait être décidé avant 2020 pour atteindre le résultat escompté.

À Grenoble, Gerhard Krinner a rappelé que le seuil de température de 2 °C corres­pondait à un objectif « politique » (dans le sens positif du terme) qui n’a pas de justification scientifique précise.

France Nature Environnement souligne que « sauf effondrement dramatique de l’activité économique humaine subi ou changement de modèle économique choisi, il n’y a absolument aucune perspective de voir les émissions réduites de 30 % supplémentaires d’ici 2030 pour tenir l’objectif de 2 °C, et encore plus l’objectif de 1,5 °C fixé lors de la COP 21 ».

L’IFPEN insiste sur l’urgence, mais aussi sur la difficulté pour les politiques, d’adopter des mesures pour lutter contre le réchauffement et appelle ainsi à une prise de conscience de tous les acteurs de la société civile.

Pétrole en abondance ?

La faiblesse actuelle du prix des hydrocarbures compromet la rentabilité des actions destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. S’il y a accord aujourd’hui sur l’idée qu’il faudra laisser en terre une grande quantité d’hydrocarbures si l’on veut limiter l’augmentation de la température de la planète, en revanche, le débat est loin d’être clos sur l’évolution future des prix du pétrole. Pour certains, la faiblesse du prix des hydrocarbures pourrait durer une dizaine d’années : c’est ce que l’on a constaté après le contre-choc pétrolier de 1986. Ils mettent en avant notamment l’idée qu’au-delà d’un prix de 50 à 60 dollars le baril, l’exploitation des pétroles non conventionnels redeviendra rentable et les forages correspondant reprendront, ce qui conduira à rétablir l’équilibre offre/demande.

Bernard Durand, ex-directeur de la division géologie de l’IFPEN, exprime néanmoins des doutes sur la persistance, pendant les dix ans à venir, de l’offre pétrolière à son niveau actuel ou même plus. Pour lui, « le conventionnel est en déclin depuis déjà dix ans, et on ne voit pas se dessiner la grande aventure du non-conventionnel censé le compenser et au-delà ». L’épuisement des gisements conventionnels actuels, la marginalité des pétroles non conventionnels, la faiblesse enfin des investissements pourraient conduire à une forte baisse de l’offre à moyen terme et à une envolée des prix. Selon lui, « il conviendrait donc, au moins par prudence, d’examiner l’option d’un déclin très prochain de l’offre de pétrole tous liquides ».

(1) Voir notamment UNFCC (2016), Aggregate Effect of the intended Nationally Determined Contributions: an Update, Synthesis Report by the Secretariat, mai, ou les travaux du groupe interdisciplinaire sur les contributions nationales présidé par Hervé Le Treut, novembre 2016,
http://icmc.ipsl.fr/images/publications/scientific_notes/GICN_working_paper2.pdf.

Où en est l'Europe ?

Même si l’Union européenne (UE) à 27 ou à 28 est en passe d’atteindre ses objectifs de réduction à l’horizon 2020, un sentiment de déception ressort. Les hypothèses sur lesquelles l’UE a bâti son paquet climat-énergie en 2007 se sont révélées erronées, l’outil phare de sa politique – le marché d’échange de quotas de carbone – ne joue plus le moindre rôle d’orientation dans la transition bas carbone et son marché de l’électricité ne permet plus d’assurer la rentabilité de la plupart des installations de production d’électricité (à moins qu’elles ne soient subventionnées par ailleurs).

Pour Claude Mandil, il faut remettre les coûts au centre des politiques énergétiques et environnementales, grâce à un prix élevé supporté par les émissions de CO2.

Un signal prix-carbone à revigorer

Un très large consensus existe sur l’inutilité du signal prix-carbone actuel sur le marché ETS (Emission Trading Scheme) dont la valeur est négligeable, et sur le manque de confiance dans sa trajectoire future. Mais les solutions pour remédier à ce problème diffèrent : en France, l’idée d’un prix-plancher du carbone s’impose de plus en plus, le gouvernement l’a proposé à l’UE, le rapport Mestrallet paru en juillet 2016 en détaille les modalités techniques. La Commission, quant à elle, privilégie une régulation par les quantités et la mise en place du mécanisme de réserve de stabilité.

L’IFPEN propose la mise en place d’une instance supra européenne de régulation de l’offre de quotas et évoque également la mise en place d’un mécanisme du type « Market Stability Reserve » (MSR) qui, à la différence du MSR prévu pour 2019, réagirait non pas en fonction des quantités de quotas en surplus sur le marché, mais en fonction du niveau de prix du carbone sur le marché.

La situation actuelle, caractérisée par une absence de prix significatif du carbone, présente le risque de ne pas conduire à la fermeture des centrales thermiques européennes les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES), en particulier des installations brûlant du lignite, mais, dans une période de prix particulièrement bas du charbon et du lignite, d’aboutir à la fermeture (ou à la mise sous cocon) de centrales à gaz quasiment neuves.

Le marché de l’électricité

Les prix très bas sur le marché de l’électricité ne permettent plus la rentabilité de la majorité des installations de production (sauf à les subventionner). Ils résultent de la baisse de la consommation depuis 2007, de la surcapacité existante dans la production d’électricité (favorisée par le déploiement d’énergies renouvelables hors marché) et de la diminution du prix des énergies fossiles (gaz et charbon principalement).

Philippe Vesseron insiste sur la nécessité de remédier aux défaillances du marché de l’électricité et souligne l’ampleur de la destruction de valeur en cours au niveau européen : les opérateurs européens de production d’électricité ont perdu plus de 90 milliards d’euros d’actifs en moins de cinq ans (soit environ 1 % du PIB européen) et devraient être confrontés à des difficultés économiques de plus en plus importantes dans les prochains mois si le prix sur le marché de l’électricité reste inférieur au coût de la plupart des techniques de production d’électricité.

Dans cette situation, le risque pour l’UE est que chaque pays cherche à mettre en place ses propres solutions, indépendamment des autres. La France, avec une électricité presque entièrement décarbonée, est dans une situation différente de l’Allemagne qui doit fermer ses installations au charbon et au lignite, et du Royaume-Uni qui doit renouveler son parc de production.

Une politique d’innovation à renforcer

L’appel à un renforcement des politiques d’innovation dans le domaine de l’énergie est largement partagé.

Pour France Nature Environnement, l’Union européenne a renoncé à son leadership en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Mais cela peut changer si elle décide de créer une taxe carbone européenne et de l’appliquer à toutes les importations afin d’adresser un signal fort. L’Union européenne doit innover et démontrer son engagement en faveur du climat.

Pour Paula Coussy – IFPEN, l’Union européenne se doit d’être innovante dans le domaine de l’énergie car il en va de sa compétitivité et de sa stabilité économique. Il faut accélérer l’innovation technologique dans tous les domaines et en particulier dans celui des transports et de la mobilité durable. L’accélération de l’effort de R & D sur les technologies bas carbone est essentielle et devra être soutenue par des politiques publiques coordonnées donnant un prix au carbone afin de faciliter leur mise sur le marché.

Le cas de la France

Plusieurs points font consensus.

  • Tout le monde est d’accord sur la nécessité de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre de la France, mais personne ne reprend l’idée de renforcer l’objectif de réduction à l’horizon 2030.
  • Partant du constat que la production d’électricité est maintenant quasi décarbonée, Alain Argenson rappelle, ce qui fait consensus, qu’en France les priorités de la lutte contre le réchauffement climatique résident dans le transport et le résidentiel-tertiaire (et l’agriculture si possible).
  • L’état de surcapacité du système de production électrique n’est pas remis en cause, de même que l’idée selon laquelle la baisse de la consommation d’énergie n’est qu’un moyen au service de l’objectif que constitue la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela implique que la diminution des usages d’une électricité produite à partir d’un mix électrique décarboné ne devrait pas revêtir le même degré de priorité que la réduction des usages reposant sur les hydrocarbures.
  • Un consensus existe sur le besoin de R & D : Claude Mandil en particulier insiste sur la nécessité d’un effort accru de recherche pour préparer l’avenir.
  • Les enjeux technico-économiques du mix électrique doivent prendre en compte le souci de préserver la compétitivité : Philippe Vesseron demande de chiffrer systématiquement en CO2 d’une part, et en euros d’autre part, les implications de chaque initiative énergétique et/ou climatique. GénérationLibre souligne néanmoins que l’enjeu pour la croissance est d’abord de faire évoluer le bouquet (mix) énergétique actuel, en appliquant au mieux le critère efficacité-coût.

Plusieurs points font débat.

  • Un premier débat plutôt implicite a trait à la nature des changements à mettre en œuvre pour réduire les émissions de GES. Jusqu’où cette réduction doit-elle transformer la société et ses comportements ? L’Ademe indique que les changements de comportement pourraient représenter jusque 50 % des émissions de GES, voire de profondes transformations de la société ; Aurore Lalucq, co-directrice de l’Institut Veblen, souligne qu’une fiscalité écologique n’aura de sens que si elle vient accompagner une transformation des modes de production et de consommation mais aussi des politiques sociales ; Pierre Louis Serero, membre du conseil économique de la métropole grenobloise, s’il constate la nécessité des changements de comportement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, s’interroge sur l’attitude que doivent adopter la collectivité et les pouvoirs publics à l’égard des personnes qui ne veulent pas changer de mode de vie.
  • Un deuxième débat concerne les leviers économiques à mettre en place. Jean Tirole souligne la nécessité d’un prix mondial du carbone (à défaut, la baisse de consommation d’hydrocarbures d’un groupe de pays vertueux entraînerait une baisse du prix du pétrole et une hausse des consommations des pays voisins, annulant de fait l’effort initial !). À l’inverse, France Nature Environnement plaide pour une première étape qui, avant un accord européen, consisterait à appliquer en France un prix minimum du carbone et le financement du chèque énergie grâce à la taxe correspondante. D’autres insistent sur le fait que le prix carbone ne peut en aucun cas suffire et qu’il faudra en passer par l’outil réglementaire. Patrick Criqui souligne en particulier que l’hypothèse d’un prix unique du carbone, pour tous les secteurs et pour tous les pays, doit sans doute être mise de côté pour quelques années, voire quelques décennies et que, dans certains secteurs clés, comme la production d’électricité, le bâtiment ou les véhicules automobiles, il est probable qu’un système de normes adaptées et flexibles peut compléter et considérablement accélérer l’impact des prix du carbone. Il ajoute qu’à travers l’adoption de politiques climatiques ambitieuses (les scénarios de moins de 2 °C), c’est bien d’accélérer le mouvement à court terme dont il s’agit. Il conclut sur l’idée que le recours à des systèmes de normes sectorielles adaptées, flexibles et performantes sur le modèle des propositions du Clean Power Plan américain – étudiées en détail par les économistes de Resources for the Future aux États-Unis – constitue probablement, pour les économistes européens, un champ à explorer d’urgence.
  • Un troisième débat plus classique a trait au devenir de l’énergie nucléaire en France. Dominique Bureau souligne l’intérêt de bien poser le problème : « Tendanciellement, les renouvelables se substituent aux équipements décarbonés en place. Le parc fossile doit par ailleurs être renforcé pour satisfaire la pointe ? Finalement, la production fossile est en fait augmentée. À long terme, la politique [de développement des énergies renouvelables] mise en œuvre est donc plus une politique de « dénucléarisation » du parc que de décarbonation… Elle devrait être évaluée comme telle, en objectivant les enjeux de sûreté susceptibles de la légitimer (au-delà du contrôle réalisé par l’ASN) et en n’en cachant pas les coûts, en euros et en émissions de CO2».

Pour France Nature Environnement, il ne faut plus laisser croire que le prix du kWh nucléaire français est bas − il est d’ailleurs supérieur au prix du marché −, une augmentation du prix de l’électricité est inévitable, et arrêter des centrales coûtera moins cher que de les rénover pour une prolongation de dix ou vingt ans.

L’initiative Nuclear for Climate souligne que, pour relever le défi du changement climatique, toutes les énergies bas carbone doivent être mobilisées, y compris l’énergie nucléaire. Elle propose de reconnaître officiellement l’énergie nucléaire comme une énergie bas carbone (comme le fait le GIEC dans son 5e rapport) et de respecter le droit de chaque État à choisir l’énergie nucléaire.

Le débat intervenu à Grenoble a conduit également à s’interroger sur le rôle des métropoles dans la transition énergétique. Les actions qui y ont été présentées montrent que les métropoles mettent déjà en place des dispositifs spécifiques, notamment dans la rénovation thermique, pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et qu’elles pourraient jouer un rôle de leader dans la recherche de la neutralité carbone attendue pour la seconde moitié de ce siècle.

Un certain nombre de questions plus spécifiques ont enfin été évoquées. Pierre Manenti, vice-président de CliMates, insiste sur la nécessité de renforcer la participation des jeunes au débat sur le changement climatique. Le Conseil national du numérique met l’accent sur la convergence des transitions écologique et numérique et souligne les apports possibles du numérique à la transition écologique : le numérique peut et doit contribuer à mesurer autrement la richesse comme les « externalités » des activités humaines, à organiser le partage et la mutualisation des ressources, à réorganiser des secteurs entiers autour de ressources renouvelables, de circuits courts ou « circulaires », à développer d’autres imaginaires que celui de la consommation. Pour Nicole Mathieu, enfin, il ne faut pas négliger l’apport des sciences sociales pour faire face au réchauffement climatique et mettre en œuvre la transition énergétique.

Le podcat du débat

Podcast du débat Climat : comment agir maintenant ? enregistré le 7 juillet 2016.

Le débat sur « Climat : comment agir maintenant ? » a réuni universitaires, acteurs publics, associations, partenaires sociaux et think-tanks autour des deux grandes questions posées dans la note « Enjeux ».